Écho de presse

L’assaut final sur les anarchistes de la Bande à Bonnot

le 28/05/2018 par François Cau
le 28/11/2017 par François Cau - modifié le 28/05/2018
Jules Bonnot assassine le chef adjoint de la Sûreté M. Jouin, Le Petit Journal du 5 mai 1912 - source : BnF-RetroNews

1911. Après le braquage de la Société Générale, la presse française se repaît de l’addictive panique causée par le gang de braqueurs anarchistes mené par Jules Joseph Bonnot. Cette course démente de vols et de meurtres se conclut comme un western.

Jules Bonnot et ses complices auront été des apôtres zélés de la « reprise individuelle », la réappropriation des richesses prônée par la doxa anarchiste, relevée par leurs soins d’une innovation majeure : pour la première fois dans les annales du banditisme, l’usage de l’automobile permet de faire la nique aux forces de l’ordre, encore à cheval ou à vélo.

La Bande à Bonnot semble aussi impitoyable qu’insaisissable. Les descentes dans les milieux anarchistes finissent néanmoins par payer. Durant le mois d’avril 1912, quatre « bandits tragiques », comme les nomme la presse, sont arrêtés.

Le 24 avril, deux policiers tombent nez à nez avec Jules Bonnot lors d’une perquisition à Vitry. Fidèle à son modus operandi, le gangster canarde, tue le sous-chef de la Sûreté Jouin, blesse le brigadier Colmar et prend la fuite.

C’est peu dire que le sujet passionne l’opinion publique. Dès que la nouvelle du siège de Jules Bonnot par la Sûreté remonte à la capitale, le quotidien La Presse publie trois éditions spéciales dans la matinée du 29 avril 1912, compte-rendu détaillé heure par heure de l’avancée des événements.

La veille au soir, Bonnot aurait été aperçu dans un garage de Choisy-le-Roi, propriété du « millionnaire anarchiste » Albert Fromentin, entretenue par Jean Dubois, complice de Bonnot. Le chef de la Sûreté Guichard, flanqué de ses hommes, se rend au garage et raconte son arrivée sur les lieux à L’Humanité.

« Vers 7h, j’arrivais avec Legrand et mes inspecteurs devant le garage Dubois. Avec précaution, j’ouvrais la porte et je me trouvais nez à nez avec un homme que mon sous-chef a reconnu pour être Dubois et qui était sur le point de partir à motocyclette. Sa machine était là, près de lui, en état ; il était lui-même prêt à filer.

Un de mes hommes tire sur cet individu ; le coup rate. Le bandit riposte et atteint légèrement au bras l’agent Arion. L’échange de balles se continue ainsi pendant quelques secondes, sans résultat. Je fais baisser les revolvers de mes agents et crie : “Haut les mains ! Sortez, on ne vous fera rien.” Cette injonction ne produit aucun résultat ; l’homme, toujours menaçant, bat simplement un peu en retraite et se retire vers le fond du garage.

Nous sortons de la maison. Au même moment, du balcon, partent des coups de feu. Un individu caché derrière l’affiche : “Lotissement Fromentin”, qui fait paravent, brandit une arme et ne cesse de tirer. »

Cet homme, c’est Jules Bonnot, retranché à l’étage pendant le premier échange de coups de feu. Touché, Dubois succombe rapidement à ses blessures.

Guichard fait replier ses hommes et les positionne de façon à encercler la position. Des renforts sont appelés. Le journal de la droite catholique La Croix se lâche un tantinet dans le descriptif exalté de l’action.

« On a sonné la générale : les habitants du pays accourent avec leurs fusils, d’autres même avec des fourches. Et alors, tous cachés derrière les arbres, ou à l’abri du talus de la route, tirent sur la maison. »

Le siège s’éternise pendant quatre longues heures. Jules Bonnot profite de sa position dominante et de l’incertitude de ses assaillants pour rédiger son testament, d’une écriture de plus en plus fiévreuse au fil des échanges de tir.

Derrière les tranchées, décision est prise par les gradés de dynamiter le bâtiment pour en finir une bonne fois pour toutes. Le lieutenant Fontan se porte volontaire en sa qualité de célibataire. Il s’y reprend à trois fois pour installer la bonne dose d’explosifs dans la muraille du bas, dissimulé derrière une charrette de paille – le chien de Dubois l’attaque à sa première tentative, l’animal récolte une balle.

La charge explose et emporte avec elle la moitié de la façade. Le temps pour les pompiers d’éteindre l’incendie, et la Sûreté monte à l’étage. Fidèle à son modus operandi, Bonnot feint d’être mort avant d’ouvrir le feu. Cette fois-ci, il manque et se fait cribler de balles par les forces de l’ordre.

Son corps agonisant est descendu sous les clameurs de la foule, prête à le lyncher. Il mourra à l’hôpital, laissant derrière lui ses derniers mots rédigés :

« Ce que j’ai fait, dois-je le regretter ? Oui… peut-être. Mais s’il me faut continuer, malgré mes regrets, je continuerai.

Il me faut vivre ma vie. J’ai le droit de vivre. Tout homme a le droit de vivre, et puisque votre société imbécile et criminelle prétend me l’interdire, eh bien ! tant pis pour elle ! tant pis pour vous. »

Plus loin, Jules Bonnot exonère ses complices de toute responsabilité. Le Figaro résume de manière lapidaire le reste du texte.

« Il y en a quinze grands feuillets, où se retrouve la phraséologie habituelle des révolutionnaires et des anarchistes. Les “exploiteurs qui font travailler les pauvres diables”, les “chaouchs de Biribi !!!”. Bonnot estime n’être pas plus coupable qu’eux. »

Dans toutes les parutions relatant l’événement, le soulagement domine. Flotte également un assez peu délicat fumet d’excitation de cette fin spectaculaire. Dans cet élan, la palme de la virulence revient au Petit Journal, dans son évocation du testament de Jules Bonnot.

« Au temps des Ravachol, des Henry et des Vaillant, ce genre de factum était déjà de mode : il s’agissait, comme aujourd’hui, de frapper – ou plutôt d’égarer – l’opinion publique. Bonnot y ajoutait une note personnelle, preuve manifeste de la vanité incommensurable du bandit, qui s’était déjà manifestée à maintes reprises et qu’avait encore exacerbée ses derniers “exploits”.

Il croyait, le misérable, devoir sa triste célébrité à la publicité donnée à ses crimes, sans se rendre compte que c’était l’énormité et le cynisme de ces crimes multipliés qui avaient forcé l’attention à se porter sur lui ! »

Aucun outrage ne porte néanmoins plus atteinte au militantisme de Bonnot et sa bande que ce paragraphe laconique du Figaro.

« On a vendu environ neuf cent mille exemplaires d’éditions spéciales. Les camelots ont fait fortune. »