Au printemps 1942, le journal clandestin France dresse un récit heure par heure de l’exécution des célèbres otages communistes « de Châteaubriant » par les autorités allemandes, survenue neuf mois plus tôt.
Le 26 mai 1942, le journal résistant gaulliste France s’attarde sur trois pages à un événement qui, déjà, fait partie de l’histoire. C’est l’assassinat le 22 octobre 1941 par les autorités allemandes des 27 otages du camp de Choisel, à Châteaubriant, livrés par Vichy à la suite de l’assassinat de Karl Hotz, responsable des troupes d’occupation en Loire-Inférieure. Les jeunes communistes incarcérés au camp depuis plusieurs mois étaient, de fait, innocents.
Dans un énoncé glaçant et recoupant plusieurs lettres envoyées à Londres par des détenus du camp présents lors de l’exécution, le journal revient sur les derniers instants des condamnés, « martyrs » de la cause communiste en France. Lors noms sont célèbres : Michels, Poulmarc'h, Timbault, Môquet.
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LES MARTYRS DU 22 OCTOBRE
Nous avons publié, il y a quelques jours, un récit sommaire de l’exécution des 27 otages de Châteaubriant. Nous sommes en mesure de publier aujourd’hui une description complète – par l’un des témoins – de cette scène atroce. Ce document, parvenu récemment à Londres, confirme que c’est le gouvernement de Vichy qui a désigné aux Allemands les otages que ceux-ci ont assassinés.
Voici le récit de l’affreuse tuerie de Châteaubriant :
Je ne sais qui lira ce qui va suivre. Je m’adresse à tous les Français, et aussi simplement à tous ceux qui, au-delà des limites de la France, ont quelque sentiment humain dans le cœur, quelles que soient leurs croyances, leur idéologie, leur nation. Peut-être seront-ils retenus de m’accorder créance parce que je ne signerai pas. J’atteste qu’il n’est rien au monde que je voudrais autant pouvoir faire que d’avoir l’honneur de signer ceci. C’est la mesure de l’iniquité et de la barbarie qu’aujourd’hui nous ne puissions dire notre nom pour appuyer une cause aussi juste, aussi généralement considérée comme noble et élevée, qu’est la cause de la France.
Ceux qui meurent pour elle dans notre pays meurent anonymes ; le plus souvent on ne dit même pas qu’ils sont morts, jamais on ne dit pourquoi ils sont morts, et tout ce qu’on ose écrire, c’est qu'un individu a été exécuté. Je partage ici le glorieux anonymat de tant de morts que vous ne pouvez plus vous étonner de cet anonymat. Si j’élève une faible voix, c’est aussi parce que des morts me l’ont demandé, c’est en leur nom que je vous parle. Ils sont tombés sous les balles allemandes. Ils sont morts pour la France.
Le 22 Octobre 1941
Les faits sont simples, et personne ne les nie. Le 22 octobre 1941, 27 hommes prisonniers de longue date, ont été exécutés par les Allemands, à côté du camp de Châteaubriant (Loire-Inférieure) pour des faits datant de quelques jours, dont ils étaient notoirement ignorants, pour l’acte d’hommes qu’ils ne connaissaient pas, sans s’être solidarisés avec ces hommes, mais livrés à l’occupant afin d’être exécutés, et cela par le ministère de l’Intérieur d’un gouvernement qui se dit français, qui en avait lui-même dressé la liste. Pris dans le camp où ils étaient détenus sur une simple suspicion ou passibles de toutes façons de peines bien moindres, ils ont été passés par les armes sur l’avis de ceux qui prétendent assurer la police dans le pays, y donnant ainsi l’exemple révoltant du crime.
