Écho de presse

Hector Guimard, maître français de l’Art nouveau

le 25/02/2022 par Pierre Ancery
le 11/02/2022 par Pierre Ancery - modifié le 25/02/2022
L'architecte Hector Guimard dans son agence-atelier du Castel Béranger, carte postale, 1903 - source WikiCommons

Concepteur en 1900 des célèbres entrées du métro parisien, Hector Guimard fut la figure centrale de l’architecture Art nouveau en France. Passé de mode dès les années 1910, il sombra dans l’oubli avant d'être tardivement réhabilité, après sa mort.

D’Hector Guimard, tout le monde connaît les fameuses entrées du métro parisien, immédiatement reconnaissables avec leur couleur verte, leur ligne évoquant la tige d’une fleur et leur lettrage typiquement 1900. Mais l’homme reste méconnu. Architecte et designer, il fut pourtant, au tournant du XXe siècle, le représentant majeur de l’Art nouveau en France.

Né à Lyon en 1867, il entre en 1882 dans la prestigieuse École nationale supérieure des Arts décoratifs de Paris. Là, il se passionne pour les théories de Viollet-le-Duc et se familiarise avec l’usage des matériaux modernes (fer, ciment...).

Sa première réalisation date de 1888, lorsqu’il conçoit un café-concert à Auteuil. Suivent l’hôtel Roszé en 1891, l’hôtel Jassedé en 1893 ou l’Atelier Carpeaux en 1895.

Mais c’est le Castel Béranger, construit entre 1894 et 1898, qui va le rendre célèbre. Alors que l’édification de ce vaste immeuble d’habitation avait déjà commencé rue La Fontaine, dans le 16e arrondissement de Paris, Guimard découvre lors d’un séjour à Bruxelles le travail de Victor Horta, un architecte puissamment novateur dont le style est fondé sur l’emploi de la ligne courbe en « coup de fouet ».

C’est une révélation. De retour à Paris, Guimard revoit entièrement les ornements de la façade ainsi que la décoration intérieure du Castel Béranger. Optant pour un style tout en sinuosités où dominent les couleurs verte, bleue et orange, Guimard conçoit le bâtiment comme une œuvre d’art totale où chaque mur, chaque vitrail, chaque poignée de porte, chaque robinet va porter son empreinte.

Le succès est au rendez-vous. Même si Guimard a ses détracteurs (certains surnomment l’édifice le « Castel dérangé »), toute la presse parle de cet immeuble à l’aspect fantastique, par ailleurs destiné aux classes moyennes. Le 8 avril 1899, Le Monde illustré en publie des images :

« Cet immeuble, situé 16 rue La Fontaine, semble destiné à révolutionner l'art de la construction. L'aspect en est vraiment extraordinaire, et tel est le nombre des visiteurs attirés par la curiosité, que des registres, placés chez le concierge, sont couverts journellement de signatures auxquelles les plus enthousiastes joignent des compliments ou des formules louangeuses. »

Dans La France, Raoul Daubiac fait le portrait de ce jeune architecte devenu instantanément célèbre :

« Un véritable artiste, jeune et ardent, un architecte qui comprend toute la beauté, toute l’utilité de sa profession. Un novateur que ceux qui ne le comprennent pas appellent un révolutionnaire [...]. M. Hector Guimard, s’il ne crée le style du vingtième siècle, aura beaucoup contribué à sa fixation. »

Le Castel Béranger est toujours visible au 14, rue La Fontaine (mais il n’est pas possible de le visiter).

Après ce premier coup d’éclat, Guimard, qui excelle dans l’auto-promotion, devient le représentant le plus célèbre de l’Art nouveau en France et se verra commander plusieurs hôtels particuliers. Ce seront l’immeuble Jassédé en 1904, l’hôtel Deron-Levent en 1907, ou encore l’hôtel Mezzara en 1911.

Entre-temps, on lui a confié ce qui restera son travail le plus emblématique : la conception des bouches d’entrée du Métropolitain, dont la première ligne est inaugurée en 1900.

La gare du métro Bastille, carte postale, début XXe siècle - source WikiCommons

Si certaines stations se voient attribuer un édicule ou un pavillon qui les fait ressembler à de petites gares (à Bastille et à Étoile), la plupart se résument à un entourage affichant le mot « Métropolitain ». Réalisées par la fonderie d’art du Val d’Osne, ces constructions sont installées de 1900 à 1913.

En janvier 1901, La Vie moderne en chante les louanges :

« A qui regarde, le petit édifice apparaît bien conçu. C’est la solution élégante d’un problème posé par la nature même des choses. Je dis édifice ; le mot est inexact car, à proprement parler, M. Guimard n’a rien édifié. Il a vu un trou à ceindre, pour éviter les chutes des passants, à couvrir pour abriter la tête des voyageurs [...].

