Écho de presse

« Les Visages pâles ont gagné » : l'entre-deux-guerres chez les Amérindiens déchus

le 20/03/2020 par Pierre Ancery
le 29/10/2018 par Pierre Ancery - modifié le 20/03/2020
Trois Amérindiennes de la réserve de Warm Springs, Oregon, 1902 - source : Library of Congress
Trois Amérindiennes de la réserve de Warm Springs, Oregon, 1902 - source : Library of Congress

Dans les années 1920 et 1930, la presse française part à la rencontre des Nord-Amérindiens vivant dans des réserves. Elle insiste sur leur déchéance et le dépérissement de leur culture.

Dans l'entre-deux-guerres, de nombreux journaux français s'interrogent : comment vivent désormais les « Native Americans », habitants originels de l'Amérique du Nord ? Que reste-t-il des tribus amérindiennes des États-Unis et du Canada, décimées au cours des siècles précédents ?

 

On estime en effet que 90% de ces dernières ont disparu suite à l'arrivée des Européens en Amérique du Nord. La première cause en fut l'introduction de maladies inconnues des Américains natifs. La seconde, une politique systématique de spoliation de leurs terres par le gouvernement, au XIXe siècle.

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Bien que non exempts de clichés et de préjugés sur ce qu'on nomme alors « la race indienne », la plupart des reportages publiés en France dans les années 1920 et 1930 vont insister sur la déchéance des Amérindiens et sur l'agonie de leur culture ancestrale.

 

Tandis que nombre d'entre eux tentent de s'intégrer dans la société américaine « moderne » (les Amérindiens acquièrent la nationalité américaine en 1924), beaucoup vivent dans des réserves où règne une grande pauvreté et où l'alcoolisme fait des ravages.

 

En 1927, Les Annales politiques et littéraires s'intéressent aux « Peaux-Rouges du Canada ». Le journaliste s'étonne :

« Au risque de priver nos lecteurs de pittoresques illusions, je noterai d'abord que ces coiffures de plumes et autres ornements vestimentaires sont, neuf fois sur dix, des souvenirs familiaux dont les Indiens ne se parent que les jours de fêtes, à moins que ce ne soit pour honorer quelque distinguished visitor.

 

En dehors de ces rares occasions, ils s'habillent, les femmes comme les hommes, à l'européenne, et j'ajouterai que beaucoup se livrent à des occupations qui ne vous permettraient pas de les distinguer de leurs concitoyens de race blanche [...].

 

Vous trouverez sur leur réserve de nombreux appareils de radio, des phonographes à la douzaine. Vous y rencontrerez même de jeunes squaws qui portent les cheveux coupés à la mode... et qui fument la cigarette ! »

En 1934, L’Écho de Paris se rend à Loretteville, près de Québec, et raconte le dépérissement de la culture amérindienne, dont les attributs traditionnels se transforment en simples attractions touristiques :

« Ce qu'il y a de plus caractéristique et de plus spécifiquement indien dans la réserve indienne de Loretteville, par exemple, c'est le bazar où l'on vend des calumets aux touristes […]. Pour ce qui est de ces « cornets » ou calumets actuels, sans doute pourraient-ils être aussi bien fabriqués dans le Jura, par les marchands de pipe de Saint-Claude. »

Les réserves indiennes ont été mises en place dès 1830 par le Congrès des États-Unis. Les premières furent ainsi établies dans l'Oklahoma, pour y déporter les Amérindiens dépossédés de leurs terres par l' « Indian Removal Act » – une politique qui fut à l'origine, entre autres, de la terrible guerre des Sioux entre 1876 et 1881.

 

Un demi-siècle plus tard, comme le note L’Écho de Paris, « ces réserves indiennes ne sont plus guère que des fictions administratives ; c'est-à-dire que les habitants, qui peuvent y justifier de leur origine indienne, y bénéficient d'un certain nombre d'exemptions de taxes et d'un privilège de juridiction ».

 

Dans certaines d'entre elles, les conditions de vie sont déplorables. En 1928, L’Écho de Paris, encore lui, se livre à « une excursion chez les Indiens » Nevaho et Yopi, dans le Grand Canyon, en Arizona. Le journal fait un tableau très sombre de leur existence :

« Il ne se trouve au milieu de ces solitudes à plus de deux mille mètres d'altitude que de pauvres bourgades peuplées de Nevaho et de Yopi qui comptent parmi les plus sauvages et les plus misérables des Indiens du Nord [...].

 

On connaît les théories puritaines vis-à-vis des races inférieures. Ne pouvant pas prétendre faire des Peaux-Rouges ce qu'ils faisaient autrefois des noirs, à savoir des esclaves, leur politique a d'abord été une politique de destruction pure et simple.

