Archives de presse
La Guerre d’Espagne à la une, 1936-1939
Reportages, photo-journalisme, interviews et tribunes publiés à la une à découvrir dans une collection de journaux d'époque réimprimés en intégralité.
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L’exécuteur en chef de la fin de la IIIe République et des débuts de la IVe mais aussi de l'Occupation, notamment lors des exécutions politiques de la « section spéciale », fait pour la première fois l'objet d'une biographie.
« Un homme parfaitement insensible au genre de travail qu'il faisait. » La cible de ce jugement, émis par un ancien haut magistrat du ministère de la Justice, s'appelle Jules-Henri Desfourneaux et fut, entre 1939 et 1951, l’« exécuteur en chef des arrêts criminels ». En clair : le bourreau.
L'antépénultième du genre en France, qui fait l'objet d'une première biographie, Desfourneaux, bourreau. L’homme du petit jour (éditions De Borée), signée Sylvain Larue, auteur de nombreux ouvrages sur les grandes affaires criminelles.
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La Guerre d’Espagne à la une, 1936-1939
Reportages, photo-journalisme, interviews et tribunes publiés à la une à découvrir dans une collection de journaux d'époque réimprimés en intégralité.
Desfourneaux a été nommé six mois avant le début de la Seconde Guerre mondiale après la mort du titulaire du poste, Anatole Deibler, dont il était le premier adjoint. Ses premières exécutions lui ont valu quelques brefs portraits dans la presse : « Il garde un calme extraordinaire. Il a l'air d'assister en témoin, presque en indifférent, à toute cette scène dont il est le tragique animateur », constate Paris-Soir, tandis que L'Ouest-Éclair dresse une description emphatique de ce « fonctionnaire sans collègue ».
« À l'égal du président de la République, sans concurrent dans sa catégorie, sans camarade de syndicat, […] il est avant tout un bras, le bras droit de la société. Et le fonctionnaire, le seul fonctionnaire que nous voudrions voir sans travail 365 jours durant [...]
Ce qui prouverait, au surplus, que le corps social se porte à merveille… et sur ses deux épaules ! »
Pendant la guerre, il va poursuivre ce travail de fonctionnaire sans états d'âme, y compris pendant l’une de ses pages les plus sinistres, celle de la « section spéciale ».
Le 21 août 1941, un militaire allemand, Alfons Moser, est abattu par le résistant Pierre Georges, futur colonel Fabien, à la station de métro Barbès-Rochechouart en représailles de l'exécution de deux militants communistes. Le ministre de l'Intérieur de Vichy, Pierre Pucheu, décide alors d'accélérer la création de « sections spéciales » des tribunaux où défileront les auteurs d'actes commis « dans une intention d'activité communiste ou anarchiste ».
Celles-ci jugeront sans instruction, sans recours et sans délai d'exécution de la peine et pourront, monstruosité juridique supplémentaire, se saisir de crimes et délits commis avant leur création.
Les autorités françaises décident qu'elles commenceront par prononcer six condamnations à mort pour l'exemple et font pression sur les magistrats en annonçant des représailles allemandes dans le cas contraire. Elles promettent même aux autorités d'occupation que les peines seront exécutées en public, place de la Concorde – les Allemands finiront toutefois par imposer le huis clos pour éviter d’éventuelles manifestations.
Le 27 août 1941, la section spéciale de la cour d'appel de Paris ne prononce « que » trois condamnations à mort, les juges désignés s'étant finalement rebellés. Les condamnés s'appellent André Bréchet et Émile Bastard, militants communistes, et Abraham Trzebrucki, un Juif polonais. Tous condamnés pour des délits pour lesquels ils avaient déjà écopé de peines légères. Comment seront-ils mis à mort ?
