1886 : laïcisation du personnel enseignant
Les lois scolaires votées en 1879 et 1889 fondent l’école de la IIIe République dont la laïcité constitue l’un des piliers majeurs. La loi Goblet est l’une d’entre elles : elle laïcise le personnel enseignant des écoles primaires. Elle comporte la première référence explicite à la laïcité dans un texte légal. Les débats vifs dans la presse autour de cette loi reflètent les tensions entre les catholiques et la République.
Affirmation du principe de laïcité
Héritiers des Lumières et de la Révolution, les républicains souhaitent faire reculer l’influence de l’Église catholique et enraciner le régime par une réforme profonde de l’instruction publique, contrôlée par l’Église depuis la loi Falloux (1850). Cette laïcisation s’est opérée par étapes. Les lois Ferry (1881-1882) fondent l’école publique gratuite, laïque et obligatoire. Après la laïcisation des programmes en 1882, la loi Goblet vise celle du personnel enseignant.
Grâce à elle, « la République (…) a pu achever la réforme scolaire et affirmer le droit de la liberté contre le privilège de l’Église » : « l’école neutre assure pour l’avenir le triomphe définitif de la démocratie ».
Cette « loi d’émancipation » fixe un seuil de 5 ans pour achever ce processus de substitution d’un personnel enseignant laïque aux congréganistes. Jean Frollo, dans Le Petit Parisien, dénonce la décision de s’être focalisé avant tout sur les écoles de garçons ; il regrette que l’on n’ait pas « exigé les mêmes réformes pour les écoles de filles » (19 novembre 1886).
De fait, la loi interdit aux religieux d’enseigner dans les écoles publiques : l’article 17 stipule que « dans les écoles publiques de tout ordre, l’enseignement est exclusivement confié à un personnel laïque ». « Je ne comprends pas que l’on laisse le soin d’enseigner et d’apprendre les libertés civiles et politiques à des hommes qui n’ont ni la liberté d’âme, ni la liberté de conscience, ni la liberté de pensée » se justifiait René Goblet. Émile Combe va plus loin et, le 7 juillet 1904, il interdit aux congrégations d’enseigner y compris dans les écoles privées.
Réorganisation de l’enseignement primaire
La loi Goblet réforme également l'école primaire. Initiée par Jules Ferry avant la chute de son ministère, elle redéfinit l’organisation de l’école maternelle, de l’école primaire élémentaire et de l’école primaire supérieure pour les enfants méritants des classes populaires. Les enfants des classes moyennes et bourgeoises suivent leur cursus dans les collèges et lycées.
Cette configuration reflète à la fois la ségrégation sociale scolaire de la IIIe République et la conviction des républicains que seule l’instruction des classes populaires rurales assurera l’adhésion des campagnes à la République. La question de la mixité n’est pas encore tranchée comme le montre l’article 6.
Cette loi fixe le statut des personnels enseignants des écoles primaires publiques. Les articles 21 et 22 imposent aux instituteurs l’obtention d’un certificat d’aptitude pour y enseigner et une période de stage de deux ans. Les questions du certificat et de la rémunération suscitent des inquiétudes chez les instituteurs. Il faut attendre la loi du 19 juillet 1889 pour que soit actée la rémunération par l’État des instituteurs qui deviennent de facto des fonctionnaires. Celle-ci distingue 5 classes de rémunération pour les directeurs et instituteurs et assume des écarts de salaire entre les hommes et les femmes.
Afin de mesurer les effets de sa loi, René Goblet fait établir des statistiques sur les écoles qui ont été laïcisées entre octobre 1886 et 1887 et mandate Ferdinand Buisson pour établir un rapport sur l’enseignement primaire en France et en Algérie pour les années 1886-1887, qui est relayé par La Presse le 27 septembre 1888.
Tensions entre les catholiques et la République
Si la laïcisation s’opère dans les prétoires et les hôpitaux, c’est à l’école qu’elle suscite le plus de crispations. Les débats au Parlement et dans la presse ont été houleux et les différents articles de la loi très combattus, notamment l’article 17.
Si Henri Rochefort proclame son anticléricalisme en déclarant qu'« interdire la religion dans les écoles publiques est donc non seulement une question de liberté de conscience, c’est aussi une question d’humanité et de salut public », les journaux conservateurs, catholiques et monarchistes (Le Gaulois, La Croix, L’Univers) se lancent dans une intense propagande afin de combattre la laïcisation de l’enseignement dans l’école primaire et le principe de neutralité de l’école.
Henri des Houx voit dans la loi Goblet « une loi de guerre contre la religion ». Jules Cornély encourage les parlementaires et les sénateurs d’opposition à ne pas voter la loi du « Petit Goblet ». Les conservateurs y voient un moyen pour « chasser de l’école le Frère, la Sœur, et avec eux le catéchisme religieux qu’il s’agit de remplacer par les fameux Manuels civiques ».
À la Chambre des députés et au Sénat, les conservateurs s’insurgent contre l’article 66 qui refuse aux congréganistes l’exemption du service militaire dont jouissent les instituteurs publics. Pierre Veuillot, dans L’Univers, dénonce une injustice le 30 octobre 1886. Cornély, dans Le Gaulois, dénonce le coût exorbitant de la politique scolaire initiée par Jules Ferry et relève la diminution du nombre d’élèves dans les écoles publiques depuis 1877. Il s’agit de convaincre les contribuables de la « gabegie » des républicains au pouvoir.
Enfin Jules Simon, républicain conservateur, fustige cette loi qu’il considère comme portant atteinte à la liberté de conscience. Il s’attire les foudres de La Lanterne, journal anticlérical qui lui rétorque que « la liberté (...) est violée lorsqu’on oblige un protestant ou un juif ou un libre-penseur à faire instruire son enfant par un prêtre catholique ».
René Goblet (1828-1905)
Avocat et homme politique, qui a affirmé ses convictions républicaines sous le Second Empire. Plusieurs fois député, ministre, et président du Conseil, c’est un des chefs de fil de la gauche républicaine radicale et un adversaire des opportunistes et de Jules Ferry. Parmi les grandes lois qu’il a fait voter, on peut retenir la réforme municipale en 1884, et la laïcisation des personnels enseignants dans le primaire et la réforme de l’organisation et du fonctionnement de l’enseignement primaire en 1886. Il partage certaines idées communes avec les socialistes mais il rejette le collectivisme. Il prend la direction de la Petite République, organe de la gauche radicale-socialiste.