De votre côté, vous montrez que l'on peut mener l'enquête sur un fait divers en utilisation les outils de recherche de la presse numérisée – tel RetroNews... Qu'a changé la numérisation de la presse dans les modes de lecture et d'analyse, notamment pour les historiens ?
Pour cet article, j’ai eu envie de « résoudre un crime » en utilisant les archives numérisées des journaux. L’idée était de suivre, grâce à la presse, des pistes qu’on ne peut pas suivre quand on est policier sur le terrain. J’avais envie d’utiliser tous les outils qui permettent de superposer les journaux de l’époque pour prendre conscience de l’imaginaire social.
J’ai choisi, au départ, un fait divers assez léger : en 1901, une tête en cire, enveloppée dans des linges ensanglantés, est trouvée devant la loge de la concierge du 8 de la rue Théophile Gautier à Paris, avec un mot de défi lancé au préfet de police de l’époque, l’enjoignant à résoudre cette enquête. Il y a d’abord un moment de panique : on croit à une femme décapitée. Puis après l’intervention du commissaire, le calme revient dans le quartier.
J’ai commencé l’enquête en vérifiant la véracité de ce fait : la tête est dans tous les journaux, le fait est donc bien réel. Surtout, je me suis rendu compte qu’il renvoyait à d’autres faits divers, plus sanglants, sur de vrais hommes et femmes coupés en morceaux, notamment un crime irrésolu intervenu au faubourg Saint-Denis un mois plus tôt. Paris est inquiet, ce qui explique la place donnée à cette tête en cire.
En un clic, on peut relier l’ensemble de ces corps en une sorte de chaîne mémorielle et faire émerger d’autres crimes de cadavres en morceaux, où les victimes, le plus souvent des femmes, ne sont pas identifiées et les auteurs pas arrêtés. En faisant émerger ce corpus, on voit surgir des thématiques communes, notamment celle de la tête de cire, qui n’est pas anodine puisque c’est ce qui est utilisé par la morgue pour mouler les visages et essayer de permettre d’identifier les victimes.
Une autre thématique qui émerge est celle du carabin, l’étudiant en médecine, qui répandrait dans Paris pour affoler les populations des débris de cadavres sortis des cabinets de dissection. On peut retenir cette hypothèse pour expliquer le fait de la rue Théophile Gautier, et penser que c’est bien un carabin qui a conçu ce canular. Mais c’est évidemment une simple hypothèse. Ce qui est certain en revanche, c’est que ces faits divers renvoient à l’inquiétude liée au durcissement du marché des morts à la fin du XIXe siècle – ne pas avoir de sépultures décentes, se retrouver dans la fosse commune… Les corps découpés en morceaux et laissés sur la voie publique font écho à cette peur sociale.