Printemps de l'histoire environnementale : 2e édition
RetroNews est partenaire du Printemps de l'histoire environnementale qui se déroule du 1er au 16 juin 2023 dans toute la France.
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Champ de recherche relativement neuf, l’histoire environnementale s’est considérablement développée en deux décennies en France. Retour rapide sur le sujet avec l’historien Stéphane Frioux.
Stéphane Frioux est historien, maître de conférence d’histoire contemporaine à l’Université Lumière Lyon 2. Il travaille sur l’histoire urbaine, l’histoire environnementale, l’action publique, et les politiques environnementales.
A l’occasion de la 2e édition du Printemps de l’histoire environnementale, nous nous sommes entretenus sur les origines et le futur de l’histoire environnementale.
Propos recueillis par Manon Faure
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Stéphane Frioux participe au festival Printemps de l’histoire environnementale, qui se tiendra du 1er au 16 juin 2023.
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Printemps de l'histoire environnementale : 2e édition
RetroNews est partenaire du Printemps de l'histoire environnementale qui se déroule du 1er au 16 juin 2023 dans toute la France.
RetroNews : Cette année marque la deuxième édition du festival du Printemps de l'histoire environnementale : où en est-on aujourd'hui de la recherche sur le sujet en France ?
Stéphane Frioux : L’histoire environnementale s’est considérablement développée en deux décennies et est une approche désormais bien identifiée par la profession. Elle est pratiquée par des historiennes et historiens, mais d’autres universitaires s’en réclament, quand ils utilisent la dimension temporelle en géographie, sociologie ou même philosophie. Elle est présente désormais dans les cursus d’enseignement de nombreuses universitaires, a deux collections dédiées chez des éditeurs et son essor suscite même de l’envie chez les collègues d’autres pays européens !
Quels sont les enjeux de vos champs de recherche ? Requièrent-ils une approche pluridisciplinaire, voire transdisciplinaire ?
L’enjeu majeur est de comprendre les interactions entre les sociétés et leur environnement, à une époque ou sur une période donnée, ou les réactions face à un événement à dimension environnementale (inondation, séisme, etc.). C’est une définition très simple, mais efficace. En effet, au début de l’histoire environnementale française, il paraissait clair, pour évoquer l’époque contemporaine (XIXe-XXe siècles) que différents objets de recherche (l’industrie, l’agronomie...) faisaient l’objet de fortes traditions d’histoire économique et sociale, ou d’histoire des sciences et techniques, mais que l’on n’avait guère songé à s’occuper de l’impact de ces activités sur l’environnement. L’histoire des forêts avait été un domaine précurseur, avec des contacts interdisciplinaires entre historiens, géographes, et même gestionnaires de forêts.
L’environnement est depuis longtemps, considéré par les institutions scientifiques comme un enjeu pluridisciplinaire ; le CNRS a créé des programmes sur l’environnement dès les années 1970. Mais l’histoire y tint longtemps une place marginale, même si à la fin des années 1980 et au début des années 1990, Robert Delort et Corinne Beck, deux médiévistes, ont animé un gros programme de recherche « Pour une histoire de l’environnement ».
L’environnement suscite désormais des regroupements de chercheurs sur des sites bien précisés, autour des questions hydriques (la vallée du Rhône), industrielles, ou des territoires de montagne. La nouveauté est que l’on mêle désormais les archives écrites (ou orales) et non écrites. Les archéologues des époques antique et médiévale ont été précurseurs dans le domaine. Désormais, chaque période explore des questions environnementales, avec ses propres sources et objets de recherche : cela va des jardins du XVIIIe siècle aux animaux des espaces coloniaux, en passant par les différentes nuisances et pollutions de l’ère contemporaine.
Quels questionnements vous ont amenés à vous consacrer à l’histoire environnementale ?
J’ai d’abord fait de l’histoire environnementale « sans le savoir », comme M. Jourdain faisait de la prose sans le savoir… A l’image de nombreux collègues du tournant XXe/XXIe siècles. Je m’intéressais à la question de l’insalubrité dans les villes du XIXe siècle. Je voyais ce travail sous le signe de l’histoire de l’hygiène publique. J’ai pu en tirer un article dans une revue d’histoire et j’ai envoyé cet article au premier prix que venait de créer la société européenne pour l’histoire environnementale (ESEH) en 2003. A ma grande surprise, cet article écrit en français, avec une page de résumé anglais pour le jury international, a été primé… et je suis entré en contact avec la communauté internationale d’histoire environnementale, très diverse, puisque l’histoire sociale y côtoie l’histoire des sciences, l’écologie historique, la géographie, etc.
