Écho de presse

Félix Fénéon, anarchiste concis

le 05/12/2018 par Michèle Pedinielli
le 30/08/2018 par Michèle Pedinielli - modifié le 05/12/2018
Paul Signac, « Sur l'émail d'un fond rythmique de mesures et d'angles, de tons et de teintes, portrait de M. Félix Fénéon », 1890 - source : MoMa-WikiCommons

Il suffisait de trois lignes pour que la prose de Felix Fénéon s’épanouisse dans les colonnes du Matin. Anarchiste, lettré et féru d’art, ce journaliste deviendra le maître incontesté de la brève. Et le découvreur de nombreux talents avant-gardistes.

« Mme Fournier, M. Vouin, M. Septeuil, de Sucy, Tripleval, Septeuil, se sont pendus : neurasthénie, cancer, chômage. »

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Quand le grand quotidien Le Matin crée ses « Nouvelles en trois lignes » en 1905, il s’agit pour le journal de donner à ses lecteurs un tour de monde en informations courtes, ne dépassant effectivement pas trois lignes. Lorsque Félix Fénéon est embauché en mai 1906 comme rédacteur de cette nouvelle rubrique, il élève la brève journalistique au rang de vrai genre littéraire.

Ramassée, précise, ironique, son écriture fait mouche en moins de 140 signes, souvent plus efficace qu’un long reportage.

« Le feu, 162, bd Voltaire. Un caporal fut blessé. Deux lieutenants reçurent sur la tête l'un une poutre l'autre un pompier. »

« Un cultivateur des environs de Meaux, Hipp. Deshayes, marié, père de 4 enfants, s'est pendu, on ne sait pourquoi. »

« 500 havanes et 250 fioles de vin : butin des cambrioleurs qui visitèrent, au Vésinet, la villa de la cantatrice Catherine Flachat. »

Si les « Nouvelles en trois lignes » sont rédigées de manière anonyme, Felix Fénéon n’est pas un inconnu du milieu politique, artistique et journalistique. En 1886, il adhère aux idées anarchistes et collabore à la revue En dehors de Zo d’Axa [lire notre article]. En 1894, il travaille au ministère de la Guerre lorsqu’il est arrêté dans le cadre de l’attentat contre le restaurant Foyot.

Le pourtant très conservateur Le Gaulois dresse un portrait positif de cet homme féru de science et de littérature, admirateur des pointillistes et dénicheur de talents artistiques.

« M. Félix Fénéon, un grand jeune homme de trente-trois ans, est très connu parmi la jeune génération d'artistes. Il a même joué, dans l'évolution littéraire et artistique d'avant-garde, un rôle assez important.

Car il fut, non pas précisément un écrivain, mais un metteur en œuvre adroit, actif et très ardent. il a dirigé plusieurs revues de jeunes gens, où se sont essayés à peu près tous les jeunes écrivains qu'on appela successivement décadents, symbolistes, etc. […]

Paul Verlaine tançait volontiers sa verve gamine sur les chaussés de ce singulier personnage, dont la silhouette immobile l’étonnait. Il est rigolo, disait Verlaine. »

Lors du procès dit « des Trente » qui se déroule en août 1894, Le Figaro ne peut s’empêcher d’admirer la verve et l’ironie mordante de Fénéon en rapportant l’intégralité de sa défense. À propos de deux de ses co-accusés :

« – Pourquoi, si les choses se sont passées aussi naturellement, avez-vous commencé par prétendre que vous ne le connaissiez pas ?

– Le jour de mon arrestation, j'ai répondu systématiquement “non” à toutes les questions qu'on me posait. Il eût été au moins décent, de me laisser le temps de me remettre et de m'habituer aux menottes. [Rires.] Puis, il me répugne de donner des renseignements sur quelqu'un. Si l'on m'en avait demandé sur vous-même, monsieur le président, j'aurais observé la même réserve. […]

– Vous étiez également l'ami d'un anarchiste allemand nommé Kampfmeyer, le chef du “parti des jeunes” à Berlin.

– Kampfmeyer ne sait pas le français ; j'ignore l'allemand. Nos conversations ne pouvaient pas être bien subversives. [Rires.] »

Lorsqu’on l’accuse d’avoir détenu du mercure chez lui, élément utilisé dans la fabrique des bombes, il répond avec la même facilité.

« J’ai trouvé ce flacon de mercure et ces tubes de fer-blanc au mois, de mars 1894, en déménageant la chambre à coucher de mon père qui venait de mourir. […] Il y avait aussi une médaille de Sainte-Hélène et la peau d'un chat noir. [Hilarité prolongée]. […]

M. le président – Votre père, employé à la Banque de France, n'aurait jamais conservé chez lui des engins explosifs.

Réponse – Pas plus que son fils, employé au ministère de la Guerre. […]

Demande – Le mercure sert à la confection des explosifs ?

M. Fénéon – Et des baromètres. [Rires.] »

Felix Fénéon est acquitté. Quittant le ministère de la Guerre, il devient secrétaire de rédaction puis rédacteur en chef de la Revue Blanche. Son intérêt pour la peinture en général, et l’impressionnisme et le pointillisme en particulier, en font un spécialiste de ces mouvements d’avant-garde. Après la Revue Blanche, il est embauché au Figaro puis au Matin, où il excelle dans la concision des « Nouvelles en trois lignes » jusqu’en novembre 1906.

Il abandonne alors le journalisme pour se consacrer à l’art, devenant responsable de galerie et directeur littéraire (il publie James Joyce, Jerome K. Jerome ou Jules Laforgue). Il se consacre aussi à la promotion de l’œuvre de Georges-Pierre Seurat.

Félix Fénéon n’a écrit qu’une seule œuvre de son vivant, Le Manifeste des néo-impressionnistes, en 1886. Le recueil de ses « Nouvelles en trois lignes » sera édité pour la première fois chez Gallimard en 1948, permettant au public de découvrir l’ironie, le cynisme et la férocité de Félix Fénéon. Et parfois aussi, sa poésie.

« On couronnait les écoliers de Niort. Le lustre tomba, et les lauriers de trois d’entre eux se teignirent d’un peu de sang. »