1914 : le gouvernement s’installe à Bordeaux
En septembre 1914, l’Allemagne est aux portes de Paris et le gouvernement décide de déménager à Bordeaux. Pendant plus de trois mois, la France en guerre est gérée depuis la capitale girondine.
Le 2 septembre 1914, le Président de la République Raymond Poincaré fait publier un communiqué repris par toute la presse.
« Pour veiller au salut national, les Pouvoirs publics ont le devoir de s'éloigner pour l’instant de la ville de Paris. »
La guerre, que les Français pensaient pouvoir régler en quelques semaines, ne semble pas prendre l’issue escomptée. La France a déjà perdu 40 000 hommes, les troupes se font battre partout où elles sont engagées, le moral est en berne. Pire, les Allemands sont aux portes de Paris, le général Von Kluck est à Chantilly et la cavalerie allemandes à quelques dizaines de kilomètres.
De plus, Paris a été bombardée le 29 août, une attaque qui a fait un mort et seize blessés. La décision est alors prise de déménager la présidence de la République et le gouvernement à Bordeaux, en Gironde. Mais il faut rassurer les Français : bien entendu, « tout va bien ».
« Cette mesure, commandée par la situation, qui reste excellente, laisse à nos armées, qui n’ont subi aucune défaite, la liberté complète de leurs mouvements.
Elle est, en outre, une simple mesure de précaution qu'il importait de prendre avant que les événements, que nul ne peut prévoir, la rendissent nécessaire dans des conditions de rapidité qui eussent peut-être inquiété le pays.
Elle est un acte réfléchi, raisonné, conforme à l’intérêt véritable de la patrie. »
Nul dans la presse n’ose critiquer cette décision, l’heure est au patriotisme à longueur de colonnes pour défendre la décision gouvernementale auprès des Français : « Ils le comprendront d'autant mieux qu’ils y verront la résolution du gouvernement de ne reculer devant aucune mesure de salut national », précise La Petite Gironde.
« La guerre a ses nécessités, et le gouvernement a dû obéir à l'une des plus cruelles.
Bien que nos armées soient intactes, il s'est imposé de quitter momentanément Paris et d'aller en province continuer librement sa tâche sacrée. Il s'est transporté à Bordeaux, où toute liberté d'action, tout calme, tout sang-froid, lui sont mieux assurés, où il demeure en contact permanent avec le pays, où il garde entières ses communications avec le dehors, où, enfin, il n'est pas lui-même une gêne, car la défense de Paris est devenue, par la force même des événements, un des éléments principaux de la défense nationale, et il fallait laisser aux généraux Joffre et Gallieni la faculté complète de leurs mouvements et de leurs décisions. »
À Bordeaux, tout est prêt pour accueillir l’exécutif et l’on rappelle que ce n’est pas la première fois que le gouvernement français se replie sur la grande ville du sud-ouest.
« Le gouvernement trouvera dans la ville de Bordeaux les sympathies les plus profondes, qui ne s’affirmeront pas en manifestations bruyantes, mais qui n’en seront que plus sincères. […]
Que le gouvernement reçoive le salut cordial de la ville de Bordeaux.
Dans notre cité, où dominent les vertus ancestrales : la pondération, la mesure, la modération, qui n’excluent pas la plus indomptable énergie et le plus pur patriotisme, il sera entouré de la grande considération que ses habitants ne cessèrent de témoigner au gouvernement de la défense nationale durant les semaines de l’Année terrible où celui-ci vint y résider. »
Le bruit de l’arrivée du chef de l’État s’est répandu et une foule nombreuse attend le train qui l’amène en gare Saint-Jean. Lorsque la voiture présidentielle s’arrête à l’Hôtel Nesmond, rue Vital-Carles, nouveau lieu de la présidence, les Bordelais sont aussi présents.
« Là encore, toutes les têtes te sont respectueusement découvertes, cependant que des cris de : “Vive Poincaré ! Vive la République !” retentissaient, affirmant la confiance de nos populations dans l’avenir.
