Écho de presse

Paul Vaillant-Couturier, rédacteur en chef de l'Humanité

le 28/05/2018 par Marina Bellot
le 15/03/2018 par Marina Bellot - modifié le 28/05/2018
Paul Vaillant-Couturier en 1921, Agence Meurice - source : Gallica-BnF

Écrivain, reporter, avocat, député de gauche… Paul Vaillant-Couturier, mort à seulement 45 ans, a mené sur plusieurs fronts une vie de combats et d’engagements.

Il a donné son nom à des centaines de rues, avenues et boulevards en France, mais qui sait aujourd’hui que Paul Vaillant-Couturier fut, outre l’un des hommes politiques de gauche les plus influents de son époque, un écrivain prolixe, un journaliste engagé, un reporter passionné, et l'un des rédacteurs en chef les plus emblématiques de L'Humanité ?

Né dans une famille d’artistes lyriques, étudiant au prestigieux lycée Janson-de-Sailly, dans le 16e arrondissement de Paris, Paul Vaillant-Couturier participe à la Première Guerre mondiale durant toute la durée du conflit et en revient transformé : entré dans la guerre à 16 ans dandy et croyant, il en sort pacifiste convaincu et fervent socialiste. 

Commence alors une vie d’engagements sur tous les fronts  qui lui vaudra de faire l'objet d'une surveillance constante de la part de la Sûreté, de 1918 jusqu'à la fin de sa vie : son dossier comporte des centaines de pages relatant ses moindres faits et gestes. 

C’est pendant la guerre qu’il fait ses premières armes en journalisme, en entrant à la rédaction du Canard enchaîné en janvier 1918, puis en créant la revue Clarté en 1919, avant de rejoindre, en 1920, L'Humanité

Il poursuit en parallèle ses études jusqu'à la licence d'histoire, suivie d'un doctorat en droit ; il n'exercera ensuite comme avocat qu'à de rares occasions. 

C'est sur le terrain politique qu'il s'engage avec passion : en 1919, à 27 ans, il est élu député de la 1re circonscription de Paris puis participe, après le Congrès de Tours en 1920, à la fondation du Parti communiste. Excellent orateur, il galvanise les foules et acquiert rapidement une grande popularité dans les meetings, ce qui lui permet d'être réélu en 1924 à la tête de la liste communiste dans le département de la Seine, en banlieue. 

En mai 1924, il se réjouit de la victoire de la gauche prolétarienne dans L'Humanité : 

« Paris encerclé par le prolétariat révolutionnaire.

“Le Cartel des gauches est assuré de remporter la majorité absolue dans la banlieue parisienne” disait l'abondante littérature “à la peau d'ours” dont la liste Laval inondait le 4e secteur. Le réveil fut rude. [...] 

La victoire révolutionnaire, au point de vue stratégique, est incontestable. Paris, capitale du capitalisme, est encerclé par un prolétariat qui prend conscience de sa force. 

Paris a retrouvé des faubourgs. »

À L’Humanité, devenu entre-temps l'organe de presse officiel du Parti communiste français et dont il prend la rédaction en chef en 1926, il pratique un journalisme engagé et sans concession. Ses articles antimilitaristes et antifascistes lui vaudront de nombreuses condamnations et le mèneront deux fois en prison, en 1928 et 1929 (il a notamment qualifié Mussolini « d'assassin »). C'est d'ailleurs en prison qu'il apprend son élection à la tête de la liste communiste à Villejuif aux élections municipales de 1929. Élu maire ensuite, il sera réélu en 1935 et le restera jusqu'en 1937.

Il couvrira de nombreux scandales de l'entre-deux-guerres. Et notamment l'affaire Hanau, à l'occasion de laquelle il dénonce violemment la collusion des milieux politique et financier : 

« Nous ne connaissons, nous, dans cette affaire, ni monarchistes ni fascistes, ni républicains, ni socialistes. Tous dans le même sac d'Union nationale et de Société des nations !

C'est au nom de la classe des travailleurs que nous menons notre campagne, contre la classe des profiteurs du régime. Et, malgré les insultes, nous la conduirons jusqu'au bout. »

Vaillant-Couturier s'illustre aussi sur le terrain du grand reportage : en 1931 et 1932, il réalise dans l'U.R.S.S. de Staline une série relativement complaisante intitulée « Les bâtisseurs de la vie nouvelle ». Il y donne par exemple la parole aux « ouvriers du pétrole » de Grozny :

« Voici Nicolaï Mimtro. Il  a vingt ans, il est opérateur à 120 roubles par mois dans le craking et il vit dans sa famille.