Un séjour aux États-Unis m’a ensuite permis de découvrir l’ancienneté des préoccupations d’historiens américains pour l’environnement urbain, et j’ai décidé de suivre leur exemple dans mon cursus de thèse. Je pense que le citadin d’adoption que je suis devenu par mes études puis mon travail a été fasciné par l’incessant renouvellement de la question des pollutions. Je dois beaucoup à l’œuvre pionnière de Geneviève Massard-Guilbaud, qui a inspiré la première génération de chercheurs à se réclamer de l’histoire environnementale, et qui peut maintenant transmettre et enseigner une diversité de sujets, grâce à l’essor des recherches.
Quelles sources peut-on mobiliser pour comprendre les relations entre les hommes et leurs environnements ?
Les sources mobilisables sont extrêmement diverses. L’essor de ces dernières années a permis de montrer la richesse des archives, pourvu qu’on veuille bien les regarder avec une problématique sur les liens entre sociétés et environnement. Les rapports d’experts (chimistes, naturalistes, forestiers, agronomes, etc.) sont une source essentielle, mais la parole des citoyens est également disponible, par exemple en France dans les dossiers d’enquête au sujet des établissements classés dangereux, incommodes, ou insalubres, et par les pétitions et le relais de la presse quotidienne, écrite puis audiovisuelle après 1945.
Des recherches sont également menées à l’interface avec d’autres disciplines et utilisent des sources non écrites : archéologiques, ou issues de prélèvements sédimentaires, par exemple. L’historien de l’écrit que je suis est admiratif de ces pratiques d’enquête qui font « parler » les traces matérielles du passé de nos sociétés.
A partir de quand peut-on estimer qu’une certaine forme de militantisme écologique se met en place autour des questions de santé et d'environnement ?
Les luttes pour défendre l’environnement sont anciennes, plus que ce qu’on pourrait imaginer quand on n’est pas historien mais simplement intéressé par le sujet. Elles préexistent largement aux vocables d’environnement et d’écologie. Quelques images reviennent en mémoire aux plus anciens : la candidature de René Dumont à l’élection présidentielle de 1974, des manifestations de groupes écologistes urbains à vélo, les protestations antinucléaires allemandes et françaises, endeuillées à Malville (Isère) en 1977.
Auparavant, au XIXe siècle et dans la première moitié du XXe siècle, on est dans une situation de mobilisations ponctuelles, visant à défendre un intérêt précis. Outre-Atlantique, la « nature vierge, sauvage », suscite l’essor d’associations spécifiques comme le Sierra Club. En Grande-Bretagne, le National Trust est doté d’une charte lui permettant de soustraire à l’appétit foncier des espaces de valeur naturelle.
Le militantisme considérant les problèmes sanitaires et environnementaux sous une forme globale se structure dans les années 1960-1980, influencé par quelques écrits d’alerte environnementale (tels ceux de Rachel Carson et Barry Commoner), quelques événements comme les marées noires, et la mise sur l’agenda officiel des problèmes environnementaux (les « Cent mesures pour l’environnement »).
En France aux débuts des années 1970, naturalistes, universitaires ou amateurs comprennent qu’il va désormais falloir peser dans le débat politique et médiatique si l’on veut obtenir des avancées – ou même simplement faire respecter la loi. On se souvient de la « bataille » de la Vanoise, pour empêcher le déclassement d’une partie de ce parc national au profit d’une station de ski.
Peut-on identifier un, ou des moments de prise de conscience sur la relation entre la santé et l'environnement?
Il y a plusieurs moments de prise de conscience de la relation entre santé et environnement. Il faudrait également distinguer l’histoire des savoirs médicaux, et les savoirs qu’on qualifie de « profanes », de populations qui cherchent à expliquer les maladies ou à les soigner en recourant à l’environnement, sans avoir la validation des savants.
Au cours du XVIIIe et durant une grande partie du XIXe siècle, la médecine est démunie pour expliquer un certain nombre de fléaux et l’on inspecte en conséquence « les eaux, les airs, les lieux » pour reprendre le titre d’un traité d’Hippocrate. C’est la médecine que l’on a appelée « néo-hippocratique », qui craint la saleté et la putréfaction, traque les « miasmes » pour prévenir le paludisme et le choléra. Avec la bactériologie, à partir des années 1880 on identifie le danger dans l’infiniment petit, mais cela reste une démarche environnementale, même si la perception sensorielle du médecin est évacuée au profit de l’analyse de laboratoire, sur des prélèvements que l’on fait dans l’eau des puits ou l’atmosphère des espaces confinés, tel le métropolitain dès le début du XXe siècle.
La relation entre santé et environnement est ensuite largement marginalisée jusqu’à la fin du siècle, sous l’impulsion de plusieurs phénomènes : recul des maladies infectieuses et développement de nouveaux fléaux, comme le cancer ; technicisation de la médecine pour le diagnostic (radiologie, etc.), la chirurgie, ou la thérapeutique avec le progrès des médicaments. Pour des environnements où le lien causal pourrait être plus facilement établi, comme les lieux clos des ateliers, le déni de la preuve est un facteur structurant et la médecine du travail ne dialogue guère avec celle de l’espace public. Ce cloisonnement empêche les problématiques de santé environnementale de disposer d’une communauté scientifique dédiée.