Le 29 août au matin, la presse hésite encore, à l'image de La Croix : « L'exécution doit avoir lieu immédiatement, dit la loi. Quel sera le mode d'exécution ? On ne le sait pas encore. » Le même jour, Le Petit Parisien, quotidien du soir, a la réponse :
« On ne s'étonnera donc pas d'apprendre, aujourd'hui, que les trois condamnés de la cour spéciale ont été guillotinés moins de vingt-quatre heures après la décision des juges. »
Si l'événement fait les gros titres de la presse, celle-ci ne donne aucun détail sur le déroulement du supplice en lui-même. Deux ans plus tôt, l'exécution à grand spectacle du tueur allemand Eugène Weidmann devant la prison de Versailles a poussé le gouvernement à édicter que les exécutions auront désormais lieu à huis clos, dans les cours des prisons, et à interdire à la presse d'en divulguer les détails en dehors du procès-verbal officiel. Une interdiction qui sera parfois contournée jusqu'à l'abolition de la peine de mort en 1981 mais qui est ici respectée, en cette période où les journaux s'écrivent sous le regard de l'occupant et du gouvernement de collaboration.
On observe ainsi le même laconisme, un mois plus tard, lors de l'annonce de l'exécution de trois militants communistes condamnés par une autre juridiction, le tribunal d'État : l'ancien député Jean Catelas, qui crache au visage de Desfourneaux sur le chemin de l'échafaud, l'architecte Jacques Woog et le plombier-couvreur Adolphe Guyot.
Il faudra attendre 1973 et la publication de L'Affaire de la Section spéciale par Hervé Villeré pour disposer de plus de détails sur ces exécutions, même si l'auteur se voit alors refuser l'accès aux archives françaises par le ministre de la Justice René Pleven au motif qu'il faut éviter « de réveiller des passions dans l'opinion publique ». On apprend dans son livre qu’Émile Bastard a demandé à son avocat si c'étaient les Français ou les Allemands qui allaient l'exécuter et, apprenant la réponse, a poussé « un soupir déçu ». Ou que Desfourneaux a déclaré, en apprenant qu'aucun des condamnés ne voulait entendre la messe : « On va gagner un quart d'heure. »
Deux ans plus tard, l'adaptation cinématographique du livre par Costa-Gavras se termine sur une scène le montrant, dans la cour de la Santé, en train de superviser le montage de sa machine de mort.
Pendant l'Occupation, Desfourneaux et son équipe vont ainsi exécuter vingt-deux condamnés des sections spéciales ou des tribunaux d'État, la quasi-totalité pour faits de résistance. Les deux plus célèbres passent à l’échafaud à une semaine d'écart, à l'été 1943. C'est d'abord, le 23 juillet, Mendel (ou Marcel) Langer, ancien combattant des Brigades internationales et chef des FTP-MOI de la région de Toulouse, parti au pas de charge sous la guillotine : « Allons-y, messieurs ! Et soyez fermes ! Nous vivons une révolution, et une révolution, c'est comme un accouchement ; il y a toujours du sang ! » Puis, le 30 juillet 1943, à la prison de la Petite Roquette, une « faiseuse d'anges », Marie-Louise Giraud, victime d'une double rupture de la part du régime de Vichy. Le nouveau pouvoir a en effet choisi de faire de l'avortement un crime capital et le maréchal Pétain a décidé de ne plus gracier systématiquement les femmes, comme c'était le cas depuis un demi-siècle.
Le collaborationniste Journal écrit quelques mois plus tard :
« Pour ce crime contre la race et la patrie, les pouvoirs publics appliquaient pour la première foie le châtiment suprême, [...] la femme Giraud marcha à l'échafaud avec résignation.
Elle se posait pourtant en victime, ne réalisant point, semblait-il, la gravité des faits dont la justice lui demandait compte. Vingt existences supprimées, cela ne lui semblait relever que d'une répression légère.
Tant il est vrai que, dans ce pays, alors pourtant que la crise de la natalité s'accentuait tragiquement, on n'avait jamais voulu sévir de façon impitoyable contre les fossoyeurs clandestins qui, d'après les estimations des spécialistes, supprimaient chaque année au moins 400 000 enfants. »
Le livre de Sylvain Larue fait en revanche justice d'une légende noire, celle selon laquelle Jules-Henri Desfourneaux aurait supervisé une nonuple exécution capitale dans la cour de la Santé le 30 avril 1944, certaines sources faisant état d'un bourreau pataugeant dans « une véritable mare de sang ». En réalité, ce jour-là, neuf résistants de Troyes sont morts fusillés après un procès sommaire par la milice.
