Hors-série « faits divers »
« Les Grandes Affaires criminelles de la région »
En partenariat avec RetroNews, « Sud Ouest » publie un hors-série consacré à neuf faits divers qui se sont déroulés entre 1870 et 1986 en Nouvelle-Aquitaine
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En 1923, un mouvement séparatiste émerge de l’autre côté du Rhin, bien décidé à créer son propre territoire en s’aidant des sympathies françaises à son égard. Cette expérience finira dans un bain de sang.
Depuis Louis XIV, la France n’eut de cesse de vouloir neutraliser les rives du Rhin, pour des raisons de sécurité frontalière et pour s’affirmer comme une puissance rhénane, au nom des « frontières naturelles de la France ». En outre, la rive gauche, la catholique Rhénanie et sa myriade d’États microscopiques, est présentée comme une terre latine, opposée à la Prusse protestante.
En 1797, sous le Directoire, une République sœur, la République cisrhénane, était créée par la fusion des petits royaumes de la rive gauche du Rhin, avant son annexion par Napoléon. Après le Congrès de Vienne en 1815, la région fut divisée entre la Prusse, qui obtint la majeure partie, dite Rhénanie, tandis que la Bavière obtient une petite portion au sud, le Palatinat. En 1848, une première tentative séparatiste faisait long feu et la Rhénanie prussienne intégrait le Reich allemand en 1871.
Hors-série « faits divers »
« Les Grandes Affaires criminelles de la région »
En partenariat avec RetroNews, « Sud Ouest » publie un hors-série consacré à neuf faits divers qui se sont déroulés entre 1870 et 1986 en Nouvelle-Aquitaine
Après l’Armistice de 1918, la situation change brusquement dans la région. Plusieurs dizaines de divisions américaines, belges, britanniques et surtout françaises entrent en Allemagne et s’installent le long du Rhin, dont quelques têtes de pont sur la rive droite à Mayence, Coblence et Cologne.
L’occupation de la Rhénanie et du Palatinat-rhénan, garantie d’application du Traité de Versailles, devait s’étaler pour des périodes de cinq à quinze ans suivant les zones, sous la direction d’une Haute commission interalliée, rapidement contrôlée par la France après le retrait américain.
Mais l’occupation militaire parut bientôt onéreuse et complexe. L’idée d’une Rhénanie autonome et démilitarisée semblait une solution avantageuse, avec le chaud soutien des industriels français et belges. Après tout, la Sarre avait déjà été détachée du Reich ; pourquoi ne pas favoriser l’éclosion d’États tampons favorables aux intérêts alliés tout en éloignant la frontière allemande ?
Cette idée était défendue par le Maréchal Foch et un projet de séparation fut étudié lors des séances des plénipotentiaires à Versailles.
L’autonomisme rhénan, partisan d’une Rhénanie détachée de la Prusse mais demeurant allemande et le séparatisme rhénan, en faveur d’une république indépendante de Berlin, connurent un regain d’intérêt dans une Allemagne en proie à une effervescence révolutionnaire particulièrement aiguë durant l’hiver 1918-1919. Des républiques populaires étaient proclamées en Saxe, dans le Bade et en Bavière, menaçant de faire sécession.
Pour essayer d’imposer un fait accompli, une première tentative de république rhénane fut proclamée le 1er juin 1919, avec pour capitale Wiesbaden. Elle rencontre immédiatement l’enthousiasme des journalistes français.
Mais les partisans d’une solution confédérale au sein du Reich, comme le maire de Cologne Konrad Adenauer, se montrent hostiles à cette aventure. Mal organisé, dénoncé par les partis allemands, le mouvement sécessionniste est rapidement éteint. Grâce à la protection française, les chefs ne sont guère inquiétés par la justice allemande ; ils sont cependant traqués par l’implacable haine des nationalistes.
Les journaux français, comme les états-majors, sont déçus. Bien que brouillonne, cette idée les a fait rêver. Les rédactions ouvrent désormais volontiers leurs pages aux récriminations rhénanes.