La légèreté de l’ensemble est due à l’emploi de teintes claires et surtout au dessin des lignes. Ces lignes sont simples, mais de cette simplicité qui naît d’une recherche obstinée. Chaque courbe est étudiée, chaque détail est en place et l’impression d’ensemble n’est obtenue que par la concordance de tous ces mouvements solidifiés que sont les lignes. »

Guimard, pourtant, doit toujours faire face à des opposants, à l’instar de ce rédacteur du Journal qui critique vivement le design des entrées du métro :

« Les vrais Parisiens, même ceux qui n'ont pas l'honneur de faire partie du Conseil municipal, doivent avoir le souci de protéger contre l’envahissement du mauvais goût les beautés de Paris [...].

C'est donc avec une mauvaise humeur très justifiable qu'on a vu un des coins les plus harmonieusement beaux de Paris, la place de l'Etoile et l'avenue du Bois, se couvrir très rapidement d'édicules verdâtres d'une couleur bilieuse et d'une forme maladive. Sont-ce de gigantesques parapluies retournés ou des chalets de nécessité aux prétentions esthétiques ?

Ce ne sont que les gares du Métropolitain. »

Le 2 octobre 1904, dans une interview à La Presse, Guimard répond à ces attaques :

« On a critiqué ces gares ; j'aurais évité les critiques en faisant du Louis XV, du Louis XVI ou de l'Empire ; j'ai pensé que pour une œuvre moderne, il fallait des gares modernes ; j'ai cherché du nouveau ; j'ai trouvé du nouveau ; on m'a attaqué ; je m'y attendais ; tout effort suscite les attaques. »

Guimard fait en 1909 un riche mariage avec Adeline Oppenheim, une artiste peintre fille d’un banquier américain. Ils emménagent en 1913 dans l’hôtel Guimard, que l’architecte a fait construire spécialement.

Pendant la Première Guerre mondiale, il doit cesser son activité et se consacre à l’écriture de plusieurs pamphlets en faveur de la paix universelle (à lire sur Gallica). Peu après la guerre, en août 1920, il est interviewé sur ce sujet par Le XIXe siècle :

« Il faut, nous dit M. Hector Guimard, que le règne du droit soit proclamé. Comment ? Par une organisation juridique internationale.

Or, en ce moment, le droit victorieux a la force pour lui. Il se doit d'agir et de s'imposer au monde. »

Mais dans les années 1920, son étoile a bien pâli. Le style Art nouveau, surnommé « style nouille » par ses détracteurs, est complètement passé de mode – il l’était déjà largement au déclenchement de la guerre – et Guimard, qui se convertit sans éclat à l’Art déco, sombre dans l’oubli.

Preuve de l’indifférence dont souffrent alors ses réalisations, plusieurs de ses entrées de métro sont retirées : celles de l’Étoile en 1926, celles de l’avenue des Champs-Élysées et de la Grande Armée entre 1934 et 1937. Commentaire du Journal en 1936 :

« Les transformations profondes, les améliorations qu'est en train de recevoir le Métropolitain [...] ont, à un point de vue un peu spécial et secondaire, une conséquence que tout, depuis longtemps, laissait prévoir : les grands bras de fonte, les balustrades de pur style 1900, qu'avait créés l'architecte Hector Guimard, sont définitivement abandonnés.

Que ce dédain soit juste ou injuste, là n'est pas la question. Le fait à noter est que nous semblons nous orienter vers le pratique, vers le simple. Il y a quelques années déjà que l'architecture nouvelle accuse cette tendance. Les produits courants, la fonte industrielle suffisent à nos besoins esthétiques. »

Lorsque Guimard meurt en 1942 à New York (sa femme étant d’origine juive, il s’y était exilé), aucun journal français n’en fait mention. Après-guerre, nombre de ses édifices seront détruits : en Belgique, les œuvres de Victor Horta connaîtront le même sort.

Il faudra attendre les années 1960-1970 pour que le legs de Guimard soit partiellement réhabilité. Mais en 1951 déjà, l’écrivaine Edmonde Charles-Roux lui rendait hommage dans Le Crapouillot, le temps d’un article nostalgique consacré au Paris de 1900 :

« Verrons-nous un jour trôner, entre un Titien et un Rembrandt, l’œuvre de Guimard, sa balustrade aux étirements de guimauve flanquée de ses étranges réverbères ? [...]

Une sorte de fanatisme romantique inspirait à Hector Guimard des fenêtres à vitraux, des tours, des tourelles, des clochetons d’angles, un porche d’entrée tapissé de stalactites, des balcons aux masques aplatis et hilares, des gargouilles en fer forgé.

Les artistes semblaient ne chercher dans l’utilisation des matériaux qu’un prétexte pour les déguiser en quelque chose d’autre, pour les traiter contrairement à leur nature [...]. Douce époque... Que n’a-t-elle imaginé pour créer l’insolite ? »

Pour en savoir plus :

Georges Vigne, Hector Guimard : Le geste magnifique de l'Art nouveau, Paris, Éditions du patrimoine / Centre des monuments nationaux, 2016

Philippe Thiébaut, Guimard : L'Art nouveau, Gallimard, 1992