“Chez nous, tu peux être sûr que l'argent ne manque pas. [...] Je sais que dans les pays capitalistes, on dit que le plan nous réduit à la famine. C'est une ânerie.

S'il y a des moments durs, nous savons pourquoi. Avec le développement du plan de cinq ans, c'est le bien-être ouvrier, au contraire, qui se développe. Là où, dans le commerce libre, les prix ont triplé depuis trois ans, ils sont restés les mêmes pour nous, dans les coopératives fermées et, en même temps, nos salaires ont augmenté, tandis que nos heures de travail ont diminué.” »

À Bakou, il assiste à une séance d'un « tribunal de camarades » :  

« Les ouvriers-juges nommés par les ouvriers de l'entreprise font, en présence et avec la participation des ouvriers de la salle, le procès des fautes contre la discipline du travail.

Ici, en U.R.S.S., où les ouvriers sont les maîtres des usines, c'est aux ouvriers eux-mêmes à corriger ou à sanctionner les fautes des leurs. Et c'est à la suite d'un jugement contradictoire que des sanctions qui vont de l'avertissement au renvoi, en passant par le blâme public, sont prises contre ceux dont la conscience de classe est insuffisante ou obscurcie au point de compromettre la production. »

Mais, enthousiasmé par les transformations en cours, Vaillant-Couturier montre dans le même temps les failles du système bolchévik, les objectifs non atteints, les utopies déçues ou les nombreuses pénuries.  

Il décrit notamment la misère dans les kolkhozes juifs de Grozny :

« Un nuage de poussière monte au-delà des derniers palais ouvriers de Grozny. Un nuage dense qui se perd dans le ciel sans vent en volutes. Notre voiture fonce dedans. [...] 

Nous descendons de voiture. Nous sommes sur les terres du kolkhoze juif Montagne Noire. Salutations.

C'est ici le camp de travail du kolkhoze. Pauvreté. À notre droite, une culture de plants de choux, toute maigrichonne et assoiffée. »

Il publiera également des reportages sur la Chine en 1933, puis sur l'Espagne en 1934 et en 1936. 

En 1935, il lance une série de grandes enquêtes sur la France, et spécifiquement sur les jeunes face à la crise économique : « Le malheur d'être jeune ». 

« Les jeunes se plaignent de leur inaction forcée. Qu'ils songent que c'est aussi de quoi nous avons peut-être le plus souffert, nous, les jeunes de 1914, arraché à notre famille, remplacés à l'arrière par les vieux, dans tous les domaines, et condamnés à végéter des mois durant, misérablement, dans la boue, sous la terre, une vie ralentie de candidats-cadavres sous le pilonnement des obus, dans les tranchées. On était toujours assez jeune pour faire un mort. 

De même que les jeunes d'aujourd'hui abordent la vie sans métier, combien d'entre nous sont sortis de la guerre sans profession. [...]

Les jeunes, aujourd'hui, veulent aussi vivre, survivre à la crise. Ils veulent dompter la crise, comme nous voulions gagner la vraie Paix. »

Inlassablement, il se battra contre le fascisme et pour la Révolution prolétarienne. Sa mort en 1937, à 45 ans, est brutale. 

Les hommages de la presse de gauche sont innombrables. L'Humanité consacre une pleine page à ses obsèques qui réunissent une foule de 500 000 personnes : 

« Les obsèques, de Paul Vaillant-Couturier ont été célébrées, hier, dignement avec grandeur, par la population parisienne, par les travailleurs et les républicains réunis dans un deuil commun.

L'hommage rendu au militant que fut Vaillant-Couturier revêtit un caractère non seulement imposant mais émouvant. Nos camarades communistes pleurent l'homme qu'ils perdent, le camarade qu'ils aimaient, mais ils trouveront s'il est possible un précieux réconfort à leur douleur dans l'élan du peuple de Paris qui, en se pressant derrière le convoi du journaliste que la mort aveugle a enlevé à la presse ouvrière, a montré, dans l'affliction, la même cohésion que dans la bataille et la victoire. »