Écho de presse

Le crime jamais élucidé du métro parisien

le 29/12/2018 par Arnaud Pagès
le 10/01/2018 par Arnaud Pagès - modifié le 29/12/2018
Photo de la victime du « crime du métro » Lætitia Toureaux, circa 1937, Paris-Soir - source : RetroNews-BnF

Le 16 mai 1937, Lætitia Toureaux est retrouvée dans un wagon un couteau enfoncé dans la gorge, à la station Porte Dorée. Une longue enquête débute – elle n'aboutira jamais.

À 18h27 le 16 mai, un médecin militaire découvre le corps sans vie de Lætitia Toureaux ; celui-ci gît dans une mare de sang.

Dans les minutes qui suivent le meurtre, le commissaire principal Badin, qui vient d’être chargé des investigations, tente de reconstituer ce qui s'est passé.

Il apparaît que pour commettre son forfait, l'assassin a agi d'une façon extrêmement rapide alors que la victime se trouvait seule dans le wagon. Le coup mortel a été donné soit quelques secondes avant que le métro ne démarre à la station précédente Porte de Charenton, soit pendant le trajet, l'assassin ayant alors vraisemblablement sauté du train en marche pour s'enfuir.

Le couteau Laguiole qui a provoqué la mort de Lætitia Toureaux a été enfoncé dans son cou avec une telle violence qu'il a sectionné la moelle épinière. Personne n'a rien vu. La piste crapuleuse est tout de suite écartée, aucun objet n'ayant été dérobé à la victime. C'est un crime sans mobile. Rien ne semblait pourtant prédestiner cette jeune femme de 30 ans à une fin aussi brutale.

La presse, comme les policiers, s'interroge sur ce crime mystérieux. Le 19 mai 1937,  le quotidien Paris-Soir relate :

« On a pu reconstituer à cinq minutes près l'emploi du temps de Lætitia Toureaux.
À aucun moment, dans les heures qui précèdent la minute fatale, on ne retrouve dans sa vie, dans ses gestes, cet élément de trouble, ce ressort qui pourrait déclencher le meurtre, ce que les policiers appellent l'élément criminel.
 »

Née le 11 septembre 1907 à Oyace, un petit village du Val d'Aoste, de parents modestes cultivateurs qui viendront s'installer en France juste après la Première Guerre mondiale, Lætitia Toureaux mène une existence banale.

Ouvrière la semaine dans une usine de fabrication de cirage à Saint-Ouen, elle arrondit ses fins de mois en tenant à l'occasion le vestiaire de l'As de Cœur, un dancing louche de Montmartre. Veuve de Jules Toureaux, un artisan potier décédé deux ans auparavant de la tuberculose, elle vit seule dans un petit appartement du 20e arrondissement.

Il n'y a que le week-end où sa vie prend quelques couleurs, lorsqu'elle va danser et s'amuser dans les guinguettes de la banlieue parisienne.

Pourtant, l'enquête va rapidement révéler une existence plus trouble qu'il n'y paraît.

Le commissaire Badin s'aperçoit que Lætitia Toureaux se rend très souvent – jusqu'à plusieurs fois par mois – et en toute discrétion, à l'ambassade d'Italie, sans que l'on parvienne à déterminer la raison de ces rendez-vous secrets. À cette époque-là, de nombreux dissidents italiens ont fui le régime fasciste de Benito Mussolini, et beaucoup d’entre eux sont installés en France.

Pour garder un œil sur eux, le « Duce » se sert de l'Ovra, la police politique du régime, très puissante en Italie, et qui utilise les services de nombreux informateurs à travers l'Europe. La piste d'une Lætitia Toureaux espionne à la solde du régime italien et assassinée par l’un de ses compatriotes, semble séduisante et fournit un mobile ; toutefois, malgré les investigations, aucun suspect ne pourra être appréhendé.

Le mystère s'épaissit un peu plus lorsque la police découvre que Lætitia Toureaux travaillait également sous un faux nom en tant qu’enquêtrice privée pour l'agence de détectives Ruffi, sur des missions pouvant parfois être sensibles et dont elle « redoutait les vengeances ».

Paris-Soir, dans son édition du 28 mai 1937, relate ainsi :

« Lætitia Toureaux aurait averti son père qu'elle s'occupait de missions policières.
Elle aurait précisé que certains de ses services étaient très délicats et qu'elle ne pouvait pas se défendre à certains instants d'éprouver quelques craintes.
 »

Des vérifications sont faites dans le milieu de la pègre parisienne, et auprès des personnes sur lesquelles l’agence a enquêté, toutes systématiquement interrogées. Cependant là encore, aucun suspect n'est détecté.

La police piétine. La seule carte qui lui reste en main est celle des amants de Lætitia Toureaux. Étrangement, elle entretenait plusieurs relations amoureuses avec des militaires et des agents du Deuxième Bureau – les services de renseignement de l'armée.

Dans son édition du 2 juin 1937, le quotidien Le Matin a retrouvé l'un deux, le soldat René Schramm du 149e régiment d'infanterie de Longwy. R.A.S., comme on dit :

« À partir du mois de septembre, M. Schramm et Lætitia Toureaux demeurèrent en relations épistolaires et à chaque permission, le jeune soldat venait rejoindre son amie à Paris. […]

Enfin, le témoin a déclaré n'avoir jamais reçu de la jeune femme de confidences sur sa vie passée, à l'exception de quelques filatures qu'elle avoua avoir faites pour des cas de divorce. »

Toutes pistes explorées, le commissaire Badin ne parviendra toutefois jamais à mettre la main sur l'assassin. La Seconde Guerre mondiale, qui débute deux ans plus tard, finira par reléguer l'affaire Lætitia Toureaux de la une des journaux aux fichiers poussiéreux des crimes non élucidés.

Bien des années plus tard, en 1962, un inconnu adressera une lettre au directeur de la police judiciaire pour s'accuser du crime. Ayant été éconduit par Lætitia Toureaux alors qu'il lui avait déclaré sa flamme, il avait voulu « se venger ».

Le crime étant classé depuis plusieurs années, la police judiciaire ne donnera jamais suite.