On dira : c’étaient des communistes ! Est-il possible que des Français, est-il possible que des hommes, unis à d’autres hommes, à d’autres femmes par les liens de la chair, de l’affection, de l’amitié, puissent se satisfaire d’une phrase pareille ? Tous ceux qui diront, croyant se débarrasser ainsi de la chose : c’étaient des communistes ! N’entendent-ils pas que cela n’excuse pas le crime allemand, mais que cela honore les communistes ? Ces hommes étaient prisonniers pour leurs idées, ils avaient défendu leurs croyances au mépris de leur liberté. Ils s’étaient refusés à suivre l’exemple de ceux qui, se reniant par lâcheté ou par intérêt, sont passés dans le camp de ceux qu’ils combattaient la veille. S’ils avaient voulu les imiter, ils pouvaient, comme certains, revêtir l’uniforme allemand et être libres, collaborer aux journaux, aux organisations que l’Allemand contrôle, et être libres. Ils ne l’ont pas voulu. On les a envoyés à la mort.
Il y a eu dans le monde des hommes comme ceux-là et même ceux qui ne croient pas en Dieu, ceux qui haïssent l’Église dont ils sont martyrs, ne sont jamais à ce point entraînés par la violence anticléricale, qu’ils ne reconnaissent pas la grandeur, la noblesse, la beauté du sacrifice des chrétiens jetés aux bêtes, qui chantaient dans les supplices. Vous pouvez haïr le communisme, vous ne pouvez pas ne pas admirer ces hommes. Écoutez !
Les victimes choisies par Vichy
Au camp de Châteaubriant, il y avait en octobre 1941, un peu plus de 400 prisonniers. On sait ce qu’est la vie dans ces camps, on ne sait pas assez le courage qu’y déploient des hommes et des femmes, démunis de tout et que ne semble occuper que le souci de maintenir le moral de tous. A Châteaubriant, ils préparaient des divertissements communs, ils faisaient des cours pour mettre en commun le savoir particulier de chacun. Le 20 octobre, un lundi, on y apprend qu’à Nantes un officier allemand vient d’être assassiné. Vers une heure de l’après-midi, l’officier de la Kommandantur confère avec les directeurs du camp. Il s’agit de désigner des otages. Deux cents dossiers environ sont remis par le camp au chef de cabinet du sous-préfet, qui les portera à Paris au ministère de l’Intérieur, où seront choisis les otages.
On ne peut s’en tenir à l’exposé nu des faits ; depuis qu’il y a des guerres les nations ont considéré comme otages des hommes, des notables, désignés d'avance pour porter les conséquences des actes de leurs concitoyens contre l’ennemi qui les détient. Ici, c’est après pacte que sont choisis les prétendus otages et parmi les hommes qui ne peuvent matériellement en être solidaires. Quels hommes ? Ceux qui, détenant le pouvoir dans les régions occupées, n’ont pas pris les mesures nécessaires à éviter l’attentat ? Des notables dont la perte aura un caractère retentissant ? Non. Des hommes qui portent le poids de leurs idées, qui sont choisis par ceux-là qui prétendaient assurer l’ordre, leurs ennemis politiques qui y trouvent l’occasion de vengeances personnelles. Parmi eux il y a des étudiants, des ouvriers, certains sont presque des enfants. Ce n’est plus le bourgmestre qui répond des siens comme jadis. Otages, non. Martyrs, oui.
Ce même 20 octobre, les troupes allemandes prennent la garde du camp à la place des gardes mobiles français. Les prisonniers sont consignés dans les baraques jusqu’au lendemain, 9 heures. Vers 9 heures du soir, les sentinelles tirent dans le camp, croyant voir une ombre. Une balle entre dans la baraque 10 et siffle aux oreilles d’un prisonnier couché. Le lendemain, la garde allemande est relevée. Des rumeurs circulent. Les prisonniers apprennent le départ pour Paris du chef de cabinet du sous-préfet, avec les dossiers. On prétend que 30 otages doivent être désignés dans le camp. Dans la baraque 19, où il y a vingt-et-un hommes, une indiscrétion a fait savoir que c’est de cette baraque que viendra le gros du contingent exigé. Vers 9 heures du soir, les soldats allemands reprennent la garde.
