On trouve dans ce témoignage de la première heure la part de vérité que contient le récit de l’auto-libération du camp par les détenus, quand bien même le chiffre des SS arrêtés ait été, semble-t-il, exagéré. (On parle désormais de 76.) Une chose est certaine : c’est dans ce laps de temps de quelques heures, entre le moment où (par hasard ?) deux tanks de la 6e division de la 3e armée américaine passent en lisière du camp, entraînant la fuite éperdue des SS, que la résistance clandestine sort les armes et achève la libération.
L’armée américaine, témoignages et archives concordent sur ce point, trouva à Buchenwald un camp dans lequel la direction de la résistance, principalement aux mains des communistes allemands, avait été capable de limiter le nombre de personnes évacuées dans ces « marches de la mort » au cours desquelles plus de 20 000 déportés moururent, et de préserver la vie des 21 000 prisonniers qui se trouvaient encore dans l’enceinte du camp. Parmi eux, 904 enfants.
Combat, dans son édition du 19 avril 1945, avait déjà signalé la présence du plus jeune d’entre eux :
« Par quel hasard un enfant de trois ans se trouvait dans notre camp ?
À deux reprises, cet enfant a été appelé avec les condamnés à mort. À deux reprises, on l’a fait disparaître. Il est maintenant sain et sauf. »
L’histoire de Stefan Jerzy Zweig, dit « l’enfant de Buchenwald », a été popularisée par le roman-document d’un ancien détenu, Bruno Apitz. Publié à Berlin-Est en 1958 et traduit en 30 langues, Nu parmi les loups relate l’action de sauvetage de cet enfant juif polonais de 3 ans par les prisonniers politiques allemands dont il était devenu la mascotte. Inscrit sur la liste de 200 enfants juifs et tziganes destinés à Auschwitz, il bénéficia d’une substitution de nom, échappant ainsi à la mort.
Un procédé auquel pouvaient avoir recours, non sans danger, les détenus politiques grâce à leur fonction dans l’administration du camp. Stephane Hessel en parlera dès son retour dans Les Temps modernes, en mars 1946. Plus tard, dans Dans le mort qu’il faut (2001), Jorge Semprun relatera à son tour ce procédé dont il bénéficiera, de même que le futur prix Nobel, Imre Kertesz.
De ces 904 enfants sauvés, notamment par le communiste tchèque Anton Kalina, qui ne reçut la « médaille du juste parmi les nations » de Yad Vashem qu’en 2012 et à titre posthume, L’Humanité du 5 mai 1945 en fait son titre :
« Mille petits à sauver !
Buchenwald ! […] C'est dans ce décor d’épouvante que les Américains ont découvert un millier d’enfants. Mille gosses de 3 à 14 ans ! Français pour la plupart. D'où venaient-ils ? Quelques-uns, déportés comme “sujets d’expérience”.
Les autres ? Ceux à qui l’on n’a pas tordu le cou, sous les yeux de leur mère, à leur naissance, dans les camps de femmes. […]
Mille enfants affamés, enflés d'œdème, mourant par paquets ; quatre cents ont dû être hospitalisés “dans un état grave”. »