Et était également très risqué.
Bien entendu. Le risque de se faire prendre était constant.
Par exemple, ma mère faisait passer des outils à mon père en les planquant dans des pots de saindoux. Pourtant, il y avait une inspection systématique des colis avant qu'ils ne soient remis aux prisonniers... On peut supposer là aussi que les gardes avaient été soudoyés.
Mon père était retenu en Poméranie. Pour rentrer en France, il devait donc traverser toute l'Allemagne du nord. Il avait entendu parler d'une petite ville minière frontalière avec la Belgique, où tous les jours les mineurs traversaient la frontière... Donc, il y avait la possibilité de se planquer parmi eux pour rentrer incognito en France. Sauf qu'en réalité, il n'y avait pas de mines. Le renseignement était faux.
En s'intéressant à l'histoire personnelle des prisonniers, on apprend beaucoup de choses sur la guerre et sur la vie dans les camps.
Lorsque votre père revient à la vie civile, il est hanté par la guerre. À travers votre récit familial, cherchiez-vous à documenter aussi le retour des soldats vaincus en France ?
On a peu parlé de l'histoire de ces prisonniers car ils ont été mal accueillis lorsqu'ils sont revenus. On considérait qu'ils étaient « responsables » de la défaite de 1940. Mon père était hanté par ce qu'il y avait vécu. Dans son char, il avait réduit en miettes des hommes, des soldats allemands. Il avait vu leurs tripes répandues sur le sol, brillantes au soleil. Ça l'avait traumatisé. C'est un souvenir qui ne l'a jamais quitté. Et puis, il a été fait prisonnier et interné dans un Stalag.
Et après tout ça, quand tout a été fini, il fallait reprendre presque immédiatement une vie normale. Mais il s'était replié sur lui-même. Il était, comme beaucoup de ses camarades, très en colère à cause de l'armistice de 1940 et de tout ce qui s'est passé ensuite, la collaboration, le marché noir... Raconter son histoire, c'est raconter l'histoire de ces prisonniers.
Vous avez également beaucoup travaillé sur la Première Guerre mondiale. En quoi la fiction peut-elle contribuer à cette idée de « devoir de mémoire » ?
Elle peut parfois faire plus. Typiquement, pendant la Première Guerre, tout ce dont on dit que ce sont des « images d’archives » sont en fait des images tournées avec de vrais soldats sur le terrain, mais une semaine après – ou parfois plus. Du coup la caméra est en hauteur, le cadrage est bon... En situation réelle, les premiers à se faire descendre, ça aurait été le caméraman et son assistant.
À ce sujet, il y a un film qui est intéressant, c'est Verdun, visions d'Histoire de Léon Poirier. C'est un film qui a été tourné juste après la guerre, avec des anciens combattants qui jouent leurs propres rôles. Il a été filmé à Verdun dans les vestiges du fort de Douaumont... Les scènes de bataille sont extrêmement réalistes. C'est sonorisé.