Le scandale du travail des enfants
En 1840, la publication des travaux de Dupin et de Villermé marque en France une première prise de conscience de la terrible condition des enfants ouvriers.
Au début des années 1840, on compte jusqu’à 143 000 enfants dans la grande industrie, dont 93 000 dans le seul secteur textile. La France commence alors à prendre conscience du problème, d'abord avec la proposition de loi du baron Dupin, qui veut limiter le travail excessif des enfants. Le 26 février 1840, Le Constitutionnel publie le rapport du député sur le sujet, qui désigne comme responsable la concurrence économique entre les manufactures :
"Messieurs, nous venons vous rendre compte de l'examen que nous avons fait du projet de loi présenté par le gouvernement, afin de protéger les enfants employés dans les manufactures, les usines et les ateliers. Aucun sujet plus important ne pouvait être offert aux méditations des amis de l'humanité.
La concurrence excessive des individus qui, dans chaque pays, exercent la même industrie, la concurrence non moins redoutable des nations qui luttent ensemble afin d'obtenir l'avantage en fabricant un même genre de produits, telles sont les causes les plus générales de la funeste tendance d'accroître au-delà de toutes bornes la durée du travail journalier."
Et d'expliquer que dans certaines filatures, les enfants commencent à travailler dès six ans. La question suscite de nombreux débats à l'Assemblée, les élus s'interrogeant sur les retombées économiques potentiellement néfastes d'une telle loi.
Le rapport Villermé, la même année, enfonce le clou. Ancien chirurgien dans les armées napoléoniennes, Louis-René Villermé est chargé de faire une étude sur la classe ouvrière dans les manufactures de textile. Il en tire un rapport de plus de 900 pages, Tableau de l’état physique et moral des ouvriers employés dans les manufactures de coton, de laine et de soie, qui fait grand bruit.
Villermé s'y attarde longuement sur les conditions de vie misérables des enfants de la classe ouvrière, dénonçant entre autres la forte mortalité infantile qui y règne. Le Journal des débats politiques et littéraires s'en émeut :
« Après quinze mois, sur cent enfants nés parmi les simples ouvriers des filatures, cinquante ne sont plus. Quel holocauste au dieu des manufactures ! Quelles hécatombes dévore cette implacable divinité ! »
S'il fait apparaître la responsabilité du patronat, le rapport de Villermé est pourtant loin d'être un brûlot anti-capitaliste. Parmi les causes de la misère des ouvriers, il désigne ainsi leurs mauvaises mœurs, imputables en grande partie à l'alcool, comme le note Le Constitutionnel du 1er juillet 1840.
« M. Villermé, passant ensuite à l'examen des causes de la misère de la classe ouvrière, établit que l'une des principales est l'ivrognerie. Il commence par chercher quelles sont les influences qui propagent dans le peuple les habitudes d'ivrognerie. Ce sont les mauvais exemples ; l'apprentissage d'un métier qui compte beaucoup d'ivrognes ; le travail en commun dans les manufactures et les désordres qu'entraîne l'organisation du compagnonnage ; l'oisiveté complète les jours de dimanche, et tous les chômages de courte durée ; le bas prix de l'eau-de-vie, des liqueurs spiritueuses, et le grand nombre de cafés et de cabarets ; enfin, le défaut ou l'oubli des principes moraux et religieux. »