Écho de presse

« L'automobile populaire », une utopie de l'entre-deux-guerres

le 04/12/2020 par Marina Bellot
le 03/02/2019 par Marina Bellot - modifié le 04/12/2020
Publicité pour la « Quadrilette » de Peugeot parue en 1922 dans Le Petit Journal - source : RetroNews-BnF
Publicité pour la « Quadrilette » de Peugeot parue en 1922 dans Le Petit Journal - source : RetroNews-BnF

Dans les années 1920, l'industrie automobile est considérée comme un excellent moyen pour relancer une économie dévastée par la guerre. Prenant modèle sur le fordisme américain, les industriels français se targuent de pouvoir offrir une « automobile populaire » accessible à tous.

 

En 1918, la Grande Guerre laisse les industries fragilisées et les économies affaiblies.

Pour se relever, l'Europe suit le modèle américain. En France, André Citroën, alors l'un des industriels les plus prospères du pays, fonde en 1919 la firme Citroën, en prenant modèle sur les méthodes de Henry Ford : mise en place de chaînes de production nécessitant peu – ou pas – de main-d'œuvre qualifiée.

Suivant l'exemple sur la Ford T. américaine, automobile populaire par excellence, plusieurs constructeurs européens se lancent dans cette catégorie : en 1920, Peugeot produit la « Quadrilette » et, à partir de 1922, Citroën commercialise la célèbre « Petite Citron ».

L'automobilisme est alors vue comme un immense progrès, et « l'automobile populaire » comme la promesse de la relance de l'économie française. Le journal conservateur Le Gaulois s'en fait l'écho en 1920 :

« Économie. C'est le mot qui aujourd'hui domine le monde entier.

Automobile. C'est l'instrument qui aujourd'hui complète tout homme actif, qui lui permet d'atteindre tous ses buts. Une automobile peut-elle être économique aujourd'hui ? Telle est, pour une énorme masse d'hommes, l'angoissante question. »

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L'entre-deux-guerres est certes un âge d'or pour l'automobile : les véhicules commencent à devenir fiables et le réseau routier s'améliore, quoique la réglementation soit encore relativement embryonnaire.

La France se targue d'ailleurs d’avoir alors le meilleur réseau routier du monde :

« Par sa densité, il est le premier du monde et bat de loin tous les autres pays, y compris les États-Unis.

Pour 100 kilomètres de superficie, on trouve : En France, 115 km de route ; en Grande-Bretagne, 110 km ; aux États-Unis, 62 km. »

L'idée du capitalisme comme moteur du « progrès » bat alors son plein. Pour ce chroniqueur d'un autre journal de droite, Le Matin, la « sainte concurrence » serait le gage de la démocratisation de l'automobile, à l’inverse de l’inefficacité du « monopole d’État fonctionnarisé » :

« Je reste de plus en plus séduit par l'effort étonnant de nos constructeurs de l'automobilisme.

Décidés à tout pour faire mieux que le voisin, ils ont accumulé, depuis deux ans, les ingéniosités, cherché à répondre aux besoins de l'heure, à les éveiller.

Cette lutte pour la qualité n'a pas été achetée par une hausse du prix. On ne trouvait pas en 1913 de jolies petites voitures équipées pour 2 500 francs d'avant-guerre qui en font 8 000 d'aujourd'hui. Et ces conquêtes ont été réalisées au milieu des difficultés les plus rudes que jamais industrie ait eu jamais à vaincre.

Tous ces clairs progrès (ah ! si je pouvais incruster cette idée dans tous les cerveaux c'est celle qui peut nous sauver !) sont dus à l'initiative privée, à la sainte concurrence, déesse de l'activité, qui élimine les gourdes et empêche les dégourdis de s'engourdir.

Supposez que l'automobilisme ait été transformé en monopole d'État fonctionnarisé. Nous en serions encore au monocylindre. »

Et de prendre l'exemple du secteur du téléphone :

« L'établissement des téléphones a commencé à peu près en même temps que l'automobilisme. D'abord entre les mains de particuliers, il donna d'excellents résultats. [...]

Alors l'État prit les téléphones prospères, et vous savez ce qu'il en a fait : il demande un prix fou aux abonnés pour les mal servir. Il essaye d'écarter tous les nouveaux clients. »

Mais le secteur peine à parvenir à s'ouvrir aux classes populaires.

Au début des années 1920, on compte une voiture pour 10 habitants aux États-Unis, contre seulement une pour 150 en France, comme le déplore Le Figaro, qui appelle « la France industrielle tout entière » à suivre le modèle américain :

« L'opinion commence à s'émouvoir devant les formules simples et frappantes qui lui sont présentées. Aux États-Unis, il y a une automobile pour 10 habitants ; en France, une pour 150.

Pourquoi ? Pour toutes sortes de raisons, dont la principale est que l'automobile est trop chère. Elle est trop chère d'achat, mais surtout elle est trop chère d'entretien. [...]

Que pouvons-nous espérer en France, où nous nous extasions, avec raison, devant la production de Citroën, quand nous pensons que celui-ci sort en un jour à peu près ce que Ford sort en une heure !

Et cependant, il y a un intérêt national à ce que l'automobile qui, par sa facilité et sa rapidité de déplacement, triple l'activité de celui qui l'emploie se développe.

S'imagine-t-on l'élan que recevrait la vie économique du pays si, au lieu de 260 000 autos, la France en possédait 1 million, ce qui serait, proportionnellement, quatre fois moins encore que les États-Unis !

Il y aurait là un moyen de conjurer la crise économique née de la guerre. C'est une tâche formidable, à laquelle la France industrielle tout entière doit s'atteler pour en venir à bout. »

Car l'automobile populaire, telle qu'elle existe alors outre-Atlantique, reste en France une utopie.

Ce qui permet à Henry Ford de promettre aux Français en 1928, via l'intermédiaire d'une interview en publi-rédactionnel, de construire cette « auto pour la masse » dont rêvent alors les classes moyennes du pays :

« Je veux construire une auto pour la masse. Elle sera suffisamment grande pour une famille, mais assez petite pour que toute personne inexpérimentée puisse la manœuvrer facilement et en prendre soin personnellement.

Elle sera légère afin que les frais d'entretien soient peu élevés. Elle sera fabriquée avec des matériaux de toute première qualité par les meilleurs ouvriers dont il sera possible de s'assurer le concours moyennant salaire, d'après les plans les plus simples que les méthodes de construction permettent d'établir.

Mais elle sera d'un prix si réduit que toute personne de classe moyenne pourra en avoir. »

Le krach de Wall Street en 1929 et ses conséquences planétaires mettront un certain coup d'arrêt à cette utopie de l'automobile populaire.

Il faudra attendre l'après-guerre et les années 1950 pour que l'automobile opère véritablement sa démocratisation.

Pour en savoir plus :

Jean-Louis Loubet, Les virages de l'automobile française, in: Outre-Terre, 2012

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