Archives de presse
La Guerre d’Espagne à la une, 1936-1939
Reportages, photo-journalisme, interviews et tribunes publiés à la une à découvrir dans une collection de journaux d'époque réimprimés en intégralité.
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Au cœur de l'été 1888, les ouvriers des travaux publics parisiens, suivis par ceux de Corrèze, se mettent en grève pour réclamer une augmentation de leur salaire. Le mouvement tournera court, mais marquera le mouvement ouvrier français.
Le 25 juillet 1888, 3 000 terrassiers parisiens se mettent en grève. Engagés dans les grands travaux de la capitale et de sa banlieue, ces ouvriers peu qualifiés dénoncent leurs mauvaises conditions de travail et réclament une augmentation de vingt centimes de l'heure, comme s’en fait l’écho Le Siècle :
« Une grève de trois mille terrassiers a éclaté hier, laissant en suspens divers travaux urgents commencés à Pantin, à Saint-Denis et aux Batignolles.
Les ouvriers demandent 60 centimes de l'heure au lieu de 45 centimes et la journée réduite à neuf heures, c'est-à-dire l'application des prix de série de 1882. La Ville ayant appliqué ces tarifs sur ses chantiers, les ouvriers des chantiers libres exigent qu'on leur accorde le traitement des ouvriers de la Ville. »
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Le lendemain, le mouvement rallie de nouveaux ouvriers mécontents, tandis que la grève menace de se généraliser à tout le département de la Seine, rapporte le quotidien Paris :
« La situation s'accentue. Les grévistes déploient une grande activité pour débaucher tous les ouvriers terrassiers qui sont encore au travail. Les ouvriers terrassiers se sont présentés successivement dans tous les chantiers, ce matin : à Billancourt, à Saint-Denis, à Charonne, à Aubervilliers, à Gennevilliers, ils ont réussi en partie.
Cinq cents ouvriers ont quitté, ce matin, le travail à Billancourt. Les démarches des grévistes continuent, la gendarmerie a pris des dispositions pour les disperser. La grève, qui hier n’était que partielle, menace de devenir générale dans le département de la Seine. »
Pendant ces jours fiévreux, les journaux déploient leurs envoyés spéciaux en banlieue, et l'événement est suivi et relayé par l'ensemble de la presse, qui se divise en deux camps : les journaux conservateurs et libéraux qui voient dans la grève un moyen d’action dangereux et violent, et les républicains radicaux qui, comme les socialistes, soutiennent pleinement le mouvement et ses revendications.
La République française, quotidien conservateur, déplore non sans mauvaise foi la généralisation du mouvement aux « faibles et aux naïfs » qui « croient gagner davantage en ne travaillant plus » :
« La grève des terrassiers prend des proportions fâcheuses. [...]
Il y a parfois, au début de ces mouvements sociaux, une idée juste, excusable tout au moins ; mais les foules ne restent pas longtemps idéalistes : elles en viennent bientôt à la pratique, et c’est pourquoi les grèves relèvent toujours du gendarme plutôt que du philosophe.
Après leurs réunions, lestés de beaux discours, de phrases creuses, les grévistes se sont répandus par la ville, allant de chantier en chantier pour empêcher le travail. Ils embauchaient, sur leur passage, les faibles, les pauvres naïfs qui se plaignent de ne pas gagner assez en travaillant et qui croient gagner davantage en ne travaillant plus. »
Le son de cloche est tout différent dans Le Radical, dont le rédacteur « [croit et espère] que la grève se terminera par le relèvement de salaire que les grévistes réclament fort justement ». Et le journal de gauche de se pencher sur le métier ingrat de ces ouvriers dont le quotidien consiste à creuser des fondations ou des tranchées :
« Pour être un auxiliaire indispensable des travaux, le terrassier n'en a pas moins toujours été un sacrifié.
Il faut peu d'apprentissage pour exercer cette rude et souvent dangereuse profession, et comme ceux qui l'exercent n'ont été jusqu'ici que fort insuffisamment groupés, il en résulte qu'ils s'en allaient de chantier en chantier voir s'il y avait de l'embauche, on leur faisait signer, surtout depuis 1882, des papiers qui les liaient, et le résultat a été que leur salaire est tombé, dans la plupart des cas, au chiffre dérisoire de quarante-cinq centimes l'heure.
