Chronique

Images de la « femme moderne » : les Unes de Femme de France

le 26/04/2023 par Anne Mathieu
le 28/03/2023 par Anne Mathieu - modifié le 26/04/2023

Joyaux d’élégance, influencées par l’art moderne, les couvertures du bimensuel féminin des années vingt et trente Femme de France sont un instantané de ce que fut le « chic » de cette période.

Magazine « féminin » consacré en grande partie à la mode et à la couture, La Femme de France accueille toutefois en ses pages des noms célèbres de la période, plus habitués à des terrains difficiles qu’aux défilés mondains où se presse le Tout-Paris. Ainsi en est-il d’Andrée Viollis (1870-1950), célébrissime reportrice de l’entre-deux-guerres et dont on trouve le 29 mars 1931 un reportage sur la Lorraine, dans une rubrique « La géographie de la Femme de France ». Ainsi en est-il de Suzanne Normand (1895-1981), qui, en février-mars 1935, livre une série « Une Parisienne en Autriche », et qui collaborera aussi à l’hebdomadaire en tant que critique littéraire et en tant que feuilletonniste, dernier genre pour lequel elle officie dans de nombreux périodiques, dont Ce soir.

Mais rien dans les Unes ne peut laisser supposer de telles participations. Ni qu’il y ait des critiques littéraires, théâtrales, des chroniques diverses – sportives, par exemple, tenues par Marcelle Auclair (1899-1983) en 1933-1934, avant que celle-ci ne soit attachée à une autre chronique, « Parlez-moi d’amour ». Les Unes s’emploient en effet à montrer l’élégance de la femme (bourgeoise), au jardin comme à la maison, seule ou avec ses enfants ; en vacances, aussi, parfois. Donnons-en, ici, un aperçu.

Les Unes signées de la dessinatrice Séraph abondent. Elle croque le plus souvent des enfants, sujet de prédilection consacré dans un album, Les Enfants, réédité chaque année et auquel La Femme de France accorde une large publicité. Une chronique, « Les filles de Séraph » lui est même dédiée pendant quelques numéros.

Toujours élégante, la femme s’épanouit aussi au jardin. On la trouve dessinée par exemple par Meignoz, collaboratrice de Comoedia qui avait salué son arrivée dans ses pages en octobre 1919 en louant son « plus original talent » et sa « place enviée parmi l'élite des dessinateurs de mode […] ».

Signature récurrente de l’hebdomadaire comme sa consœur Séraph, Meignoz accède même au privilège d’orner un numéro spécial, celui du 1er avril 1926 pour Pâques. Et, une fois n’est pas coutume, ne figure ni femme ni enfant en cette Une.

La femme part en vacances, et on la retrouve souvent à la mer ; ici sur la plage, dansant en tenue de ballerine. Le dessin est dû Pierre Portelette (1890-1971) – qui est également photographe –, illustrateur notamment au Rire, à L’Écho de Paris et à Guignol.

La femme est moderne, et grâce au trait de Meignoz, elle conduit cheveux au vent :

Du 25 mars 1934 au 28 février 1937, les dessins cèdent la place à des photographies. On y relève sans surprise de grands noms de la photographie de mode. Georges Saad, par exemple, que les maisons de couture (Chanel, Hermès, Rochas…) déjà s’arrachent.

Luigi Diaz, également, dont on retrouve alors les photographies dans de nombreux périodiques. Des journaux dédiés à la mode (Les Modes, Nouveauté, …) mais aussi des journaux d’information tels qu’Excelsior, Le Journal ou Marianne dont une page est dédiée à la mode.

La photographie permet plus aisément d’accueillir des visages célèbres. C’est le cas du numéro du 26 mai 1935, qui accueille Danielle Darrieux, posant avec une « Capeline d’Esther Mayer ». Le portrait est signé de Dorvyne, collaborateur à de nombreux périodiques dont par exemple Nouveauté, Être belle, Marie-Claire, Les Modes, Mariages et cérémonies, et dont on relève également là encore le nom dans les pages de mode des périodiques d’information (par exemple Le Journal, Le Matin ou Paris-soir).

Toutefois, on l’aura compris, la photographie possède le grand atout financier d’« offrir » la Une à des stylistes ou à des maisons de couture. Le même Dorvyne travaille par exemple pour le couturier Schiaparelli lors du numéro du 13 septembre 1936 :

A partir du 1er mars 1937, La Femme de France renoue avec des illustrations en Une, mais le décor a toutefois changé. A l’illustration est en effet désormais adjointe l’annonce d’ « Une grande nouvelle inédite » – et l’on remarque que le nom de l’illustrateur n’est plus mentionné. Henri Duvernois, Edmond Jaloux, Lucie Delarue-Mardrus, Henry Bordeaux, André Thérive, Luc Durtain se succèdent… Des écrivains habitués à publier leurs récits fictifs dans des périodiques culturels au sens large, auxquels certains d’entre eux collaborent même parfois de façon régulière pour des chroniques ou des reportages.

Les derniers numéros de La Femme de France annonceront quant à eux deux nouvelles, tel celui du 1er novembre 1937. Deux nouvelles signées respectivement du romancier et auteur dramatique Tristan Bernard (1866-1947) et de Suzanne Normand, citée plus haut :

La littérature reprend le pas sur la mode… Il serait un jour intéressant d’étudier ce va-et-vient entre les genres et les collaborations artistiques, littéraires comme journalistiques à ce type de périodique. L’aperçu que nous avons livré de ces Unes en dit assez sur cet intérêt.

Pour en savoir plus :

Anne Mathieu, « La Gazette Dunlop et les loisirs. Sur Emmanuel Berl, Pierre Jamet, Jacques Kayser, Jean Moral, Pierre Scize, Simone Téry et quelques autres », in : Aden, n° 19, octobre 2022, pp. 43-60