 

Au cours des guerres, marquées par des échanges de cruautés sans nom, ils ont fait disparaître les races les plus fières. Le whisky a rempli ensuite sa fonction d'abrutissement et de dégénérescence systématiques. Finalement, celles des tribus qui persistaient à ne pas vouloir mourir tout à fait ont été parquées dans d'immenses territoires, pauvres sinon désertiques, comme ceux des Nevaho et des Yopi. »

Dans les années 1930, la mémoire des guerres indiennes est encore très vive (du moins chez les Amérindiens), comme le note cet envoyé spécial de Paris-Soir, parti à la rencontre des Iroquois de la réserve de Caughnawaga, près de Montréal.

« Les vieux Indiens vous disent encore :

 

Nous n'avons pas oublié Wounded Knee.

 

C'est le nom de la bataille où sont morts les derniers Peaux-Rouges qui, après quatre siècles de luttes incessantes, étaient encore capables de combattre les Blancs et leurs armes terrifiantes. Mais si les Peaux-Rouges ont disparu comme adversaires, il serait faux de prétendre qu'ils n'existent plus sur le sol canadien [...]. A peine débarqué du bac, je m'aperçois que, dans ce long village qui s'étale le long du fleuve, il n'y a presque plus de Blancs. »

Plus loin, le journaliste interroge un homme du nom d'« Élan Bondissant ». Ce dernier témoigne du destin tragique de son peuple :

« — Vous ne trouverez pas de « l'eau de feu » [de l'alcool], me dit-il. Elle est proscrite dans ma maison. Nous ne la supportons pas. Et même après des générations le Canadien qui a tant soit peu de sang indien devient fou dès qu'il en boit.

 

Les Bons Pères ont dû vous dire du bien de nous mais ils ne connaissent, en réalité, ni nos défauts ni nos vertus. Nous en avons beaucoup des uns et des autres [...]. Ici nous sommes Chrétiens, mais nous n'avons pas cessé d'être Indiens.

 

Il faut entendre le soir les vieillards nous raconter les grandes batailles d'autrefois. Il y en a qui les ont encore vues de leurs yeux. Malgré les massacres systématiques pendant les siècles, malgré l'égorgement des femmes et des enfants, il y a des tribus qui ont tenu jusqu'en 1891 contre des régiments entiers de l'armée américaine [...].

 

Moi qui vous parle, j'ai encore connu « Red Cloud» (Nuage Rouge) qui est mort, il y a 24 ans, dans les réserves des États-Unis, à l'âge de 87 ans.

 

Nous avons une prophétie qui dit qu'un jour tout changera chez les Blancs, les gouvernements, les sociétés et les églises. Les villes n'auront plus la même figure. Les riches seront envoyés en servitude. Ce jour-là, les nations indiennes retrouveront une place honorable. En attendant, que pouvons-nous faire ? Nous sommes guère plus de 100.000 au Canada et on nous considère comme des sortes de figurants de cirque ! »

En 1938, Paris-Soir publie un reportage dans les territoires réservés aux Indiens Cherokee, aux Etats-Unis. « Les visages pâles ont gagné », titre le journal, ajoutant : « En vain maintenant les Américains essayent-ils d'adapter les Indiens à la vie moderne. Sans une plainte la race indienne meurt. » La conclusion de l'article est pessimiste :

« Que faut-il souhaiter aux peuples ? Une paix larveuse, réglementée comme la vie des bœufs, ou une existence plus dangereuse, sans doute, mais au goût relevé, une existence à laquelle on attribue plus de prix parce qu'elle est fragile, instable, une existence tumultueuse ? […]

 

Les bisons d'Amérique avaient presque disparu, à quelques dizaines près. On a réussi à remonter le troupeau. Ils sont maintenant plusieurs centaines de mille, dans des réserves. Remontera-t-on le nombre des Indiens et de leurs tribus ? »

D'après un recensement de 2016, il y a aujourd'hui environ 5,4 millions d'Amérindiens aux États-Unis. Ils étaient 330 000 en 1930. Au Canada, ils seraient plus d'un million.

 

Dans ces deux pays, les réserves indiennes existent toujours : malgré une amélioration de leurs conditions de vie, ces communautés sont toujours touchées par la pauvreté, l'exclusion et l'alcoolisme.

 

 

Pour en savoir plus :

 

Gilbert Legay, Dictionnaire des Indiens d'Amérique du Nord, Casterman, 2005

 

Paul Coze et René Thévenin, Moeurs et histoire des Indiens d'Amérique du Nord, Payot, 2004

 

Angie Debo, Histoire des Indiens des États-Unis, Albin Michel, 1994