Écho de presse

1919 : le vote de la journée de huit heures

le 06/07/2019 par Pierre Ancery
le 26/04/2018 par Pierre Ancery - modifié le 06/07/2019
« Quand la 8e heure a sonné, que nul ne reste à l'atelier », affiche en faveur de l'application de la journée de travail de 8 heures - source : WikiRouge, Domaine public

Revendication ouvrière historique, la loi sur la journée de travail de 8 heures est votée en France juste après la Première Guerre mondiale. Elle fut portée notamment par la CGT et les socialistes.

Les « trois huit » : « Huit heures de travail, huit heures de loisirs, huit heures de repos ». En ce début de XXe siècle, le slogan figure dans toutes les manifestations ouvrières, en particulier celles du 1er mai.

 

À l'époque, le temps de travail quotidien n'est guère encadré. En 1848, une loi de la République a certes établi la journée de 12 heures, et la loi Millerand de 1900 l'a réduite à 11 heures. Mais dans les faits, ces mesures ne sont guère respectées. Depuis les années 1880, l'idée d'une journée de huit heures est donc en tête des revendications des ouvriers, des socialistes et des syndicats.

C'est en 1919 qu'elle va se concrétiser. Huit heures par jour, c'est-à-dire 48 heures par semaine (seul le dimanche étant chômé), sans diminution de salaire : il aura fallu la Première Guerre mondiale et le contexte économique de la reconstruction pour que cette loi voie enfin le jour.

 

Les femmes, qui ont remplacé les hommes partis combattre, se sont habituées à travailler, tandis que beaucoup d'hommes reviennent du front. Face à cet afflux de main-d’œuvre, on craint une montée du chômage. La CGT et les socialistes vont donc proposer la réduction du temps de travail comme moyen de partager le travail.

 

Dans la presse de gauche, l'idée est évidemment populaire. La mécanisation du travail, soutient-on, doit permettre de réduire le temps de travail de l'ouvrier sans mettre en péril l'économie du pays. L'Humanité écrit le 24 mars, sous la plume du secrétaire de l'Union des Syndicats de la Seine :

 

« Nous considérons le travail comme une nécessité imposée aux individus par les besoins de leur existence. L'individu n'existe pas pour travailler, il est mis dans cette obligation pour tirer de la nature ce qu'elle ne lui donnerait pas sans efforts. C'est en raison de cette conception que nous pensons qu'il n'y a véritablement progrès social que lorsqu'il y a diminution du temps de travail [...].

 

Pour nous diriger vers ce but, il faut que, parallèlement à ce progrès mécanique et à l'accroissement de bien-être qui en résulte, une diminution de l'effort humain soit acquise. Nous pensons que le mieux-être social ne consiste pas dans le seul fait de l'accroissement indéfini de la production, mais bien plus dans les possibilités accrues pour chaque individu d'en profiter. »

Dans L'Intransigeant, Léon Jouhaux, secrétaire général de la CGT (et futur prix Nobel de la paix), rédige un long plaidoyer en faveur de la loi :

 

« Partout où cet échange est possible, il faut remplacer le travail humain par le travail mécanique. On économisera ainsi le plus possible le labeur humain. C’est la seule façon de remédier au manque de main-d’œuvre et d’augmenter la production.

 

Une meilleure organisation des ateliers, une meilleure répartition du travail, une meilleure utilisation de la main-d’œuvre, telles sont les réformes qu’il faut accomplir et non pas se stéréotyper dans cette erreur que la somme de production dépend uniquement de la présence de l’ouvrier à l’atelier. »

Mais la journée de huit heures n'est pas acceptée par tous. Le patronat objecte notamment qu'elle aura pour effet une baisse de la productivité et favorisera la concurrence étrangère. Une idée reprise par exemple dans Le Temps du 3 mars :

 

« Dans la France saignée à blanc et dont la population sera longue à se relever, la journée de huit heures obligerait à un chômage forcé les outillages, tandis que les pays non décimés institueraient sans peine chez eux une production plus intense au moyen d'équipes renouvelées.

 

Devant leurs prix de revient ainsi modérés, quelle expansion économique resterait possible pour nous ? »

Le journal conservateur La Croix se montre aussi très sceptique sur l'opportunité de ce qu'il nomme non sans mauvaise foi une « loi du moindre effort », et qu'il juge « d'inspiration bolchevique » :

 

« L’ouvrier d’industrie réclame la journée de huit heures, fort bien, mais qui en pâtira ? Le poilu de retour des armées, qui verra encore augmenter le prix des produits manufacturés dont il a le plus urgent besoin [...].

 

Dans notre pays saigné aux quatre veines, où la guerre a fauché près de deux millions d’hommes parmi les plus vigoureux et les plus actifs, comment concevoir qu’en ramenant à huit heures la journée de travail la production nationale ne sera pas réduite ? »

Clemenceau, à la tête du gouvernement, y est toutefois favorable. Il demande à son ministre du Travail, Pierre Colliard, de déposer un projet de loi à la Chambre des députés. La journée de huit heures sera finalement adoptée le 23 avril, juste avant les célébrations du 1er mai.

 

Elle ne sera toutefois appliquée dans la plupart des entreprises qu'à partir de 1921. En 1925, toujours, on constatera qu'un tiers des salariés français travaillent encore dix heures par jour en moyenne.

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