Le procès de Flaubert : Madame Bovary sur le banc des accusés
En 1856, lorsqu’il fait paraître dans La Revue de Paris son roman Madame Bovary, Gustave Flaubert n’imagine pas que cela va le mener devant le tribunal. De nombreux lecteurs s’offusquent de ce roman qu’ils dénoncent comme dangereux pour les jeunes filles en raison de son manque de morale.
Un roman scandaleux
Gustave Flaubert a l’ambition d’élaborer un « roman moderne ». Après plus de cinq années de travail, il fait paraître du 1er octobre au 15 décembre 1856, dans La Revue de Paris, le premier épisode du roman consacré à Emma Bovary.
Flaubert y décrit la vie d’une jeune femme romantique mourant d’ennui au sein de son mariage sans passion. Après avoir été éduquée dans une institution religieuse, Emma Rouault se marie avec Charles Bovary, officier de santé. Elle mène alors une vie monotone aux côtés d’un mari insipide. Après leur installation à Yonville, elle fréquente les personnalités locales dont Léon Dupuis, clerc de notaire, et Rodolphe Boulanger, propriétaire du château de la Huchette, qui deviennent ses amants. Ayant accumulé les dettes et ne pouvant recevoir de soutien de ses amants, Emma Bovary se suicide. Son époux décède de chagrin par la suite.
Dans cette œuvre, Gustave Flaubert mêle aspects réalistes et aspects romantiques, mettant en scène l’incapacité à s’accommoder d’une existence banale.
Il défend aussi l’idée que l’art et la beauté doivent être indépendants de la morale. Ainsi, il ne met pas de héros en premier plan, mais des antihéros dont il ne cesse de se moquer.
Le procès de la morale
Dès sa parution et malgré la suppression de plusieurs descriptions jugées trop lascives, le roman attire les foudres des défenseurs de la morale. Gustave Flaubert, Léon Laurent-Pichat, gérant de la revue, et Pillet, imprimeur, sont accusés d’outrage à la morale publique et religieuse et aux bonnes mœurs. Le procès s’ouvre le 29 janvier 1857 devant la 6e chambre correctionnelle de Paris.
Ce procès est aussi l’affrontement de deux hommes, deux personnalités politiques et judiciaires posant des regards diamétralement opposés sur la société de la France du Second Empire. Le ministère public est représenté par le substitut du procureur impérial Pinard. Dans son réquisitoire, il dénonce le caractère lascif de l’héroïne, les atteintes aux valeurs morales et chrétiennes, la vulnérabilité du lecteur qui peut se laisser séduire, l’absence de condamnation de l’adultère, la disqualification de tous les personnages et l’appartenance de Flaubert au mouvement réaliste, synonyme d’immoralité pour lui.
La défense est assurée par maître Sénard, ancien président de l’Assemblée nationale, ancien ministre de l’Intérieur et ami personnel de Flaubert. Il défend son client en arguant du fait qu’il n’a fait que représenter le réel et en affirmant qu’il a également un objectif d’ordre moral et pédagogique puisqu’il représente une héroïne ordinaire vivant dans l’erreur. Il insiste aussi sur le fait que l’auteur cherche à faire réfléchir ses lectrices afin de les détourner d’un comportement immoral.
Le 7 février 1857, les inculpés sont finalement acquittés, le tribunal soulignant le caractère longuement et sérieusement travaillé et littéraire de l’œuvre, et ne retenant aucune charge contre les accusés.
Ernest Pinard (1822-1909)
Après des études en droit, il s’intéresse à la politique, soutenant la révolution de 1848. Nommé substitut du procureur de la République à Tonnerre, il se rallie à Louis-Napoléon Bonaparte. En 1853, il devient substitut au Parquet de la Seine où il se fait connaître lors des procès littéraires de 1857. Membre du Conseil d’État (1866), il est ministre de l’Intérieur de novembre 1867 à décembre 1868. En 1869, il est élu député du Nord. Sous la IIIe République, il soutient la cause impérialiste jusqu’à la mort du prince Napoléon en 1879. Il se retire de la vie politique en 1882.
Un procès symptomatique ?
Les principaux titres de la presse se contentent de communiquer sur le jugement rendu. Le Constitutionnel publie la résolution de l'affaire dans son Bulletin des tribunaux à l'instar de La Presse, Le Siècle et Le Journal des Débats politiques et littéraires. Ce dernier énonce
«Dans ses numéros du 1er et 15 octobre, 1er et 15 novembre, 1er et 15 décembre, La Revue de Paris a publié un roman intitulé Madame Bovary, écrit par M. Gustave Flaubert. Ce roman a été poursuivi par le ministère public, comme contenant le double délit d'outrage à la morale publique et outrage aux bonnes moeurs. L'affaire a été portée à la 6ème chambre le 30 janvier dernier; M. Pinard, avocat impérial, a soutenu la prévention; la défense des prévenus a étépréentée par Mes Senard, Desmarets et Faverie»
L’épisode judiciaire va, en partie, assurer le succès commercial du roman grâce à l’impressionnante publicité qu’il va lui apporter. Profondément marqué par le procès, Flaubert se retire dans sa demeure à Croisset, vivant comme un ermite mais travaillant énormément. Afin de remercier maître Sénard, il va lui dédicacer la première édition de son roman, publié le 15 avril 1857.
Gustave Flaubert publie son roman à l’apogée du Second Empire (1852-1870), qui est dans sa période autoritaire. Ce régime s’appuie sur la population rurale et conservatrice, ainsi que sur la religion et l’ordre. Parmi les raisons d’être de ce procès, il faut aussi noter que La Revue de Paris est un journal d’opposition, de tendance libérale.
Le procès est symptomatique de la politique de censure qui pèse sur la presse. De nombreux auteurs vont également faire la même expérience, comme Baudelaire pour Les Fleurs du Mal en juillet 1857 (cf. format long), et Eugène Sue en septembre 1857 pour Les Mystères du peuple. C’est d’ailleurs l’avocat impérial Pinard qui sera l’auteur du réquisitoire. Les deux grands procès littéraires de l’année 1857 font une publicité aux auteurs incriminés. En 1880, Flaubert prend part à la défense de Maupassant, poursuivi pour son poème Au bord de l’eau.
Gustave Flaubert (1821-1880)
Fils du docteur Achille Flaubert, chirurgien-chef de l’Hôtel-Dieu de Rouen, il vit près de Rouen, à Croisset. En 1841, il entame des études de droit à Paris mais, dit-on, préfère lire Montaigne. À la mort de son père en 1846, l’héritage qu’il reçoit lui autorise à vivre en rentier. Puis une maladie nerveuse lui « permet » de se consacrer à sa passion : l’écriture. Auteur majeur, son œuvre est incontournable dans la littérature du XIXe siècle. Il est notamment l’auteur de Madame Bovary (1857), Salammbô (1862), L’Éducation sentimentale (1869), Bouvard et Pécuchet (1881).
Madame Bovary
Adaptation de la pièce de Gaston Baty écrite d'après le roman de Flaubert paru en 1857, réalisée pour la télévision par Claude Barma. Si les scènes tournées en extérieur semblent être soulignées par le texte de Flaubert dit par Bernard Hubrenne, les scènes avec Charles ou Rodolphe semblent être extraites de la pièce de Gaston Baty. Très vite, Emma, fille d'un riche fermier, devenue l'épouse d'un simple officier de santé, trouve le quotidien monotone, s'ennuie et rêve d'une vie mondaine. Ses aspirations l'entraînent de désillusion en désillusion jusqu'au drame final.