En décembre 1921, 534 délégués rhénans se réunissent à Bonn et demandent la création d'une république neutre de Rhénanie, aux cris de « À bas la Prusse ! ». La séparation est ainsi justifiée :
« Économiquement, politiquement et moralement […] la Rhénanie appartient à l'ouest, alors que la Prusse est une nation orientale et slave. Ce fut une grande faute en 1815 de nous avoir rattachés de force à la Prusse.
Lorsque les temps furent heureux, nous ne nous sommes jamais considérés comme des Prussiens. Maintenant que les temps sont mauvais, nous tenons encore moins à la Prusse. »
Les convives s’adressèrent naturellement à la France. Ils furent au moins entendus par une presse française gonflée d’orgueil par cet appel, à l’instar du Petit Marseillais :
« “La Rhénanie aux Rhénans !” C'est le cri poussé par les allemands oui veulent fonder une république.
L’orateur a terminé en criant : « Francs de la Seine et de la Meuse, aidez vos frères, les Francs du Rhin ! »
Naturellement, Berlin ne l’entendit pas de cette oreille, et la répression frappe les dirigeants rhénans. Mais ces derniers sont fermement protégés par l’armée française et soutenus par des personnalités telles que Maurice Barrès et plusieurs députés de droite et du centre.
Protégés et même, pour certains d’entre eux, encouragés par la France et la Belgique, les autonomistes et séparatistes rhénans font entendre leur voix. Ils profitent des crispations diplomatiques entre la France et l’Allemagne et bénéficient des exaspérations suscitées par la crise sociale due à l’hyperinflation dévastant l’économie allemande en 1922-1923.
Tandis que la situation s’envenime dans la Ruhr, le bras de fer entre Paris (et Bruxelles) contre Berlin débouche sur une mise en embargo de la région et l’extension de l’occupation militaire franco-belge dans la zone, le parti autonomiste fait savoir qu’il se dispose à faire bientôt remplacer les fonctionnaires allemands par des civils rhénans.
Pourtant, associés à la résistance passive de la population et à la grève générale, les actes de sabotage et les attaques contre les troupes d’occupation forment les premiers feux d’une véritable guérilla. Bien que perçu comme le suppôt de l’occupant, le mouvement rhénan pense cependant que le moment lui est favorable.
Les autonomistes et séparatistes rhénans parviennent à s’entendre à Coblence en juillet 1923 à l’occasion d’un grand rassemblement ; un succès très exagéré en France, alors que des bombes éclatent et que nationalistes et communistes leur mènent la vie dure. En effet, pour les communistes, « la République soi-disant libre de Rhénanie » n’est qu’une créature de l'impérialisme français.
Désormais uni, le mouvement s’étend et adopte une « Charte des groupements rhénans » en faveur d’une République rhénane indépendante assortie d’un programme largement relayé par une presse française convaincue : « L'appel des séparatistes rhénans doit être entendu par la France » titre le journal Le Rappel qui exige que la France sorte de sa neutralité : « Nous ne pouvons être que pour ou contre ».
Certes, on accuse en France les contre-manifestations d’être organisées « sans nul doute, par des émissaires prussiens », mais l’absence de soutien populaire est patente. La troupe française est régulièrement requise pour disperser les contre-manifestations, malgré les assurances selon lesquelles « le séparatisme rhénan n’est pas une création française ».
Bien que le sang coule, on croit à Paris que « plus fort, plus puissant, plus impressionnant encore deviendra le mouvement de déprussianisation méthodiquement et particulièrement entrepris par la Rhénanie ».
Le rubicon est franchi le 21 octobre 1923 par la proclamation, à Aix-la-Chapelle, de la République « libre » de Rhénanie.
Les bâtiments publics sont occupés durant la nuit et les couleurs du Reichsbanner noires, rouges et or remplacées ex abrupto par le vert, blanc, rouge de la République rhénane. Le gouvernement provisoire s'adresse aussitôt à la population :
« Au peuple rhénan !
L'heure de la liberté a sonné. Berlin nous a plongés dans la détresse et la misère. Nous nous aidons nous-mêmes ; nous proclamons aujourd'hui la République rhénane, libre et indépendante. Nous voulons vivre en paix et en amitié avec nos voisins et travailler effectivement avec eux à la reconstitution de l'Europe.