La veillée et la journée sinistres
Imaginez la veillée dans la baraque 19. Voici ce qu’écrit de cette nuit-là un de ceux qu’on appellera « les rescapés » :
« Nous discutons cette nuit assez tard et nul ne se fait d’illusion sur le sort qui nous attend. C’est bien une veillée funèbre. Néanmoins aucun de nous ne manifeste d’angoisse ni même de crainte. Sans crânerie, chacun attend la suite du drame et la seule appréhension que l’on puisse avoir et de laquelle on discute c’est : “Serons-nous guillotinés ou fusillés ?” Dans la nuit, un nouveau coup de feu est tiré sur une ombre imaginaire. Cela nous rappelle la façon dont nous sommes gardés et l’interdiction de sortir qui nous est faite… Granet, Timbault, Michels, Auffret, Chandel, Bartoli, Barthélémy sont assis sur mon lit et chacun dit son mot ou son appréciation sur la situation... »
Voici ce qu’il écrit du mercredi matin:
« Le réveil est plus sombre qu’à l’ordinaire. Chacun sent passer la menace sur le camp. A 9 heures, nous allons chercher le café. Vers 10 heures, le sous-préfet, le lieutenant Moreau, le lieutenant Tonga, passent devant la baraque et vont examiner la porte du camp qui donne sur la route nationale. Examinent-ils la possibilité de faire passer des voitures par cette porte ? C’est possible. Quelques minutes après le lieutenant Tonga réunit ses gendarmes, pour leur passer des consignes nouvelles. Tous sont consignés au camp et la brigade, qui avait été relevée, a été ramenée au camp après un ordre reçu en cours de route. La plupart d’entre nous font des déplacements au camp P-1, et pour beaucoup c’est l’occasion de revoir une dernière fois les camarades. Midi, nous nous mettons à table, et notre camarade Ploumarch, aidé de Michels, fait cuire du poisson qu’ils ont reçu. A 13 heures le repas est terminé, beaucoup se mettent à écrire à leur famille. Maurice, Victor, et Jacques se promènent ensemble. Timbault et Granet se promènent avec Ploumarch. De la fenêtre, on a la vue sur tout le camp P-2. Barthélémy, qui partage ma table et qui est en train d’écrire à sa femme, qui est à la prison de Niort, pousse une exclamation d’étonnement. Il est 13 heures 30.
Les gendarmes viennent en ordre et au pas de marche se ranger vers la porte qui ouvre sur notre camp venant du P-2. L’adjudant de la gendarmerie poste les hommes tous les dix mètres. A ce moment, les Allemands apparaissent, suivis du lieutenant Tonga. Un mot dans les baraques: “Ça y est, c’est pour nous !” Ils viennent nous chercher. Les lettres sont interrompues, ainsi que les promenades, tous se précipitent aux fenêtres pour voir ce qui se prépare. Les Allemands installent un fusil-mitrailleur au milieu de la cour du camp P-2, face à la baraque centrale n° 6. Tous les internés sont enfermés dans leurs baraques respectives, avec un gendarme à la porte. Le lieutenant Tonga, suivi de l’officier allemand et des gendarmes, va ouvrir la porte qui commande l’entrée de notre camp et cette troupe se dirige vers notre baraque. Le lieutenant ouvre la porte, salue cérémonieusement. Il entre, suivi de l’officier allemand. Il prononce ces mots : “Salut Messieurs. Préparez-vous à sortir à l’appel de votre nom.”
Nous sommes tous prêts, massés devant mon lit qui est le premier à gauche en entrant. Le lieutenant appelle alors : Michels, Timbault, Ploumarch, Granet, etc. Après en avoir jumelé 16 dans notre baraque on appelle Delavagneraie… C’est Jacques qui répond : “Il est au camp P-1.” Aussitôt après, le lieutenant se retire en fermant la porte. Les camarades sont entraînés au camp P-2 dans la baraque 6. Les 6 qui restons non appelés, nous nous regardons avec stupeur.
