Les Unes du Petit journal illustré, mise en images des années Trente
Témoignages du minutieux travail de maquette des grands magazines de l’entre-deux-guerres, les premières pages de la version illustrée du Petit journal mettent aussi en lumière les obsessions du temps, comme les revirements politiques de l’équipe éditoriale.
Des photographies commencent à apparaître dans Le Petit journal illustré, au début des années Vingt. Le supplément aime le sport, ses défis, ses enjeux. Le 19 juin 1921, c’est une série de photos du boxeur Georges Carpentier, en pleine action, qui figure en Une. Le 26 juin, ce sera le portrait de son adversaire Jack Dempsey. Le « combat du siècle » approchait.
Toutefois, ce sont encore les illustrations qui prévalent en Une. Dans les années 1920, nombreuses sont l’œuvre d’André Galland (1886-1965), alors célèbre pour ses dessins et ses affiches, qui signe « A. Galland » ou « AG ». Il croque nombre de faits divers, dont par exemple, le 7 août 1921, l’attaque du rapide Paris-Marseille :
Nombreuses illustrations de la même époque sont signées Armano Rapeno (1886-1945). Les sujets en sont souvent les enfants, comme ici le 20 août 1922 :
Parmi les illustrateurs récurrents de cette période des années Vingt, signalons enfin Raymond Moritz (1891-1950), qui signait soit « R. Moritz », soit « RM ». Le 29 avril 1923, il dessine le paquebot France, dont les passagers jettent des fleurs à l’approche de « l’endroit exact où sombra jadis le Titanic ».
C’est courant 1934 que la Une de L’Illustré du petit journal va connaître une véritable métamorphose. En effet, les photos (colorisées) prennent le pas sur les illustrations pendant plusieurs mois.
On y privilégie alors les portraits, à partir du mois d’août, des portraits qui vont mettre souvent des dirigeants politiques ou des dignitaires militaires à l’honneur, mais aussi des sportifs. Des femmes sportives, aventurières, telle l’aviatrice Hélène Boucher :
Quelques mois après, le 9 décembre 1934, alors que la mise en page de la Une se transforme, trois photos noir et blanc accompagnent le titre « Nos ailes sont en deuil », rendant hommage à Hélène Boucher, morte dans un accident d’avion.
A partir de cette époque, les photos, si elles peuvent encore paraître colorisées, sont de plus en plus souvent imprimées en noir et blanc. Si les Unes les préfèrent désormais aux illustrations, celles-ci sont tout de même encore parfois, accueillies, et le lecteur y admire par exemple les dessins de Maurice Sauvayre (1889-1978).
Les Unes alternent donc illustrations et photos, photos et illustrations, un troisième procédé artistique s’invitant à partir du 24 mars 1935 : le photomontage, en noir et blanc. Regardons celui du 19 mai, qui offre des échos avec aujourd’hui :
Nombreuses sont les Une consacrées à des photos de femmes. Des Unes qui jouent parfois avec le frisson de l’exotisme, lequel sied et à l’époque et au lectorat du Petit Journal. Ainsi l’illustré montre-t-il un « Pur type de femme mauresque » (15 décembre 1935) ou ce qu’il nomme encore un « Type de femme marocaine de Taroudan ».
Ces portraits de femmes sulfureuses car exotiques sont parfois créditées de grands noms de la photographie, dont André Steiner (1901-1978). Ici, en janvier 1936, où sont immortalisées des « Gitanes errantes et mystérieuses ».
Mais, indique l’historienne Sophie Kurkdjian :
« En 1936, après avoir été longtemps considéré comme le journal d’aucun parti, Le Petit Journal amorce un tournant politique remarqué, après les élections du 20 mai 1936, date à partir de laquelle il se met à défendre les positions du Rassemblement populaire. L’arrivée de Gabriel Cudenet, député de gauche, en 1935, amorce ce virage à gauche. Puis l’arrivée de Lucien Vogel, le 25 janvier 1937, renforce ce tournant […] ».
Ainsi en mai 1936 le lecteur y observe Léon Blum, au moment où le Front populaire vient de l’emporter dans les urnes. Mais c’est le Blum lettré et juriste qu’on l’y met toutefois en avant, probablement précautionneusement eu égard au lectorat historique de L’Illustré.
Avec l’arrivée de Lucien Vogel, ancien fondateur et directeur de Vu, qui offrira notamment la fameuse Une du numéro spécial du 24 janvier 1937 à un plaidoyer pour la République espagnole, le tournant à gauche du Petit journal sera de plus en plus difficile à assumer. Il sera vendu en juillet 1937 au colonel de La Rocque, fondateur du Parti Social Français, mouvement d’extrême droite : une autre histoire dès lors commençait…