Marie Becker, l’empoisonneuse de Liège
Lorsqu'en 1936, la police arrête « la veuve Becker » pour empoisonnement, les presses belge et française s’emparent de l’affaire : qui est donc cette meurtrière de femmes âgées ?
Marie Becker est une ancienne commerçante ayant pignon sur rue devenue dame de compagnie et garde-malade après plusieurs revers de fortune.
Le problème, c’est que la plupart de ses clientes montrent une propension à décéder assez régulièrement après être passées entre ses mains.
« La veuve Becker, qui depuis longtemps n'a plus de domicile fixe, vivait de menus travaux de couture faits chez des particuliers. Elle apportait avec elle des pâtisseries et des bouteilles de bière et, fréquemment appelée au chevet de femmes âgées, malades ou déprimées, elle organisait à leur intention de véritables festins.
Le malheur est que, le plus souvent, mort s'ensuivait. Plusieurs de ses “clientes” succombèrent ainsi, en dix-huit mois. »
En 1933, puis en 1935, la police a reçu des lettres anonymes s’étonnant des décès subits de deux femmes, toutes deux proches de Marie Becker. À chaque fois, le manque de preuves oblige à classer l’affaire.
Le 12 octobre 1936, une nouvelle lettre anonyme arrive au parquet de Liège, sur la mort « dans des conditions suspectes » des veuves Lange (90 ans) et Maes (76 ans).
« La lettre précisait, sans toutefois donner de nom, que les deux femmes avaient été soignées par la même personne que la veuve Cruls, qui était morte, l'an dernier, d'une manière si bizarre.
Cette lettre déclencha une nouvelle action judiciaire.
La garde-malade protesta véhémentement, mais fut néanmoins retenue à la disposition de la justice, car, au cours de la perquisition, pratiquée chez elle, on trouva une fiole dissimulée dans un mouchoir de poche et qui contenait un toxique violent : de l'oxycyanure de mercure. »
Marie Becker a beau rétorquer qu’elle en prend à titre personnel pour soigner son cœur, le parquet fait procéder à l’exhumation des deux victimes présumées. Sur le corps le mieux conservé, on trouve des traces de poison, probablement de la digitaline.
À partir de là, les lettres de dénonciation se multiplient et le nombre de meurtres potentiels s’envole.
« Dix-sept victimes ce soir. On dira peut-être vingt demain.
Depuis que le portrait de Marie Beckers est connu dans Liège, il n'est guère de quartiers où l'on ne reconnaisse en elle, à tort ou à raison, l'amie inconnue, la garde-malade antipathique de cette bonne et brave madame X, qui mourut à l’improviste. »
La police perquisitionne chez Marie Becker et trouve des bibelots, des bijoux et des vêtements appartenant aux vieilles dames décédées, ainsi « qu’une dose de digitale suffisante pour tuer cinquante personnes ». Aucune somme d’argent n’est découverte à son domicile. Néanmoins, l’argent est bel et bien le moteur de Marie Becker ; c’est également celui-ci qui déclenche l’instruction judiciaire.
« Si la veuve Becker s'était bornée à empoisonner les clientes auxquelles elle empruntait de l'argent, sans doute eût-elle pu continuer impunément. Mais elle força la note, et tenta de faire établir un testament en sa faveur par une de ses dernières “malades”. C'est cette audace qui devait la perdre.
Depuis que l'enquête est en cours, quinze familles ont fait connaître aux enquêteurs des morts suspectes, sur lesquelles se profile l'ombre de la sinistre garde-malade.
Il est dès à présent établi que chez celles de ses clientes qui vivaient seules, parce qu'elles étaient en désaccord avec leurs enfants ou simplement parce que ceux-ci n'habitaient pas la ville, la maison mortuaire fut chaque fois littéralement mise au pillage : tous les objets de quelque valeur avaient disparu avant l'arrivée des parents.
Dans tous les cas qui retiennent l'attention de la justice, on constate les mêmes travaux d'approche, les mêmes agissements, la même propension à vouloir apporter des boissons : du thé, et des vins surtout. Sans doute était-ce plus facile pour faire ingurgiter le poison. »
Le procès s’ouvre le 7 juillet 1938, après 17 mois d’instruction. Marie Becker est accusée du meurtre de onze personnes et de cinq tentatives de meurtre (certaines de ses victimes, bien qu’empoisonnées, n’ont pas succombé).
Selon L’Excelsior, l’accusée semble s’amuser.
« Au procès Becker, défilé des témoins de “moralité”. Ils sont une soixantaine. Dépositions dont on sourirait en d'autres circonstances, qui rapetissent singulièrement ce procès fleuve, un des plus grands, des plus tragiques qui soient.
Morne défilé, dont Marie Becker semble tout égayée.
Le président : - Vous avez l'air de bien vous amuser !
- Oui, parce que ce sont des mensonges ! »
Sans surprise, l’avocat général reprend les conclusions de l’enquête qui tendent à prouver que « Marie Becker est à l’origine de la maladie qui a tué onze personnes », ayant en sa possession dix-sept flacons de digitaline dont elle n’a pas besoin pour se soigner.
L’avocat de la défense, lui, ne doute pas.
« Vous allez acquitter Marie Becker, dit Me Chevalier en s'adressant aux jurés.
Cette femme, dans quelques jours, quittera le prétoire, lavée de tout soupçon, meurtrie certes par une détention à la fois longue et injuste, mais avec la consolation suprême que vous lui aurez enfin rendu justice. »
Le 9 juillet, le verdict tombe et s’étale à la une des journaux. Marie Becker, reconnue coupable des onze meurtres et de cinq tentatives d’assassinat, est condamnée à mort.
« Blême, chancelante et s'appuyant à la barre de son box d'accusée, la veuve Becker répète d'une voix blanche et en claquant des dents à la dernière question du président de la Cour d'assises de Liège :
- Je vous avoue que je suis innocente. »
La peine de mort étant abolie en Belgique, la peine est commuée en réclusion à perpétuité. Marie Becker meurt à la prison de Forest, à Bruxelles, quatre ans plus tard, le 11 juin 1942.