14-18 : Les journaux en guerre
« 14-18 Les journaux en guerre »
L'actualité de la première guerre mondiale en 10 grandes dates et 10 journaux publiés entre 1914 et 1918. Une collection de journaux réimprimés en intégralité.
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Sous la république de Weimar, l'Allemagne est victime d'une inflation sans précédent. En 1923, le mark s'effondre totalement et les prix sont multipliés par un milliard. Une partie de la population sortira ruinée de cette crise.
Début des années 1920, en Allemagne. Le pays, défait lors de la Première Guerre mondiale, est en proie à une spectaculaire inflation qui va culminer au cours de l'année 1923. L'Histoire en retiendra l'image d'habitants obligés de transporter des millions de marks dans une brouette pour s'acheter des produits de première nécessité.
Les causes de cette « hyper-inflation » sont multiples. Dès le début de la Grande guerre, l’État allemand a eu recours massivement à l'emprunt public pour financer l'effort militaire, entraînant une explosion de la dette.
14-18 : Les journaux en guerre
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L'actualité de la première guerre mondiale en 10 grandes dates et 10 journaux publiés entre 1914 et 1918. Une collection de journaux réimprimés en intégralité.
Après-guerre, le niveau écrasant des réparations exigées par les Alliés (132 milliards de marks-or de 1914), la pression spéculative sur le cours du mark et l'accélération de la vitesse de circulation de la monnaie, dont tout le monde cherche à se débarrasser au profit de biens concrets, aboutissent à une hausse fulgurante des prix à partir de 1921.
La crise culmine en janvier 1923 avec l'occupation par les gouvernements français et belge de la Ruhr, poumon industriel du pays. Les prix atteignent des niveaux records, comme l'explique la presse de l'époque. L'Humanité du 22 février raconte :
« Voici les prix de quelques denrées et d'autres objets de première nécessité : un œuf coûte en ce moment 400 marks, une livre de jambon 6 400 marks, une paire de chaussures 80 000 marks, un quintal de charbon plus de 6 000 marks, à partir de la semaine prochaine 8 000 marks, une livre de viande 4 500 marks, une livre de beurre 6 400 marks.
La livre de café est montée à 18 000 marks […]. Une simple chemise coûte 60 000 marks.
À ces prix inabordables s'opposent des salaires dont la moyenne, qui ne dépasse que rarement 200 000 marks par mois, est de beaucoup inférieure au niveau du marché mondial. »
Dans les mois suivants, la spirale inflationniste devient incontrôlable. En avril, tandis que la « planche à billets » fonctionne de façon frénétique, les prix ont encore augmenté, comme le note Le Progrès de la Côte-d'Or :
« Le moindre repas dans un restaurant revient à 15 000 marks ; une bouteille de vin ordinaire coûte 5 000 marks ; un verre de bière, 500 marks ; les cigarettes coûtent 80 marks pièce ; les cigares, de 300 à 600 marks, selon la qualité [...].
L'Allemagne est devenue le pays du billet de 50 000 marks. À quand celui de 100 000 ?
On se demande par quelles mystérieuses combinaisons les petits employés, les fonctionnaires, les petits bourgeois, les rentiers, s’il en existe encore, et les représentants des carrières libérales peuvent subvenir à leurs besoins les plus modestes. »
Le quotidien conservateur breton L'Ouest-Eclair met en garde ses lecteurs contre la monnaie allemande devenue folle : en mai 1923, le journal titre « N'achetez pas de marks allemands : c'est une opération hasardeuse pour vous et mauvaise pour la France ».
En juin, le correspondant à Berlin de L’Écho de Paris relève que, malgré le principe d'indexation des salaires sur les prix mis en place par la république de Weimar, les plus démunis subissent les premiers la crise inflationniste. Le journaliste met en cause « l'incurie du gouvernement » et « l'égoïsme des milieux économiques » :
« L'ouvrier allemand, depuis plusieurs mois, dépense tout son salaire pour se nourrir insuffisamment. Il lui est impossible d'acheter des vêtements ou du linge. La misère endurée par les classes pauvres de l'Allemagne montre, d'ailleurs, à quel point l'homme arrive à restreindre ses exigences.
Dans tout autre pays, une situation semblable, provoquée par l'incurie du gouvernement et l'égoïsme des milieux économiques, aurait amené une révolution ; mais les masses allemandes sont lymphatiques et fatiguées et elles ont perdu toute sorte de réaction.
Comme je vous l'écrivais récemment, une révolution n'est pas à craindre en Allemagne. Les troubles que la faim pourraient produire se traduiront tout au plus par des manifestations passagères : pillages des magasins, scènes de vandalisme, etc. Tous ces excès ne sauraient être que de courte durée.