L'appel
L’appel continue dans les autres baraques ; deux sont pris ici, un là… Kerival, David, Batard, Delavanneraie, Lefèvre, Tellier, Laforge, Lalet, Lepansé, Pourchesse, Kergengrose, Môquet. Ils sont emmenés avec les autres au camp P-2. Au passage, à l’infirmerie, on prendra Garbette, malade. Voici les 27 enfermés dans la baraque 6. Chacun reçoit une feuille et une enveloppe pour écrire ses dernières volontés. Kerival est autorisé à faire ses adieux à sa femme, internée dans le même camp. »
J’ai sous les yeux le récit des mêmes heures fait par un autre interné qui se trouvait dans la baraque 10. Il traduit aussi cette angoisse sourde et montante des deux journées, les bruits qui courent encore incertains, les signes précis d’un événement qu’on croit deviner, sans en être sûr. Puis l’arrivée de l’officier et des gendarmes…
« Quand s’ouvre la baraque 10, le sous-lieutenant Tonga lance sans hésitation, avec un sourire pincé, un seul nom : Guy Môquet. Le nom est un couperet qui tombe sur chacun de nos cous, une balle qui perce chacune de nos poitrines. Il répond d’un seul : “Présent”, et comme sans réfléchir, droit, plus grand que jamais, notre Guy s’avance d’un pas rapide et assuré. 17 ans, plein d’insouciance et de vie ! A peine éveillé aux premiers rêves de l’amour, il est parti notre Guy, comme serait parti un peu de nous. »
On cherche à se persuader, dans les baraques, que la partie n’est pas jouée ; cependant, suivant un autre témoignage, les otages étaient si sûrs de leur sort que Timbault avait décidé de liquider toutes ses provisions en un bon repas, et demandé à deux de ses camarades d’écrire à sa femme et à sa fille s’il lui arrivait quelque chose. D’autres camarades faisaient remarquer à Pesque qu’il serait prudent de fumer tout de suite ses trois paquets de tabac. Quant à Ploumarcn, il se faisait disputer après le repas de midi, pour ne pas avoir fait chauffer l’eau du thé : “Dépêche-toi, au lieu de dormir, nous n’aurons même pas le temps de boire le thé !” En effet, l’eau du thé est restée sur le feu !...
La Marseillaise
Maintenant dans les baraques on attend. Chaque porte, chaque fenêtre a été condamnée avec un lit dressé contre les parois. Ils voient le curé de Béré entrer dans le camp. Cela en dit long. Le curé de Châteaubriant s’est récusé. On voit passer Mme Kerival, autorisée à voir son mari. L’espoir disparaît. C’est à 14h22 que le prêtre sort de la baraque 6. Cinq minutes plus tard, des camions allemands apparaissent sur la route. Alors de la baraque, un chante monte : La Marseillaise. Tout le camp P-1 reprend le chant à son tour. Oh, les avez-vous jamais bien entendues ces paroles françaises : “Ils viennent jusque dans nos bras égorger nos fils, nos compagnes”. A 15 heures, les camions sont rangés devant la baraque 6.
Voici les termes mêmes du récit d’un des rescapés :
« Le lieutenant ouvre la porte et commence le dernier appel. A l’annonce de son nom, chacun d’eux se présente. Les gendarmes fouillent et vident toutes les poches et leur attachent les mains, puis les font monter dans les camions. Chaque camion prend 9 camarades. Ceux-ci n’arrêtent pas de chanter et nous font des signes d’adieu, car ils nous voient à la fenêtre. Temine interpelle l’officier allemand : “C’est un honneur pour nous, Français, de tomber sous les balles allemandes.” Puis, désignant le jeune Môquet qui n’a que 17 ans: “C’est un crime de tuer un gosse.” »
Préparatifs de départ
Il faudrait tout citer, chaque récit ; ils s’éclairent l’un l’autre. Dans un autre récit, il y a les larmes aux yeux de ceux qui assistent impuissants au drame, le geste instinctif de se découvrir quand éclate la Marseillaise des condamnés. Ah! ce n’est pas César que saluent ceux qui vont mourir ! Mais la France, mais l’avenir du pays pour lequel ils meurent. Comme ils reconnaissent les voix lointaines, celles de Timbault, de Môquet. Après la Marseillaise, il y a eu le Chant du Départ, et comment lire dans ce texte d’un homme simple sans en avoir les yeux humides cette remarque : Un Français doit vivre pour elle, Pour elle un Français doit mourir ! Puis vient l’Internationale. Et une voix seule, jeune, fraîche, entonne “La Jeune Garde”, c’est Môquet, pour sûr, le benjamin des otages. On ne peut pas couper ce récit-là :
« Par la fenêtre nous voyons des ombres s’agiter à travers les interstices de la palissade. Nous devinons que nos camarades prennent place dans les camions. Nous nous massons aux fenêtres, côté nord, pour voir le départ de nos héros. Les gendarmes sont toujours là, impassibles, postés de 10 mètres en 10 mètres.
