Avant le Putsch de la brasserie, une interview d’Hitler en 1923
Au mois d’avril 1923, six mois avant sa tentative (ratée) de prise de pouvoir par la force, le « peintre en bâtiment » Adolf « Hittler » est interviewé par un correspondant de La Lanterne. Alors simple phénomène de foire, les propos du futur dictateur sont dûment moqués par son interlocuteur.
Il s’agit d’un des tous premiers entretiens d’Hitler parus en France. Début 1923, celui qui précipitera le monde dans une nouvelle guerre et sera l’instigateur du génocide des Juifs européens n’est que l’objet de mentions, souvent atterrées, de la part des observateurs français. Le chef de la NSDAP n’est alors qu’un « fasciste bavarois » à la geste fantasque débitant des aberrations extrêmement violentes au sujet des « socialistes » et des « Juifs ».
Au mois d’avril, le correspondant du journal de centre-gauche La Lanterne G. Metzer est à Berlin pour discuter avec le « führer », cette figure montante de l’extrême droite allemande. Une nouvelle fois, et tandis que celui-ci tient des propos pour le moins inquiétants, il n’est pas pris au sérieux, Metzer se moquant ouvertement du « badigeonneur » et de son « public de grandes brasseries ». Six mois plus tard pourtant, Hitler tentera de s’emparer du pouvoir par la force – sans succès. La suite est malheureusement connue.
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LE FASCISME BAVAROIS
Hittler [sic], son programme et son plan
Il en veut aux socialistes et aux Juifs, mais il n'est qu'un instrument aux mains des pangermanistes
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Adolphe Hittler est un Autrichien naturalisé Bavarois ; il avait, en 1914, une entreprise de peinture à Munich. Il servit pendant la guerre sous les ordres d'un officier qui déclara lui-même qu'il n'était ni meilleur ni pire que ses camarades. Il reçut une blessure si malheureuse qu'on le tint pour aveugle.
Une légende déjà généralement établie veut qu'il ait, par miracle, recouvré la vue. Le dieu des Teutons se manifestait pour lui et consentit à transformer le badigeonneur en réformateur.
Les origines du nationalisme social bavarois remontent au 5 janvier 1919, mais ce fut seulement après la tourmente révolutionnaire, c'est-à-dire au printemps de la même année, que la réaction triompha.
L'épuration de la race, l'antisémitisme et la destruction de l'idée marxiste sont à la base de ce programme. En outre, on y trouve la lutte contre le capitalisme, ce qui peut séduire les masses ouvrières ; bien entendu, le parti réclame l'abrogation des traités de Versailles et de Saint-Germain et l'union de tous les Allemands.
En dépit du caractère chaotique de cette doctrine, le parti nationaliste bavarois a eu, en deux années, un développement rapide ; il dispose d'un quotidien à Munich et de 4 à 5 000 hommes bien armés. Dans la conception réactionnaire, ce parti devait constituer l'avant-garde du mouvement nationaliste, mais le succès du mussolinisme en Italie modifia le plan général. On put craindre un moment la mégalomanie du petit dictateur, mais il semble que les relations se soient améliorées entre Hittler et les grandes puissances de réaction royalistes. On a tracé des limites précises à la propagande social nationaliste.
Hittler est un homme qui peut parler pendant plusieurs heures de suite, sans éprouver la moindre fatigue, avec une voix comparable à une mitrailleuse en action. Les paroles qu'il dit peuvent, devant un public fanatique de grandes brasseries, faire un certain effet ; mais si son auditoire est composé de sens éclairés, son langage donne une triste impression.
Son maintien est vulgaire ; sa figure sans intérêt ; il n'est pas sans prétentions à l'élégance. On a peine à croire qu'il puisse devenir un dictateur vraiment dangereux.
Sa profession de foi paraît inspirée du fascisme de Mussolini, avec cette différence cependant qu'il met au premier plan la lutte contre les Juifs. Bien entendu, les Juifs sont partout ! Edouard VII avait du sang juif ; Guillaume II lui-même n'était pas indemne ; ii faut donc purifier la race.
— Pourriez-vous, ai-je demandé à Hittler, m'expliquer le but immédiat de votre parti ?
« La lutte sans quartier contre les socialistes et les Juifs, me répondit-il ! Destruction de toute idée internationaliste ! Groupement des forces ouvrières. La conception monarchique ou républicaine est indifférente et nous ne sommes liés à aucune confession religieuse. Nous voulons que le pouvoir soit confié à une minorité honnête et capable. Imaginez-vous que moi, si j'étais dictateur, je m'en laisserais imposer par le Parlement et par de prétendus représentants du peuple ? Non ! Je gouvernerais suivant les inspirations de ma conscience.
— Ne croyez-vous pas que, dans un moment aussi grave pour le germanisme, votre action soit dangereuse, et ne puisse provoquer la guerre civile ?
— Nous suivons droit notre chemin ; nous sommes convaincus que pour libérer le peuple allemand, il faut d'abord détruire le socialisme et l'idée sémite. Pour construire un édifice, il faut commencer par les bases ; les bases sont : l'épuration de la race, l'abolition du régime démocratique. Du reste, la lutte contre la France est conduite avec une honteuse mollesse. »
Je fais remarquer à M. Hittler qu'il est difficile de comparer son mouvement social nationaliste avec le fascisme italien. La situation est différente ; il n'y a pas, en Italie, de lutte entre le midi et le nord, pas d'ennemis intérieurs. Croyez-vous que des milliers d'hommes seront décidés à se faire tuer dans un geste de folie désespérée, sachant que leur sacrifice sera vraisemblablement inutile ?
— Mes forces, dit M. Hittler, ne disposent pas seulement de moyens militaires limités ; si nous sommes résolus à nous battre contre la France, nous aurons tout ce qu'il nous faut en quelques heures.
— Nous avons entendu dire que vous, M. Hittler, seriez disposé à faire la guerre, mais c'est une affaire autre que celle qui consiste à se rendre maître des rues de Munich.
— La lutte armée contre la France n'est pas, d'ailleurs, quant à présent, notre projet.
— Et s'il se forme à Berlin un gouvernement, probablement de gauche qui, pour sauver le pays d'une catastrophe imminente, conclut un accord avec les Français ?
Le dictateur frappe alors du pied et se promène à grands pas dans la salle de rédaction en criant : « Kampf ! Kampf ! (Bataille ! Bataille !) »
Je n'ai pas pu savoir s'il s'agissait des Français ou des Juifs.
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Adolphe Hittler m'avait donné un second rendez-vous à la Cornelius Strasse, où se trouve son organisation centrale ; je n'ai pas pu l'y rencontrer, mais j'ai vu tout un personnel féminin qui préparait les fiches relatives aux troupes de choc et de propagande.
Évidemment, ce parti n'a pas été entièrement organisé par le peintre en bâtiment Adolphe Hittler ; il y a quelqu'un derrière lui qui prépare les véritables troupes d'assaut, et c'est : Ludendorf [général des armées allemandes pendant la Première Guerre mondiale et alors soutien du national-socialisme, NDLR] !