La police allemande, maniée par les milieux nationalistes, réprimerait ces manifestations avec sa violence habituelle. »
En juillet, L’Ère nouvelle raconte l'effondrement du cours du mark par rapport aux valeurs étrangères et décrit les pénuries de produits de première nécessité – les agriculteurs refusant d'échanger leurs denrées contre une monnaie sans valeur :
« La débâcle du mark allemand a pris sur tous les marchés financiers des proportions encore inconnues. À Londres, le mark est tombé au 1/150 000 de sa valeur, la livre sterling valant 2 millions 750 000 marks. Le million de marks valait à Paris 30 fr. français [...].
Dans les rues avoisinant la Reichsbank, des milliers de particuliers et garçons de banque font la queue et des véhicules de toutes espèces, charrettes et voitures à bras, attendent les ballots de marks papier [...].
Dans le commerce, les prix montent d’heure en heure, et l'on signale une certaine pénurie de beurre, de pommes de terre et de lait. Des manifestations ont eu lieu dans les marchés. »
Dans la Ruhr, où sévit un chômage de grande ampleur, des grèves massives ont lieu pour protester contre l'occupation française et belge, de même que contre « l'agonie du mark », ainsi que l'explique La Lanterne :
« Le ravitaillement de la Ruhr devient de plus en plus critique, par suite du manque de monnaie qui empêche toute transaction commerciale. De plus, les paysans ont perdu toute confiance dans le mark déprécié et n'apportent plus leurs marchandises aux marchés [...].
Là où les ouvriers se rendent au travail, ils ne font rien. Des incidents violents se produisent un peu partout [...].
À Düsseldorf, de longues queues se font devant les magasins de vivres. Le café, le sucre, le beurre, les œufs sont devenus introuvables par suite du manque de stabilité des cours. »
En novembre 1923, la spirale inflationniste est à son maximum. Dans les restaurants, le prix des aliments varie entre le moment de la commande et celui de l'addition, si bien que les restaurateurs doivent parfois offrir un plat supplémentaire à leurs clients ! En décembre, les prix ont été multipliés par un milliard par rapport à décembre 1922.
Dans un article publié en décembre par Les Annales politiques et littéraires et intitulé « La prodigieuse histoire du mark et l'anarchie de l'Europe », Gustave Le Bon, le célèbre auteur de Psychologie des foules, livre ses réflexions sur cet emballement inédit dans l'histoire monétaire.
« J'ai sous les yeux une petite liasse de billets d'un million de marks [...]. Ces petits papiers, vrais cadavres aujourd'hui, possédèrent une vitalité intense, un contenu mystique qui leur donna une colossale puissance [...].
Rationnellement, ils étaient sans valeur possible, ces humbles papiers. Mais, grâce à la puissance mystique dont une psychologie savante sut les charger, ils réalisèrent de prodigieuses choses. Grâce à eux, une flotte commerciale imposante surgit du néant, de grandes usines furent construites, des alliances supposées indestructibles dissoutes et l'Europe bouleversée [...].
Mais le moment arriva où l'inflation devint tellement extravagante que le mark, se heurtant à la loi de l'offre et de la demande, perdit presque toute valeur sans cependant atteindre zéro. Il se chargea alors de nouvelles espérances en devenant, malgré sa faible valeur, l'objet de fructueuses spéculations. »
Le 18 décembre, le journal Excelsior note que « l'Allemagne par dérision célèbre la mort de son mark » et cite le « faire-part » qui figure au dos du billet de cinquante millions de marks :
« Seigneur, pardonnez-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font. II a plu au Dollar Tout-Puissant, dans sa sagesse impénétrable, de rappeler à Lui notre sœur bien-aimée [...]. Après cinq années de souffrances supportées avec une patience admirable, elle a succombé enfin aux attaques d'une fièvre opiniâtre de hausse et de baisse, malgré les essais de stabilisation que lui ont prodigués les Wirth, Cuno et Stresemann.
Parmi ceux qui pleurent à son tombeau figurent tous les chevaliers d'industrie et tous les agioteurs d'Allemagne. Puisse la corbeille à papiers lui être légère. »
Au début de l'année 1924, le gouvernement Stresemann parviendra finalement à stabiliser la situation en introduisant une nouvelle monnaie, le Rentenmark. Entre-temps, une partie de la population aura été ruinée, notamment les épargnants, les prêteurs et les détenteurs d'emprunts publics.
Contrairement à une idée reçue, il est peu probable que la crise de 1923, bien que traumatisante, ait été à l'origine de la montée du nazisme. Le sentiment nationaliste lui préexistait et l'économie allemande connut à nouveau la croissance de 1925 à 1929.
Le pays sera en revanche frappé de plein fouet par la crise économique de 1929, cette dernière plongeant l'Allemagne dans une détresse dont Hitler tirera habilement profit pour accéder au pouvoir.
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Pour en savoir plus :
Carl-Ludwig Holtfrerich, L'inflation en Allemagne 1914-1923, Comité pour l'Histoire économique et financière, 2008
Alfred Wahl, L'Allemagne de 1918 à 1915, Armand Colin, 1999
Denis Clerc, « 1922-1924 : l'hyperinflation allemande », 1994, article paru dans Alternatives Économiques