Plus loin, sous le picador, on distingue les silhouettes sombres des soldats allemands casqués et armés. Une voiture à cheval entre. C’est la voiture de la laiterie. Elle ne va pas loin. Un gendarme arrête le cheval par la bride et lui fait faire demi-tour. Le temps est superbe ; le ciel d’une pureté exceptionnelle pour un 22 octobre. Pas une âme qui vive. La consigne est parfaitement respectée dans notre quartier. Seul, Kiki, notre petit fox-terrier se roule dans l’herbe, heureux de s’étirer et de s’ébattre au soleil. A côté, à la 9e, des pas martèlent le plancher.
Enfin, “La Marseillaise” une fois encore s’élève de l’autre côté des palissades. Les moteurs sont mis en marche. Les camions vont partir. La Marseillaise s’envole des camions, irrésistible, gagne tout le camp, baraque par baraque. Les gendarmes rendent les honneurs militaires à nos camarades quand ils montent dans les camions et au moment où les camions s’ébranlent.
Alors, mus par le chant qui les a gagnés, ceux dont les camarades viennent de partir pour le supplice, tous se trouvent soudain hors des baraques. Ils sont 400 à chanter. Deux couplets, deux refrains de la Marseillaise. »
Le silence tombe sur les bourreaux
Le lieutenant Tonga, qui tout à l’heure serrait les mains de l’officier allemand qui venait prendre livraison des 27 martyrs, est bien embarrassé, mais il montre aux détenus la sentinelle allemande, et déjà il siffle. Eux, les détenus, sur un mot d’ordre qui circule parmi eux, se taisent, et le silence tombe sur les bourreaux. Il faudra bien que le lieutenant consente quelques renseignements. De groupe en groupe on se les passe, ainsi que la liste des otages. Tonga leur a déclaré qu’ils seront fusillés dans une heure, à 16h15. Aussitôt on décide de se rassembler à cette minute-là. L’heure est lente et lourde à passer dans les baraques. C’est pendant cette heure-là que pieusement dans la baraque 6, certains vont recopier les inscriptions qu’y ont laissées les condamnés. Les planches où ils ont marché, qu'ils ont touchées, sont découpées, mises à l’abri comme des reliques.
A 16h15, les voilà tous rassemblés comme pour l’appel, tête nue, en silence, 400 hommes, réunis par camp. Dans chaque camp l’appel des fusillés est fait : au nom du fusillé un camarade répond: “Fusillé.” Une minute de silence. Cérémonial simple, sobre, spontané. Ils l’ont naturellement inventé. Et peut-être qu’il inaugure pour la suite des temps la commémoration qui fera du 22 octobre de chaque année un anniversaire pour tous les Français. De deuil, mais d’orgueil aussi, parce que 27 Français sont morts comme on sait mourir chez nous.
De la soirée qui suit, que rapporter ? Seulement le courage de Mme Kerival. Cette femme admirable, quand elle est venue à la baraque des condamnés embrasser son mari, prise de pitié à la vue du jeune Guy Môquet, a proposé aux officiers de prendre sa place. Elle voulait mourir avec son mari, et que cet enfant vécût. On le lui a refusé. Maintenant son calme fait l’admiration de tous ; elle se promène sur la piste avec ses amies : “Pourquoi se frapper, nous ne sommes pas ici pour cueillir des fleurs.” La vie continue. Et elle dit aux femmes : “Surtout faites votre fête dimanche, rien ne doit être changé.”