Quelques mois plus tôt avait été annoncé que désormais, les condamnés politiques seraient en effet fusillés :
« Une information téméraire annonçait hier matin que le transport des bois de justice étant devenu difficile en raison des circonstances, l'usage de la guillotine allait être suspendu jusqu'à la fin des hostilités. Les condamnés à mort seraient, désormais, fusillés. […]
Pour Monsieur de Paris, alias Henri Desfourneaux, successeur et neveu de feu Deibler, fonctionnaire comme on sait, cela n'équivalait-il pas à une mise à la retraite avant l'heure, à un véritable coup de guillotine sèche ? [...] Mais non. Monsieur de Paris n'en sera pas réduit à cette extrémité car la guillotine ne doit nullement disparaître. [...]
Les condamnés à mort pour menées subversives, les terroristes, seront fusillés. Nous ne disons pas passés par les armes, ces mots, d'un caractère militaire, constituant une expression noble, seraient, ici, déplacés. Les autres, les condamnés à mort pour crimes et meurtres de droit commun, seront décapités comme avant.
Monsieur de Paris continue. »
On retrouve là un argument souvent employé : la fusillade, normalement réservée aux crimes contre la sûreté de l'État et aux condamnations des tribunaux militaires, est jugée noble, au contraire de la guillotine, dégradante. En mai 1940, juste avant l'invasion allemande, Charles Trochu, un conseiller municipal de Paris, s'écriait : « Je ne demande pas qu'on fusille les traîtres, ce serait leur faire trop d'honneur, on fusille un espion qui travaille pour son pays. II faut pour les traîtres la guillotine, au petit jour, dans une cour de prison, sans témoins. »
Si Vichy réduit alors le nombre de cas passibles de la guillotine, c'est que celle-ci perd ses « fonctionnaires ». « Il faut avoir vécu ces matins de guillotinades où, en cette triste époque de l'Occupation, je rentrais à la maison dégoûté du travail que je venais de faire », expliquera plus tard le premier adjoint de Desfourneaux, André Obrecht, lui-même bourreau en chef de la République de 1951 à 1976, qui démissionne avec deux autres aides au lendemain de l'exécution du « terroriste » Émile Bertrand, en novembre 1943.
Desfourneaux, lui, reste à son poste. Pourquoi ? On a beaucoup affirmé qu'il avait peur que les Allemands ne s'attaquent à lui pour avoir décapité, dix jours avant l'armistice de 1940, le cinéaste et espion Fritz Erler. Sauf que, comme le montre Sylvain Larue, documents administratifs et coupures de presse à l'appui, ce dernier n'a pas été guillotiné mais fusillé, le jour même où Desfourneaux exécutait un condamné de droit commun. Selon l'auteur, la crainte du bourreau de finir « douze balles dans la peau » était en tout cas « fausse » :
« La justice allemande et la justice française partagent la même législation concernant les bourreaux : il n'y a ni crime ni délit quand les violences ont été exercées par ordre de l'autorité légitime. [...]
Quoi qu'il en soit, Desfourneaux allait garder, et ce jusqu'à la Libération, une appréhension vive et la certitude de subir des représailles s'il ne faisait pas profil bas, quel que soit l'ordre qu'on lui donnerait. »
Quand, un mois après la libération de Paris, L'Humanité appelle au châtiment des responsables de la mort de Catelas, Woog et Guyot, ce sont ainsi « seulement » les juges et les procureurs du tribunal d'État qui sont visés. Pas le bourreau.
Le 25 mai 1946, après plus de deux années où condamnés de droit commun comme politiques ont été fusillés, « Monsieur de Paris » est de retour au poste pour exécuter le célèbre docteur Petiot.
Comme Johann Reichhart, bourreau de la république de Weimar devenu celui du IIIe Reich puis de l'Allemagne occupée par les Alliés, Henri Desfourneaux aura réussi à traverser les régimes.
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Pour en savoir plus :
Sylvain Larue, Desfourneaux, bourreau. L'homme du petit jour, Éd. De Borée, 2019
Hervé Villeré, L'Affaire de la section spéciale, Fayard, 1973
Jacques Delarue, Le Métier de bourreau, Fayard, 1989