Travailleurs ! Chacun à son poste. »
Parti de la zone belge, le mouvement tente de s’étendre à la zone française, une progression suivie quotidiennement par la presse française mais entravée par l’action de groupes organisés soutenus par la police. On rêve néanmoins à Paris de la prochaine « dislocation de l’Allemagne ».
Ainsi, le monarchiste Jacques Bainville se réjouit dans la Liberté de voir craqueler cette Allemagne « unie, trop unie pour notre confort et notre sécurité », tandis qu’inquiet, le quotidien socialiste Le Populaire lui répond :
« Est-on bien sûr que “notre sécurité” dépende de la dislocation du Reich ?
Croit-on vraiment qu'une espèce de balkanisation de l'Allemagne, après le démembrement de l'Autriche-Hongrie, ne va pas multiplier les foyers d'intrigues dans toute l'Europe centrale, et rendre plus précaire que jamais la paix du continent ? »
Le drapeau rhénan est hissé sur les frontons des Rathaus des principales villes et les affrontements font cette fois des dizaines de morts ; « Journée de tuerie à Aix-la-Chapelle » titre L’Écho de Paris.
Quatre jours plus tard, la situation demeure très confuse. Aix-la-Chapelle est perdue, mais Coblence rejoint le mouvement. La passivité, voire la résistance de la population fait conclure à l’envoyé spécial du Journal :
« On ne peut s'empêcher, cependant, quand on connaît l'état moral de la population de Coblence, de penser que les vainqueurs de ce soir ne sont réellement pas nombreux. »
Le Palatinat rejoint à son tour la confédération rhénane par la proclamation d’une République palatine, mais sans davantage s’adjoindre les sympathies. L’offensive de communication du gouvernement provisoire est tournée vers la France, clé de son maintien ou de son effondrement. Une longue interview du président du gouvernement rhénan paraît dans Excelsior, le quotidien français le plus favorable aux séparatistes.
Mais la France s’aligne sur la Grande-Bretagne, qui ne veut pas entendre parler de ces nationalismes de clochers. Les conclusions d’une enquête publique britannique sont par ailleurs hostiles aux séparatistes, et à la France.
L’heure est à la liquidation. La police, mais aussi des formations de combats nationalistes venues d’Allemagne, n’ont aucun mal à venir à bout de la milice rhénane.
À Wiesbaden, Mayence, les séparatistes évacuent les bâtiments publics qu’ils tenaient encore tandis que leurs chefs sont assassinés, les uns après les autres. La « République Palatine » s’effondre dans des circonstances dramatiques.
Le 12 février 1924, trente séparatistes palatins, réfugiés dans les locaux de la sous-préfecture de Pirmasens sont assiégés par une foule qui met le feu au bâtiment. Les défenseurs se rendent mais sont massacrés dans des conditions effroyables.
Le Petit Parisien titre : « Horrible massacre des séparatistes palatins par des bandes nationalistes » et Le Journal relate en détail la tuerie à la hache des militants séparatistes.
Les « vêpres palatines » sonnent le glas de l’expérience rhénane. Les chefs sont accueillis en France mais les militants arrêtés sont inculpés de haute trahison.
En septembre 1934, les nazis organisèrent une grande fête sur les lieux du massacre, à Pirmasens, comprenant une reconstitution « historique ». Deux ans plus tard, la remilitarisation de la Rhénanie déchirait le Traité de Versailles. En 1939, les séparatistes rhénans réfugiés en France demandèrent à s’enrôler dans l’armée française.
En 1945, la France reprit possession de la rive gauche du Rhin, bien décidée cette fois à ne plus s’en laisser conter. Par la volonté française, le Land de Rhénanie-Palatinat (Rheinland-Pfalz) fut créé de toutes pièces en 1946, unifiant toute la rive gauche du Rhin à l’exclusion de la Sarre ; mais cela est une autre histoire rhénane.
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Édouard Sill est docteur en histoire, spécialiste de l'entre-deux-guerres, notamment de la guerre d’Espagne et de ses conséquences internationales. Il est chercheur associé au Centre d’Histoire Sociale des Mondes Contemporains.