1752 : interdiction de « L’Encyclopédie » de Diderot et D’Alembert
Le 7 février 1752, Louis XV fait interdire la vente, l’achat et la détention des deux premiers volumes de « L’Encyclopédie », symbole du désir de propagation des connaissances de la part des philosophes des Lumières.
Le 28 juin 1751 paraît le premier volume de l’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des Sciences, des Arts et des Métiers. Cette œuvre collective élaborée à partir de 1746 est dirigée par Denis Diderot et Jean le Rond D’Alembert, avec la collaboration d’un très grand nombre de philosophes, d’académiciens, de scientifiques, sans compter les dessinateurs et les graveurs. Il s’agit d’un chantier colossal.
L’ouvrage, destiné à être enrichi de nombreuses planches illustrées, a pour dessein de partager les connaissances et les techniques de l’époque avec le plus grand nombre, en les rendant notamment accessibles à ceux qui ne savent pas lire le français.
Cet ambitieux projet tend donc à propager, à travers toute l’Europe, les idées de la philosophie des Lumières en faisant progresser l’Homme par le savoir et l’éducation.
Au début de l’année 1752, le deuxième volume est publié et commence à être diffusé en France. On apprend ainsi sommairement, dans l’organe de presse officiel de la Cour La Gazette, que « depuis quelques jours, les libraires, qui impriment le Dictionnaire de l’Encyclopédie, en distribuent le second volume aux souscripteurs ».
Mais ces deux premiers volumes de L’Encyclopédie ne font pas l’unanimité et déclenchent même la colère d’une partie du clergé ; en effet, ils viennent concurrencer sur leur propre terrain le Dictionnaire de Trévoux, dirigé par les Jésuites, qui paraît au même moment.
La Compagnie de Jésus était déjà réticente aux écrits considérés comme subversifs de Diderot, auteur d’ouvrages à tendance matérialiste tels que La lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient (1749), lequel lui avait valu, trois ans auparavant, d’être incarcéré à la prison de Vincennes.
De plus, le plan que les Encyclopédistes se proposent de suivre pour leur œuvre repose sur l’« Arbre des connaissances » inspiré du « système figuré des connaissances humaines » de Francis Bacon, qui place l’esprit humain au centre de l’univers – en lieu et place de Dieu.
Enfin, plusieurs articles s’avèrent ouvertement critiques envers la monarchie absolue, la noblesse et la religion. Parmi eux, un article de l’abbé de Prades à propos du mot Certitude (tome II), dans lequel l’auteur traite des miracles et guérisons du Christ. Peu de temps auparavant, ce collaborateur de l’œuvre soutenait, en Sorbonne, une thèse largement appuyée sur le Discours préliminaire de L’Encyclopédie.
Ses travaux, empruntant plusieurs idées à Diderot ou à Voltaire, avaient déjà fait scandale et déclenché l’ire du pape lui-même, comme en témoigne cette note issue de La Gazette du 29 avril 1752 :
« La thèse, soutenue à Paris par l’abbé de Prades, n’a point échappé à l’attention du Saint-Père.
Après l’avoir fait examiner par des cardinaux et des théologiens, Sa Sainteté l’a condamnée [...] comme contenant des propositions respectivement fausses, offensives des oreilles pieuses, malsonnantes, téméraires, erronées, blasphématoires, impies, hérétiques et tendant à favoriser le déisme et le matérialisme. »
Voilà qui vient nuire encore davantage à la parution du deuxième tome de L’Encyclopédie, déjà condamné à la Cour par l’ancien évêque de Mirepoix.
Le 7 février 1752, sous la pression des Jésuites, l’œuvre, considérée comme « subversive et athée », fait l’objet d’un arrêté du Conseil du roi Louis XV interdisant l’impression et la diffusion des deux premiers volumes. Celui-ci condamne également au pilon les exemplaires déjà parus.
Le 19 février 1752, La Gazette, fait état de cette mesure royale, insistant sur les idées d’«irréligion » et d’« incrédulité » prétendument célébrées par l’ouvrage honni :
« On a publié ces jours-ci un arrêt du Conseil d’État qui porte que le Roi s’étant fait rendre compte de l’ouvrage intitulé Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des Sciences, des Arts & des Métiers, par une Société de gens de Lettres, Sa Majesté a reconnu que dans les deux premiers volumes de cet ouvrage, qui sont imprimés, on a affecté d’insérer plusieurs maximes tendant à détruire l’autorité Royale, à établir l’esprit d’indépendance, et, sous des termes obscurs et équivoques, à élever les fondements de l’erreur, de la corruption des mœurs, de l’irréligion et de l’incrédulité ;
que Sa Majesté, toujours attentive à ce qui touche l’ordre public et l’honneur de la Religion, a jugé à propos d’interposer son autorité, pour arrêter les suites que pourroient [sic] avoir les principes pernicieux répandus dans cet ouvrage ;
QU’À CES CAUSES, Elle ordonne que les deux premiers volumes de l’Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné, etc. soient et demeurent supprimés. »
Cependant, L’Encyclopédie bénéficie de la protection de Malesherbes, directeur de la Librairie et responsable de la censure royale sur les imprimés. Avec le soutien de ce dernier, la publication reprend au mois de novembre 1753.
Mais six ans plus tard, le 8 mars 1759, tandis que les Encyclopédistes viennent de publier leur septième volume, l’œuvre collaborative est à nouveau mise à l’index. Cette fois-ci, c’est à la fois à la faveur du Parlement et d’un bref émis par le pape Clément XIII. Aussitôt, les lettres de privilège du roi sont révoquées, et l’ensemble de l’œuvre est saisie puis condamnée au feu.
Une fois de plus, Malesherbes tente de protéger L’Encyclopédie en cachant chez lui les manuscrits de Diderot afin qu’ils ne soient pas détruits.
Envers et contre tout, l’entreprise encyclopédique continuera dans le plus grand secret chez le libraire Le Breton, qui se permettra néanmoins d’apporter plusieurs corrections et de censurer certains articles sans l’autorisation de Diderot.
Les derniers volumes, imprimés de façon illicite, sans privilège, paraitront sous une fausse adresse et seront vendus sous le manteau.
En 1772, après plus de vingt années de travail acharné, paraitra le 17e et dernier volume de L’Encyclopédie, œuvre considérable et définitive de la philosophie dite des Lumières, réunissant au total plus de 25 000 pages.