Elle tiendra ainsi toute la soirée. Ce n’est que dans sa baraque que la fièvre s’emparera d’elle. Mais le lendemain la retrouvera debout, courageuse. […]
Les lettres des victimes
« Certes, j’aurai voulu vivre, écrit Guy Môquet, mais ce que je souhaite de tout mon cœur, c’est que ma mort serve à quelque chose… Un dernier adieu à tous les amis, à mon frère que j’aime beaucoup. Qu’il étudie pour être plus tard un homme. Dix sept ans et demi, ma vie a été courte. Je n’ai aucun regret. »
Et Henri Darracq à sa femme: « Notre bonheur a été de courte durée, mais enfin c’est avec la fierté du devoir accompli que je m’en vais. J’aurais pu être tué bêtement aussi, en Tunisie ou ailleurs, pendant la guerre… » Pour son fils il ajoute : « Je ne sais pas quand tu liras ces quelques mots de ton père mort sans t’avoir presque connu, et en tout cas sache qu’il s’en va la tête haute et qu'il mourra avec honneur… »
Jacques Woog :
« A mes amis, adieu mes compagnons ! La vie s’achève pour moi. Je ne peux chercher à vous cacher l’émotion que je ressens. Pour mieux la ressentir on nous a accordé une journée de plus, voici la 5e nuit d’attente et c’est pour dans… deux ou trois heures. J’ai parait-il, été jugé ; heureusement c’est un autre jugement qui m’intéresse, c’est le vôtre, celui de ceux que j’ai aimés. Ne vous effrayez pas trop de mon sort, je préfère ma place à celle de ceux qui m’y ont placé. »
(C’est les deux mains enchaînées que Woog écrit cela. Il a été guillotiné comme un brave.)
A sa femme, à ses enfants, Auffret, qui mourut à Châteaubriant, écrivait : « Honnête homme j’ai vécu, attaché profondément à mes enfants chéris, à toi ma femme bien-aimée. Je pars pour toujours, mais mon courage ne m’aura pas fait défaut. La mort ne me fait pas peur, crois-le bien ; j’ai confiance que vous vivrez tous dans un profond souvenir du digne disparu qui est votre bien… » […]
C’est donner la parole à tous, et à ceux-là qui n’ont rien écrit, rien dit, qui sont morts dans le secret horrible des bourreaux, que de terminer ces pages par quelques lignes extraites de la dernière lettre de Gabriel Péri. On sait que Péri, député comme Michels et Catelas, ennemi juré de Hitler, haï par les traîtres à notre patrie, précisément parce que sa vie a été droite et qu’il n’a jamais varié dans sa voie, était depuis des mois entre les mains des hommes de Vichy, qui cherchèrent jusque dans son cachot à l’acheter par un honteux marché de reniement. Ils pouvaient le faire condamner à mort par leurs juges, comme Catelas. Mais l’horreur soulevée en France par cet usage infâme de la guillotine les arrêtait. Dix fois on laissa courir le bruit de sa mort. Une dernière fois, on vint lui mettre en mains le marché de la trahison. Il refusa. Le lendemain il était fusillé par les Allemands. […]
Voici les derniers mots de Péri :
« Que mes amis sachent que je suis resté fidèle à l’idéal de ma vie, que mes compatriotes sachent que je vais mourir pour que vive la France. Je fais une dernière fois mon examen de conscience. Il est positif. C’est cela que je voudrais que vous répétiez autour de vous. J’irais dans la même voie si j’avais à recommencer ma vie. Je crois toujours cette nuit que mon cher Paul Vaillant-Couturier avait raison de dire que le communisme est la jeunesse du monde et qu’il prépare des “lendemains qui chantent”. Je vais préparer tout à l’heure des lendemains qui chantent. Je me sens fort pour affronter la mort. Adieu, que vive la France ! »
Péri nous a dicté notre devoir : préparons des lendemains qui chantent !