L'extermination des loups de France
L'élimination des loups en France a été vivement encouragée par l’État depuis le Moyen âge jusqu'au début du XXe siècle. L'animal, dangereux pour les troupeaux, était alors unanimement considéré comme un nuisible.
Sous l'Ancien Régime, ils étaient plusieurs dizaines de milliers en France. Mais le XIXe siècle aura été fatal aux loups hexagonaux. La faute à l'humanisation du territoire, avec la déforestation et l'élevage, mais aussi à une volonté politique d'exterminer les derniers individus présents, considérés comme une menace pour les troupeaux.
Charlemagne, entre 800 et 813, avait déjà créé un corps spécial de chasseurs de loups, la louveterie, chargée de détruire systématiquement l'animal - une institution qui perdurera jusqu'après la Révolution, après une abolition momentanée entre 1787 et 1797. Mais le législateur du XIXe va prendre de nouvelles mesures.
En 1880, le ministère de l'Agriculture s'engage ainsi à verser une prime à quiconque tue un loup. À la Chambre des députés, le ministre Tirard justifie ainsi la mesure dans un long discours :
« On n'évalue pas à moins d'un mouton ou d'un jeune poulain par semaine, la nourriture d'une famille de loups, soit environ 45 à 50 millions par an que prélève ainsi sur notre agriculture une population de plus de 5 000 loups. »
La presse, en particulier régionale, soutient à l'unanimité cette initiative. L'Avenir de la Mayenne la salue avec enthousiasme et indique le barême des primes prévues par le ministère :
« Le 3 juin dernier, M. le ministre de l’agriculture et du commerce a déposé un projet de loi concernant la destruction des loups. Ce projet consiste en primes dont la fixation est la suivante : cent francs par tête de loup ou de louve non pleine ; cent cinquante francs par tête de louve pleine ; quarante francs par tête de louveteau, c'est-à-dire pour les jeunes loups dont le poids est inférieur à huit kilos.
Enfin lors qu'il sera prouvé qu’un loup s’est jeté sur des êtres humains celui qui le tuera aura droit à une prime de deux cents francs. De plus, la dépouille du loup appartiendra au chasseur ou, s’il y renonce, au bureau de bienfaisance. »
Et d'ajouter :
« Les loups qu’il s’agit en effet de détruire sont, pour la plupart, des envahisseurs qui ont passé la frontière en 1870, à la suite des armées allemandes. Voilà de quoi, nous l’espérons, donner du cœur au ventre aux tueurs de loups. La Société d’agriculture l’a dit, c’est une question d’humanité. Nous ajoutons, nous, c’est une question patriotique. Donc guerre aux loups, sus aux loups ! »
Avec l'usage de fusils de plus en plus performants, mais aussi de divers poisons (dont la redoutable strychnine), le nombre de loups présents en France, déjà faible, va décroître considérablement. La Société protectrice des animaux a beau protester, elle ne reçoit que moqueries et incompréhension. L'Avenir républicain de Troyes écrit ainsi dès 1875 :
« La société protectrice des animaux possède une section libre et non inscrite sur ses registres, qui se préoccupe uniquement de la conservation des animaux nuisibles. La moitié la plus lettrée de cette section se compose de philosophes profonds et mystiques. Ils parlent des décrets de la Providence, de la pondération et de l’équilibre des espèces, de l’ordre admirable de l'univers et des lois primordiales de la création.
Ils ne veulent pas qu’on supprime rien, même le mal, parce que ce mal est peut-être destiné à prévenir ou à limiter un mal plus grand. Ils veulent conserver tous les carnassiers : ours, loups, renards, fouines, éperviers, d'abord parce que ce sont des créatures de Dieu ! et ensuite par ce qu'ils détruisent les rats, les souris, les taupes. »
Et en effet, les défenseurs des loups ne seront guère entendus. La Petite République, quatre ans après la loi de 1880, se réjouit des progrès accomplis :
« On peut espérer qu’en un temps donné nous verrons disparaître des campagnes de France, comme elle a déjà disparu en Angleterre, la race de maître Loup, grand mangeur de moutons. Son souvenir ne se retrouvera plus que dans les récits d’anciens temps contés à la veillée par les vieilles grand’mères […].
Le dernier bulletin publié par le ministère de l’agriculture contient l’état des loups tués en 1883 et des primes accordées. Nous y voyons que le nombre de loups détruits en cette seule année a été de 1,308 […]. Belle chasse, on le voit ! En continuant de ce train, en détruisant chaque année plus d’un millier de loups sur le territoire de la France, on peut parier, comme nous le disions plus haut, pour la future extinction de la race. »
L'extermination des loups ne sera toutefois achevée que plusieurs décennies plus tard. En 1930, un article du Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire pose la question en titre : « Y a-t-il encore des loups en France ? ». Et répond par la quasi-négative :
« Au début du XIX siècle, les loups étaient encore fort nombreux en France, et surtout en Bretagne, en Auvergne, dans les provinces de l’Ouest, du Sud, de l’Est. Puis le développement des cultures, le perfectionnement des armes, l’emploi du poison, les firent diminuer de nombre et presque disparaître [...].
Une chasse bien organisée eut raison du fléau et depuis trente ans, le loup est devenu rare en France [...]. La dernière victime humaine des loups fut une vieille femme tuée en octobre 1918 en Haute-Vienne. En février 1927, dans le Cantal, un loup dévora un âne. Mais ces faits deviennent exceptionnels.
On ne voit plus que des individus errants ; et encore il est permis de penser que ces loups viennent d’Espagne au cours des hivers rigoureux [...]. Bientôt le loup de France aura disparu. On ne parlera plus de lui qu’en racontant le Petit. Chaperon Rouge, le Chien de Brisquet ou la Chèvre de M. Seguin. »
Après avoir totalement disparu du territoire pendant une soixantaine d'années, quelques individus venus d'Italie sont toutefois réapparus dans les Alpes françaises en 1992.
Les loups seraient aujourd'hui environ 360 sur le territoire. Leur présence suscite toujours la polémique.