Lorsque l’automobile eut pénétré dans les jardins, les portes ayant été laissées ouvertes, le Président est descendu de voiture et avant de pénétrer dans le vestibule, il s’est retourné vers la foule qu’il a saluée d'un mouvement plein de simplicité.
Point n’est besoin de dire combien étaient émus tous ceux qui assistaient à cette scène. »
Raymond Poincaré s’installe à l’hôtel Nesmond, tandis que le reste du gouvernement prend ses quartiers dans la ville. La présidence du conseil siège à l’hôtel de ville.
René Viviani, président du Conseil, occupe le cabinet du maire et Aristide Briand, vice-président du Conseil et ministre de la Justice demeure à l’hôtel de Bayonne. Le ministère de l’intérieur est relogé à la Préfecture, rue Esprit-des-lois ; les services du ministère au palais de Justice.
Les autres ministères sont relocalisés dans des universités (celui de la Guerre à la faculté de lettres, celui de l’Instruction publique à la fac de droit), dans un lycée (le Commerce et l’Agriculture au lycée de Lonchamp) ou dans des écoles (la Marine à l’École de santé navale et le ministère du Commerce et de l’industrie logiquement à l’École supérieure de commerce et d’industrie). Les ambassades aussi s’installent dans la capitale girondine.
Paris n’est pas pour autant laissée à l’abandon. La ville est défendue par le général Gallieni, qui assure être prêt à tout pour défendre la capitale. Les ministres font de fréquents allers et retours entre Paris et Bordeaux, comme Marcel Sembat, en charge des Travaux publics.
« Sembat a déclaré qu'il avait toujours été entendu qu’après le transfert du gouvernement à Bordeaux, un contact permanent serait établi avec Paris. Le président du Conseil a, d'ailleurs, fait connaître que les ministres seraient chargés de missions sur toute l'étendue du territoire.
C'est donc dans ces conditions que Sembat et M. Briand sont allés vérifier le bon fonctionnement des mesures prises pour assurer le ravitaillement et l'existence de la population parisienne. Ils ont constaté avec une grande satisfaction que l'ordre est admirable et le calme parfait. »
Fin novembre, le bruit circule que le gouvernement reviendrait à Paris. Mais c’est encore trop prématuré, le danger n’étant pas tout à fait écarté.
« Le jour viendra où nos troupes auront expulsé l'envahisseur ou l'auront tout du moins repoussé assez loin pour que Paris puisse redevenir en fait la capitale qu'il n'a pas cessé d’être en droit.
En attendant, il n’y a qu’à laisser les choses en l'état. Les Chambres peuvent siéger à Paris, les ministres plus particulièrement appelés à collaborer avec elles pour le vote des projets de lois reconnus nécessaires, peuvent venir se présenter devant elles pour, quelques jours après, reprendre leur place à Bordeaux auprès du chef de l’État. »
Finalement, le 8 décembre 1914, Paris est redevenue une place assez sûre pour le gouvernement et les ambassades reprennent possession de leurs différents palais et résidences.
« La plupart des membres du corps diplomatique qui avaient suivi le gouvernement à Bordeaux, sont rentrés à Paris avec le personnel des chancelleries.
M. Isvolski, ambassadeur de Russie et le baron Guillaume, ministre de Belgique, sont arrivés ce matin. Sir Francis Bertie, ambassadeur d'Angleterre, et M. Grahame, premier secrétaire, arriveront à la fin de la semaine.
Les autres membres de l'ambassade britannique ont déjà repris possession de leur poste. »
Paris reprendra sa fonction officielle de capitale politique et administrative jusqu’au 17 juin 1940, date à laquelle Philippe Pétain se repliera brièvement sur Bordeaux afin de former son gouvernement et demander l’arrêt des combats ainsi que l’armistice avec les Allemands.
Le gouvernement de Pétain s’installera à Vichy quelques jours plus tard.