Écho de presse

Nouvelle-Calédonie : la grande révolte kanak de 1878 contre les colons français

le 25/06/2021 par Pierre Ancery
le 02/11/2018 par Pierre Ancery - modifié le 25/06/2021
Nouvelle-Calédonie, photographie de Allan Hughan, 1883 - source Gallica BnF

En 1878, une partie des autochtones de la Nouvelle-Calédonie, française depuis vingt-cinq ans, se révoltent contre les colons. En métropole, la presse soutient l'écrasement des insurgés.

1878, en Nouvelle-Calédonie. Parmi les autochtones - les Kanaks, la colère gronde. Depuis que l'archipel est devenu une colonie française, en 1853, les motifs de ressentiment ne manquent pas.

 

À l'époque, la France de Napoléon III avait choisi de s'installer en Nouvelle-Calédonie pour renforcer sa présence dans le Pacifique, dominé alors par les Britanniques et les Néerlandais. Mais aussi afin de créer une colonie pénitentiaire destinée accueillir les bagnards de la métropole.

 

Outre ces bagnards, qui sont plus nombreux après la Commune de Paris, la Nouvelle-Calédonie abrite une population de colons libres. L'administration coloniale leur procure sans cesse de nouvelles terres, qui sont prises aux Kanaks.

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La colonisation remplace les cultures traditionnelles des Kanaks par une agriculture coloniale destinée à l'élevage bovin. Les colons mettent leur bétail sur les jachères des Kanaks, empiètent sur les lieux sacrés, déforestent et déstabilisent l'économie vivrière indigène. À partir de 1868, des « réserves » sont créées pour les Kanaks, astreints à se regrouper dans les territoires délimités à cet effet.

 

En 1878, les chefs kanaks se regroupent pour préparer une insurrection. L'objectif initial est Nouméa, la ville créée par les colons. Mais le 19 juin, un groupe de Kanaks massacrent le bagnard libéré Chêne, sa femme kanak et leur fils, ce qui entraîne l'arrestation des chefs de la région. Le 25 et 26, le chef Ataï et ses guerriers attaquent La Foa et Boulouparis, libérant les chefs emprisonnés et massacrant une centaine d'européens. C'est le début de la grande révolte kanak.

 

Les informations parviennent avec beaucoup de retard en métropole. Le 12 juillet 1878, Le Constitutionnel écrit :

« Nouvelle-Calédonie. Tribus soulevées.

 

Le Times publie la dépêche suivante :

 

Sydney, 11 juillet. La tribu des Bouloupari et une autre tribu se sont soulevées contre le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ; ils ont massacré 125 habitants blancs, parmi lesquels des colons, des gendarmes, des femmes et des enfants. Plusieurs cadavres ont été mutilés. Deux postes militaires ont été pris. Le colonel Galli-Passebossc a été tué à la tête de ses troupes.

 

On fait actuellement aux indigènes une guerre d'extermination. Les déportés et les forçats sont tranquilles. »

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La Lanterne donne des détails trois jours plus tard :

« La massacre dont les Canaques se sont rendus coupables dans la Nouvelle-Calédonie a été le résultat d'une surprise. Attaqués à l'improviste, le colonel Gally-Passebosc et neuf soldats ont été tués. Quatre-vingts colons ont subi le même sort [...].

 

Deux compagnies d'infanterie sont déjà parties de Saïgon pour la Nouvelle-Calédonie. Elles seront remplacées en Cochinchine par deux nouvelles compagnies expédiées de Toulon. »

Dès lors, la presse parisienne va s'intéresser à cette lointaine colonie où la domination française vient d'être si brutalement remise en cause. Le Français dresse le 17 juillet un tableau détestable de la Nouvelle-Calédonie et de ses autochtones, dépeints comme des sauvages :

« Il ne faut rien moins que des héros de vertu et des apôtres prêts au martyre pour tenter l’évangélisation de peuplades comme les tribus néo-calédoniennes. Ces peuplades sont horriblement sauvages. Elles forment différentes tribus, qui, sous le nom générique et commun à toutes de Canaques, occupent les diverses parties de l'île.

 

Le chiffre des hommes qui composent ces tribus est évalué à 40 000 ou 50 000 hommes. Chacune des tribus a ses mœurs particulières, mais une extrême férocité est leur caractère commun. La Nouvelle-Calédonie est un des points de l’Océanie où le cannibalisme est encore pratiqué d’une manière générale. Aucun gibier ne se rencontre dans les solitudes néo-calédonienne ; les Canaques seraient donc contraints à se nourrir exclusivement de poissons et de végétaux s’ils ne trouvaient de temps en temps le moyen de faire un repas de chair humaine [...].

 

Il faut espérer que nous recevrons bien tôt des renseignements plus détaillés sur les faits qui viennent de se passer en Nouvelle Calédonie. Dès maintenant, il y a lieu d’espérer qu’au moins contre les cannibales des environs de Nouméa le gouvernement ne manquera pas d’énergie. »

Concernant la pratique de l'anthropophagie en Nouvelle-Calédonie, plusieurs témoignages de colons datant de cette époque rapportent que les Kanaks s'y livraient en effet lors de rituels guerriers.

