1842 : L'assassinat des Buttes-Chaumont
Au matin du 3 avril 1842, un homme est retrouvé mort au fond des carrières des Buttes-Chaumont : il porte la Légion d’honneur à sa boutonnière.
Dans son édition du 29 octobre 1842, Le Constitutionnel rapporte dans sa chronique judiciaire un incident survenu quelques mois plus tôt dans une carrière des Buttes-Chaumont, à Paris.
« Le dimanche 3 avril dernier, à cinq heures du matin, le sieur Roussel, arrivant avec ses ouvriers à la carrière qu’il exploite, aux Buttes Saint-Chaumont, aperçut au fond de la carrière le cadavre d’un homme.
La carrière s’exploitait par trois larges banquettes de près de quinze mètres chacune, et un homme, en se précipitant dans la carrière, n’aurait pu arriver au point où se trouvait le cadavre. »
Selon les médecins, la victime aurait d’abord été tuée, avant d’être jetée au fond de la carrière. Le corps porte en outre plusieurs blessures dues à des coups de couteau.
À cette époque, le parc des Buttes-Chaumont n’existe pas encore. En 1842, ces collines au nord de Paris, au-delà des limites d’alors de la ville, sont uniquement occupées par des carrières de plâtre. Il y est aisé d’y rôder la nuit, et de fait, les buttes sont alors réputées pour servir de repaire à de nombreux malfrats.
Le cadavre est apporté à la morgue afin de procéder à son identification. À cette époque, la morgue [voir notre article] est basée sur le quai du Marché-Neuf, dans l’île de la Cité, à proximité du pont Saint-Michel.
Deux jours plus tard, dans son édition du 31 octobre 1842, Le Moniteur universel révèle l’identité de la mystérieuse victime.
« Il fut reconnu, par les sieurs Hubert et Julian, pour celui de Joseph-Hyacinthe Cataigne, cocher de cabriolet de régie, employé ainsi que Hubert, dans l’établissement du sieur Julian. »
Le Moniteur poursuit son article en indiquant qui fut ce Cataigne dont le corps a été retrouvé dans les carrières. Selon toute vraisemblance, il s’agit d’un brave soldat napoléonien bardé de médailles, devenu anonyme.
« Blessé à Friedland, il avait fait les campagnes de Prusse, d’Autriche, de Russie, de France. Bon et brave soldat, il professait pour la mémoire de l’empereur un culte porté jusqu’à l’idolâtrie. »
L’homme vivait avec sa fille Élisa dans le quartier du Gros-Caillou, rue Saint-Dominique, non loin des Invalides. Le journaliste révèle sa vie difficile, de plus en plus minée par les problèmes matériels.
« Gêné par les dépenses qu’il avait été obligé de faire pour son fils, qui venait de partir pour le Brésil, Cataigne avait engagé au mont-de-piété sa montre d’argent et une chaîne, ainsi qu’un cachet en or. »
Le 29 octobre 1842, Le Journal des débats politiques et littéraires indique plusieurs détails troublants à propos des dernières heures du soldat devenu cocher.
« Cataigne avait passé dans la rue Mauconseil la veille à huit heures un quart du soir. Son neveu Collet, avec lequel il avait diné, l’avait quitté à cette heure-là même.
Cataigne avait manifesté le quittant le dessein de retourner immédiatement chez lui rue saint-Dominique, au Gros-Caillou. »
Le Moniteur universel livre d’autres éléments, tout aussi équivoques :
« [...] Il était sorti le 2 avril matin, annonçant à sa fille qu’il ferait quelques visites et reviendrait diner à six heures. Dans le cours de la matinée, on le voit entrer dans divers cabarets. »
Aussitôt en sortant de la morgue, l’orpheline Élisa est conduite chez un commissaire au mont-de-piété, où elle « forma opposition à la délivrance des reconnaissances de tous objets engagés sous le nom de Cataigne », au cas où le motif de l’assassinat soit d’ordre pécuniaire.
Cette méthode s’avère payante. Le Journal des débats politiques et littéraires relate la mise en branle des événements :
« Quelques instants après, un nommé Robin vint chez le même concessionnaire et présenta une reconnaissance d’engagement par Cataigne d’une montre en argent.
Robin et un nommé Moller, qui attendait Robin dans la rue, furent immédiatement arrêtés. »
Le Constitutionnel complète, ajoutant de nouveaux personnages décisifs à l’intrigue :
« Moller déclara qu’il avait acheté cette reconnaissance le 3 avril dans la journée moyennant 2 fr 50 c, dans un cabaret appelé le Petit Ramponneau, barrière de Belleville, d’individus qu’il offrit de faire arrêter. […]
La police arrêta Victor Mallet dit Délicat, marinier, Charles-Louis-Joseph Mirault, sellier, et Edouard-Pierre Villetard, plombier, qui tous trois comparaissent aujourd’hui devant le jury. »
Le Moniteur universel révèle les motivations sinistres des trois compères, ainsi que le déroulement des faits. N’ayant pas trouvé le moindre sou sur le corps de la victime, ils se mettent en tête de vendre au plus offrant les reconnaissances du mont-de-piété qu’ils ont tirées de son portefeuille.
« Vallet, dit Délicat, y était entré [au cabaret] à neuf heures moins un quart, tout essoufflé, les mains pleines de boue. Il a tiré, de dessous sa blouse, un portefeuille qui refermait des papiers et des reconnaissances du mont-de-piété. »
Au moment de la transaction, Vallet aurait dit aux acheteurs Robin et Moller, mentant sans scrupule : « Je les ai eues sur un homme avec lequel je me suis battu sur le boulevard. »
Au tribunal, aucun des trois prévenus ne revient sur sa déposition. Depuis le début de la procédure, tous nient en bloc les faits qui leur sont imputés.
Après délibérations, la Cour condamne Vallet et Mirault à la peine de mort pour homicide volontaire avec préméditation. Le complice Villetard, lui, est contraint de passer vingt ans aux travaux forcés avec exposition.
Vallet se serait alors exclamé : « Nous avons buté le mauvais décoré. »
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Cédric est le fondateur et l'auteur du site Histoires de Paris.