Vous êtes très engagée à gauche, au niveau syndical comme politique ; vous étiez féministe avant même d’être historienne des femmes et des luttes féministes. Comment concilier cet engagement et la neutralité de la recherche historique ?
L’histoire est par nature politique et tout historien est nécessairement situé – socialement et politiquement. Mais si nous sommes tous situés, nous ne sommes pas tous militants.
Mon militantisme s’exprime avant tout dans le choix de mes sujets : ce n’est pas pour rien que j’ai choisi de travailler sur les révolutions du XIXe siècle et non sur la noblesse du Bas-Poitou ! En revanche, quand j’enseigne ou que je fais de la recherche, c’est l’historienne qui parle ou qui écrit, et non la militante – j’y veille autant que possible.
Mon engagement se porte aussi contre les mésusages politiques de l’histoire, dans la continuité du Comité de vigilance face aux usages politiques de l’histoire dont j’ai discrètement fait partie.
J’ai été plus visible à partir de l’affaire du burkini à l’été 2016 et des propos de Manuel Valls vantant une Marianne au sein nu, « non voilée parce qu’elle est libre », disait-il pour défendre l’incompatibilité de l’islam avec la République. Je ne pouvais pas laisser passer. Mon tweet, qui se moquait de lui et rappelait l’histoire et la symbolique de Marianne, a fait le buzz. Il m’a aussi valu des insultes, des menaces, mais j’ai continué, parce que c’est pour moi une nécessité – épuisante mais politiquement utile. C’est aussi le sens de ma participation à l’émission « Arrêt sur image », au blog « Les Détricoteuses » de Médiapart ou de la chronique sur Politis « L’histoire n’est pas un roman ».
Je suis une historienne publique – au sens de l’histoire publique, cette discipline encore trop confidentielle en France mais qui a toute sa place aux États-Unis, en Amérique du Sud ou en Belgique : c’est une fonction de passeur de la connaissance scientifique à un public plus large.
Votre dernier ouvrage, Guns and Roses, aborde les luttes féministes par le prisme des objets – du cintre des avortements clandestins au carnet de chèque et à la crinoline. Pourquoi ce choix ?
Pour vulgariser, il faut trouver une accroche, qui permette une proximité et une identification. La forme la plus évidente est la biographie. L’approche par les objets est un autre point d’entrée, très efficace, dans l’histoire : car la matérialité de l’objet est créatrice d’émotions.
Je ne suis bien évidemment pas la première à adopter cet angle : Patrick Boucheron l’utilise dans « Faire l’histoire », Pierre Singaravélou et Sylvain Venayre l’ont eux aussi adopté pour Le Magasin du monde.
Plutôt que de faire l’histoire des femmes par les objets – je craignais d’aboutir à une sorte de Bonheur des Dames aux rayons remplis de rouges à lèvres et d’épilateurs –, j’ai finalement choisi l’histoire des luttes féministes, à travers les objets qui en sont la cible, le symbole ou un élément du répertoire d’action sociale. J’aime raconter ces luttes dans tout ce qu’elles ont d’inventif et de joyeux – c’est la fameuse phrase de Simone Weil sur la grève de 1936 : « Une joie. Une joie pure. Une joie sans mélange ».
En se concentrant sur une figure en particulier, les biographies laissent de côté non seulement tous les anonymes, mais aussi la dimension du collectif. L’approche par les objets est, d’une certaine façon, une biographie collective.
Parmi les objets emblématiques retenus, se trouvent les journaux eux-mêmes…
Il est impressionnant de voir à quel point les femmes se sont saisies des journaux pour porter leurs revendications en faveur de l’égalité homme / femme, et ce dès 1848. On dit souvent que La Fronde, fondé par Marguerite Durand en 1897, est le premier journal entièrement composé par des femmes. En réalité, il a été précédé par La Voix des femmes dès la IIe République.