C’est à la suite de différents scandales sanitaires que l’agenda politique se remplit avec des Agences, des « Plans nationaux », et que la recherche scientifique se développe, par exemple pour rechercher les facteurs environnementaux de cancer. En 2013, l’OMS reconnaît ainsi le caractère cancérogène des particules émises par les véhicules diesel. Mais les stratégies de prévention et de réglementation, se heurtent aux différents intérêts professionnels (le cas du glyphosate l’a bien montré) et à nos habitudes de consommation.
Historiquement, les conséquences de l’urbanisation et des activités industrielles sont-elles prises en compte par les pouvoirs publics ? Quelles mesures ont pu être mises en place ?
Les conséquences de l’urbanisme et des activités industrielles ont été prises en compte depuis très longtemps. Sous l’Ancien Régime, des commissaires de police pouvaient ainsi faire déplacer des ateliers jugés trop dangereux ou nuisibles par le voisinage. Mais avec la Révolution française, tout ce qui ressemblait à l’arbitraire royal est supprimé. Dans le même temps se développe une industrie chimique très polluante, la fabrication de soude ou d’acide sulfurique, qui engendre des dégâts à des hectomètres à la ronde.
Les historiens, comme Thomas Le Roux et Geneviève Massard-Guilbaud, ont montré que le décret du 15 octobre 1810 est pris non pas pour protéger l’environnement des nuisances industrielles, mais plutôt pour donner une garantie aux industriels qui, une fois dûment autorisés, pourraient avoir une légitimité décourageant les plaintes éventuelles de nouveaux voisins. Ce décret institue une procédure d’enquête publique qui, cependant, va donner la parole aux habitantes et habitants, et, à mesure que l’urbanisation produit de la proximité entre habitat et activités productives, va engendrer de plus en plus de demandes de régulation.
Dans le dernier tiers du XXe siècle s’est posée une nouvelle question, celle du risque majeur, à la suite d’accidents comme l’incendie de la raffinerie de Feyzin au sud de Lyon en janvier 1966, du nuage de dioxine de Seveso en juillet 1976, de la catastrophe de Bhopal en Inde en décembre 1984 ou de celle de Tchernobyl. Et en même temps, un certain nombre d’activités polluantes ont quitté le territoire des pays occidentaux pour les pays appelés « en voie de développement ». Cependant, des épisodes ont montré que le risque zéro n’existe pas, comme l’explosion de l’usine AZF qui a profondément marqué l’agglomération toulousaine et suscité une nouvelle loi, en 2003.
Aujourd’hui, l’histoire environnementale est-elle aussi un enjeu d’histoire publique ?
L’histoire publique n’est pas forcément une étiquette revendiquée par les historiennes et historiens des questions environnementales, mais les enjeux de l’usage non-académique de l’histoire traversent forcément la profession.
D’abord, on peut se poser la question du choix du sujet de recherche : celui dénote forcément un intérêt, un engagement, pour affirmer face aux collègues que l’environnement est un sujet important.
Ensuite, les médias ont tendance à se tourner davantage vers l’histoire lorsque survient une catastrophe, ce qu’on a pu constater dans les jours qui ont suivi l’incendie de l’usine Lubrizol à Rouen, en septembre 2019. En outre, l’histoire peut contribuer à une forme de diffusion des savoirs auprès du grand public que pratiquent des acteurs comme les institutions muséales.
Le climat, les déchets, l’hygiène, sont devenus des objets légitimes d’exposition.
Parfois, l’expertise historienne est appelée par l’autorité publique, voire judiciaire – encore plus dans d’autres cultures juridiques, comme en Amérique du Nord – pour comprendre, comme après la tempête Xynthia de 2010, pour retracer l’histoire d’un site pollué. Mais les historiens ne sont pas propriétaires du passé et de la pratique consistant à le mettre en récit. Elles et ils doivent faire preuve de rigueur, pointer les contradictions des sociétés passées, en particulier du XXe siècle qui est à la fois un siècle de consommation accélérée des ressources et de fabrication de substances nocives innombrables, et celui de l’irruption de l’enjeu environnemental sur la scène politique.
Et la situation que nous vivons ne manquera pas de fabriquer de nouvelles recherches… de plus en plus appuyées sur les nouvelles archives nativement numériques – un numérique dont on sait également qu’il n’est pas sans impact environnemental…
Bref, la question du réchauffement climatique n’épuise pas la variété des débats sociaux dans lesquels un regard d’histoire environnementale peut être utile !
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Stéphane Frioux est historien, maître de conférence d’histoire contemporaine à l’Université Lumière Lyon 2. Il travaille sur l’histoire urbaine, l’histoire environnementale, l’action publique, et les politiques environnementales.