 

À une époque où le colonialisme n'est quasiment jamais remis en cause, l'ensemble de la presse française se montre favorable à l'écrasement des insurgés. Le Gaulois écrit ainsi le 15 octobre :

« Nous ne demandons pas mieux que de partager la confiance du gouvernement dans une prochaine pacification de l'île.

 

Plus la lutte se prolonge et plus il est à craindre que l'esprit de révolte ne gagne les tribus alliées. Et on sait, hélas, que le mauvais exemple est fatalement contagieux chez les peuplades d'une race qui ne s'est pas encore totalement dépouillée de ses instincts belliqueux et féroces.

 

Comme nous le disions, il y a huit jours à peine, un châtiment rigoureux devra être infligé aux rebelles : le salut de notre colonie est à ce prix. »

Le 18 novembre, le même journal publie le long témoignage d'un habitant anonyme de Nouméa (daté du 1er et 2 septembre). Si celui-ci ne remet pas en cause la légitimité de la présence française en Nouvelle-Calédonie, il dénonce les nombreuses « erreurs » commises par les colons :

« Voilà deux mois que les troupes ont été chargées de châtier les tribus canaques en révolte ; vous verrez dans les journaux de la colonie qu'aucun résultat appréciable n'a encore été obtenu [...].

 

Il est très probable que beaucoup des griefs des Canaques étaient plus ou moins chimériques, mais il y en avait de graves et tous auraient pu être facilement aplanis, s'ils avaient été connus, et qu'on en eût voulu examiner les conséquences. À moins que, leur faisant application de la formule opposée si souvent aux blancs : « L'administration l'a décidé ainsi, cela sera », leurs justes réclamations n'aient aussi été repoussées.

 

Aussi, je n'hésite pas à déclarer qu'il ne faut pas chercher les causes de la révolte canaque ailleurs que dans l'enchaînement des faits déplorables résultant du système d'administration qui régit notre colonie. »

Parmi les très rares Français à comprendre le combat des Kanaks, la communarde Louise Michel, déportée en Nouvelle-Calédonie.

 

Sur place, la révolte dure. Certaines tribus ont rejoint les Français. Malgré la mort d'Ataï le 1er septembre, tué par un adversaire kanak, les combats se prolongent. Mais entre-temps, les renforts venus d'Indochine sont arrivés et, en décembre 1878, l'insurrection est matée.

 

En janvier 1879, L'Univers offre un long résumé des événements et fait le portrait à charge du leader kanak défunt :

« La présence d'Ataï à la tête du mouvement le prouve bien. Ataï est un Canaque qui n'a jamais accepté notre occupation : jamais il n'a laissé passer une occasion de faire de l'opposition aux ordres qui lui étaient donnés par l'autorité. Il n'a point pris nos usages ; il est resté ce qu'il était : un sauvage dangereux [...].

 

Exterminer les blancs jusque dans leurs enfants et leurs domestiques, sans distinction de couleur, s'emparer de leurs dépouilles et les chasser de la Nouvelle-Calédonie, voilà quel a été le but poursuivi. »

En février, le gouverneur Olry promet le pardon aux rebelles. Le 3 juin, ces derniers se rendent, l'état de siège est levé. Les Kanaks ont perdu. La révolte aura provoqué la mort de 200 Européens et entre 800 à 1000 Kanaks. Plus de 1500 seront déportés. Les chefs, eux, sont tous exécutés sans procès, à l'exception d'un seul.

 

Pendant toute la fin du XIXe siècle, la mainmise foncière des colons s'intensifie.

 

Une autre révolte aura lieu en 1917, motivée en outre par le refus de nombreux autochtones de se voir envoyés sur le front européen. Elle sera durement réprimée. En 1931, des Kanaks sont exposés dans un enclos de cases au Jardin d'acclimatation pour l'Exposition coloniale. Dans les années 1970, un mouvement séparatiste s'organise en Nouvelle-Calédonie.

 

Les tensions communautaires aboutiront aux tragiques « événements » de 1984-1988 qui aboutissent aux accords de Matignon. Ceux-ci, complétés par l'accord de Nouméa en 1998, prévoient à terme un référendum d'autodétermination pour les Calédoniens. Celui-ci doit avoir lieu le 4 novembre 2018.

 

 

Pour en savoir plus :

« La Nouvelle-Calédonie : "une colonisation pas comme les autres" », interview de Michel Naepels sur le passé colonial de l'archipel par le Magazine L'Histoire.

 

Frédéric Angleviel, Histoire de la Nouvelle-Calédonie : Approches croisées, Les Indes savantes, 2007

 

Joël Dauphiné, Les spoliations foncières en Nouvelle-Calédonie (1853-1913), L'Harmattan, 1989

 

« Ataï, plus d'un siècle d'exil », 2011, article sur lemonde.fr