L'épopée meurtrière des Chauffeurs de la Drôme
Entre 1905 et 1908, une bande de malfrats a terrorisé les habitants de la Drôme, dont ils brûlaient les pieds pour leur faire avouer où ils cachaient leurs économies. Ils furent arrêtés par les Brigades du Tigre de Clemenceau.
Le jour, ils étaient cordonnier, maçon, manœuvre. La nuit, ils s'introduisaient dans les maisons isolées en quête des bas de laine de leurs habitants.
Les « Chauffeurs de la Drôme » doivent leur surnom à la méthode particulièrement cruelle utilisée pour commettre leurs forfaits : ils brûlaient les pieds de leurs victimes sur les braises de la cheminée jusqu'à ce qu'ils révèlent l'endroit où leurs économies étaient cachées. Puis ils les tuaient avant d'incendier leur maison.
Une du Petit Journal supplément du dimanche du 15 novembre 1908
Entrée en activité en 1905, la bande criminelle commet en à peine trois ans quelque douze assassinats. Il faut l'intervention des Brigades du Tigre créées en 1907 par Georges Clemenceau [voir notre article] pour que les meurtriers soient enfin démasqués au mois d'octobre 1908.
Le soulagement est évidemment immense. Le Journal s'en fait l'écho début novembre :
« Les populations de la Drôme et de l'Isère viennent d'être délivrées d'un véritable cauchemar. Depuis trois ans environ, des crimes présentant des analogies frappantes et ayant, à coup sûr, les mêmes auteurs, se succédaient dans la région, sans que la justice réussît à mettre la main sur les coupables.
C'étaient toujours des vieillards assassinés à la tombée de la nuit dans des fermes isolées, par des individus mystérieux, qui apportaient dans la perpétration de leurs forfaits une incroyable cruauté et une habileté sans égale à dépister toutes les recherches. »
Le récit des crimes atroces s'étale alors dans la presse. Ils sont racontés de bonne grâce et avec moult détails et traits d'esprit déplacés par leur instigateur, le chef de la bande, Louis David. Le Petit Parisien rapporte ainsi :
« Très calme, comme s'il eût fait le récit d'une prouesse, David expliqua :
“Nous n'avons pas eu de peine pour entrer. Le vieux, c'est une justice à lui rendre, n'était pas peureux. La porte donnant sur le chemin n'était fermée qu'au loquet. Nous sommes arrivés jusqu'à son lit sans même qu'il s'en aperçût, une vraie rigolade, quoi.
En quelques secondes, nous l'avons ligoté, bâillonné et il s'est trouvé à terre, étouffé sous ses couvertures.
Par précaution, Liotard lui avait préalablement serré un peu le cou avec une corde qu'il portait toujours sur lui. C'était un réveil désagréable, sans doute, mais nous ne pouvions pourtant pas l'embrasser !
Nous nous disposions à faire une petite perquisition, quand nous aperçûmes le vieux qui, ayant réussi à se dégager, rampait vers la cheminée. [...] Il s'arma d'un tisonnier en fer, et voulut nous le lancer à la tête. Mais ses forces le trahirent, et sa main retomba inerte à son côté.
Il a perdu une belle occasion de rester tranquille, remarqua Liotard, mais tout à l'heure, il va brailler comme un porc. Et à coups de gourdin il lui défonça le crâne.” »
Qui est ce Louis David, chef de bande aussi cruel que cynique ? Dernier né d’une famille de treize enfants, il voit le jour en 1873 et se retrouve orphelin à dix ans. Il commence dès lors une existence de vagabondage et de petits larcins. Le Journal retrace son parcours criminel :
« À douze ans, il fut surpris volant aux étalages. Le tribunal ordonna son internement à la colonie pénitentiaire d'Aniane, dans l'Hérault, qu'il quitta à dix-huit ans pour s'engager dans un régiment de ligne, à Dijon. Ce fut un mauvais soldat, et on dut l'envoyer dans une compagnie de discipline.
À Madagascar, il fit un certain nombre d'années de rabiot. Libéré, il rentra à Paris, commit de nombreux crimes et une quantité considérable de vols. [...]
Il récolta trois ans de prison, qu'il alla purger à la maison centrale de Clairvaux. C'est là qu'il fit la connaissance de Lamarque. Ce dernier était originaire de la Drôme. Il exposa à son codétenu toute une sorte de mirifiques coups de main à commettre dans son département, et c'est ainsi que les deux compères, rendus aux joies de la liberté, débarquèrent un jour, à Romans. »
En tout, ils seront quatre à former la bande des Chauffeurs.
Leur procès débute devant la cour d’assises de Valence, le 2 juillet 1909, couvert par l'ensemble de la presse. Sans surprise, une foule nombreuse et avide de vengeance se presse au tribunal pendant les huit jours d’audience. Chaque jour amène son lot de petites phrases chocs des accusés et de longs récits sordides.
Le Matin décrit cet étrange spectacle :
« Le président, d'une voix amène, rappelle aux accusés leurs crimes, et les accusés, souriants et polis, approuvent courtoisement.
On dirait d'un puissant seigneur qui, devant ses vassaux rassemblés, vanterait les exploits de quelques héros prodigieux. [...]
En face de la justice implacable, ils reconnaissent avoir été eux-mêmes implacables et ils trouvent la justice parfaite.
Le sourire de David au banc des accusés, ses gestes et ses mots semblent dire :
“Ç'eût été grand dommage vraiment que nous ne nous fussions pas rencontrés, messieurs les juges, car nous sommes bien faits pour nous comprendre. Prenez ma tête, comme mes camarades et moi en d'autres circonstances n'aurions pas hésité à prendre les vôtres.” »
David et ses complices sont condamnés à la peine de mort.
Le 22 septembre 1909, aux premières lueurs du jour, des centaines de personnes se massent devant la prison de Valence, où une guillotine a été dressée la veille. Les trois complices sont exécutés sous les vivats et enterrés au cimetière de la ville, en dehors du mur de clôture.
Le quatrième larron, qui était parvenu à s’échapper lors de l’arrestation de ses complices, sera finalement arrêté deux ans plus tard et condamné au bagne à perpétuité.
Trente ans plus tard, une attaque à main armée menée par des gangsters new-yorkais rappellera le procédé des Chauffeurs de la Drôme, preuve que leur épopée criminelle aura été l'une des plus marquantes du début du XXe siècle.