Vienne la pluie, la neige ou la gelée, comment voulez-vous que ces braves gens arrivent au bout de l'année. »
Face à l'ampleur de la grève, le gouvernement de Charles Floquet riposte par une sévère répression.
Le 31 juillet, « le sang a coulé », rapporte gravement Le Cri du peuple, le journal socialiste fondé par Jules Vallès et alors dirigé par la féministe Séverine, qui soutiendra avec ferveur le mouvement :
« Des ouvriers – qui sont des hommes et parmi lesquels il est des pères de famille – ont été blessés à coups de sabre par les agents de M. Caubet, après avoir été menacés des coups de baïonnettes des soldats, que commande comme chef suprême le ministre civil de la guerre, M. de Freycinet. »
Et le rédacteur de s'élever contre la spéculation et les exploiteurs du travail :
« Les gouvernants, les législateurs et les conseillers municipaux eux-mêmes, ont bouleversé toutes les conditions normales de la vie sociale, troublé toute l'économie nationale, en provoquant la spéculation à outrance, en entreprenant d'inutiles et onéreux grands travaux, en favorisant par toutes sortes de mesures et de primes ou de taxes douanières les propriétaires, en accroissant les frais budgétaires au point que la France serait en faillite si elle était une simple maison de commerce.
Tous sont intervenus pour servir les intérêts des propriétaires, des cultivateurs, des entrepreneurs de tout ce qui vit d'agiotage et de prélibations. Et quand il s'agit d'assurer aux ouvriers un minimum de salaire, on prétend qu'ils n'ont pas à intervenir, qu'ils n'ont pas à s'occuper des faits économiques, qu'ils n'ont pas à favoriser les travailleurs, fussent-ils l'immense majorité, contre les exploiteurs du travail qui ne sont qu'une infime minorité.
Alors à quoi servent-ils ? S'ils n'ont pas à s'occuper des faits économiques, qui sont les plus importants de tous, ni des questions sociales qui méritent presque seules l'attention des mandataires du pays, le peuple n'a pas besoin d'eux. »
À la fin de l'été, la grève s'étend au département de la Corrèze, affectant le gigantesque chantier de construction de la ligne de chemin de fer entre Limoges et Brive-la-Gaillarde, sur lequel travaillent des milliers d’ouvriers.
Là encore, le mouvement des « exploités contre les exploiteurs » est soutenu avec ardeur par Le Cri du peuple :
« La grève des terrassiers prend des proportions considérables ; les chantiers de Vigeois, Uzerche et Douzenac sont abandonnés.
Les exploiteurs ont demandé le concours de la force publique, et naturellement le préfet de la Corrèze – le sieur Drouin – s'est empressé de leur donner satisfaction.
Six brigades de gendarmerie sont installées à Uzerche et à Vigeois, avec un bataillon du 63e de ligne. Un escadron du 20e dragons va occuper Saint-Germain-les-Belles. Les grévistes ne se laissent pas intimider, et malgré ce monstrueux déploiement de force, ils auront raison de leurs exploiteurs. »
Mais l'intransigeance de l'État est telle que les ouvriers ne peuvent que perdre le bras de fer. À la mi-octobre, les journaux peuvent annoncer :
« La grève des terrassiers de la ligne de Limoges à Brive est complètement terminée, dans la Corrèze. Tous les chantiers sont en pleine activité et occupent le maximum des effectifs.
Près de trois mille ouvriers sont occupés sur les sept entreprises situées dans le département.
Depuis jeudi, la troupe a cessé la surveillance des chantiers. Environ la moitié des détachements d'infanterie est déjà rentrée à Tulle et à Brive. Les autres rentreront prochainement. »
À la suite de ce mouvement, la chambre syndicale des terrassiers sera réorganisée. Elle deviendra, et ce jusqu'à la Première Guerre mondiale, la plus puissante des organisations salariales du bâtiment.
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Pour en savoir plus :
Jean-Louis Robert, Friedhelm Boll, Antoine Prost, L'invention des syndicalismes, Publications de la Sorbonne, 1997