« Je suis partout », hebdomadaire antisémite et collaborationniste
Fondé en 1930 par l'éditeur Arthème Fayard, « Je suis partout » s'affirme rapidement fasciste et antisémite. Il deviendra le principal journal collaborationniste français.
Le 29 novembre 1930, un nouvel hebdomadaire voit le jour en France : Je suis partout. Son sous-titre n'en dit pas beaucoup sur son contenu : « Le grand hebdomadaire de la vie mondiale ».
Fondé par l'éditeur Arthème Fayard, le journal ambitionne d’attirer les lecteurs du week-end. Il n'est à l’origine ni d'extrême droite, ni antisémite, et plusieurs opinions politiques y cohabitent.
Mais le noyau dur des rédacteurs imprime rapidement une ligne éditoriale maurrassienne [lire notre article sur Maurras].
Parmi eux, Pierre Gaxotte, Robert Brasillach, Pierre-Antoine Cousteau (frère du futur commandant Cousteau), Maurice Bardèche, Claude Roy, les écrivains Lucien Rebatet et Pierre Drieu la Rochelle ainsi que le dessinateur Ralph Soupault.
Sous leur impulsion, le journal devient nationaliste et antiparlementaire, cultivant la nostalgie de la « grandeur de la France » et fustigeant sa prétendue décadence.
Moins de deux ans après la création de Je suis partout, le 22 octobre 1932, un numéro spécial consacré à Mussolini, « Dix ans de fascisme », signe le rapprochement du journal avec les thèses du Duce.
Il se justifie ainsi :
« Si le fascisme se résumait en M. Mussolini tout seul, nous ne lui aurions point consacré un numéro spécial. Mais le fascisme est plus qu'un homme, c'est un régime.
À l'occasion de son dixième anniversaire, nous avons voulu établir en quoi il tient à l’histoire italienne, comment il s'explique, comment il a compris sa tâche, comment il l’a menée à bien. »
À partir de 1936, avec l’accession au pouvoir de Léon Blum et du Front populaire, le journal bascule ouvertement dans l’antisémitisme. Blum devient alors une cible récurrente.
« M. Blum fasciste », titre ainsi l'hebdomadaire au mois de juillet 1936 :
« Ce Léon Blum, qu’on nous donne comme le plus subtil des rabbins, comme le marchand de cacahuètes le plus retors, eh bien, il garde un grand fond de naïveté, de vanité. [...]
Jusqu’à la victoire du Front commun, jusqu’au ministère Blum – je l’ai déjà dit – le bilan de la République, néant ! Tout est à faire et à refaire.
D’où vient le mal ? Ah ! les pauvres bougres qui ont perdu leur 14 Juillet à piétiner place de la Nation seraient bien ébahis si on le leur révélait : ce qui a manqué à la France – pardon ! jamais ce mot ne sort de la bouche écorchée de M. Léon Blum ! — ce qui a manqué au pays, c’est un chef, un vrai, à poigne, comme César et Napoléon. »
Le lectorat suit : le tirage passe durant cette période de 45 000 à 100 000 exemplaires hebdomadaires.
Arthème Fayard, en désaccord avec la radicalisation en cours au sein de ses colonnes, décide de suspendre le journal en 1936 – il meurt la même année.
Son fils Jean Fayard revend le titre à ses rédacteurs associés en nom collectif, Pierre Gaxotte en tête. Le principal actionnaire est le riche héritier d'origine argentine Charles Lesca, fasciste revendiqué.
À partir de 1938, le racisme et l’antisémitisme sont de tous les numéros. Les attaques contre les Juifs deviennent incessantes.
Un numéro spécial paraît en février 1939, intitulé « Les Juifs et la France », sous la direction de Lucien Rebatet, lui aussi fasciste convaincu.
Son édito donne le ton :
« La France a la chance d'être l’un des pays où les Juifs se sont le moins mêlés au reste de la population (exception faite de quelques unions “aristocratiques” ou de haute bourgeoisie). »
Suivent des papiers à la supposée objectivité historique : « La Révolution et les Juifs », « Les Juifs et la guerre », « La condition historique des Juifs en France », etc. Le tout émaillé de caricatures odieuses.
Rebatet s’y fend, entre autres, d’un long article sur « L’Affaire », dans lequel il revient sur la culpabilité d'Alfred Dreyfus — alors que l'innocence de Dreyfus est établie depuis 1906, c'est-à-dire 33 ans plus tôt.
« La culpabilité de Dreyfus n’a jamais fait de doute [...] pour la plupart des collaborateurs de ce journal, qui sont, en grande partie, de la génération d’après-guerre, et ont donc ignoré toutes les passions que l’“affaire” déchaîna. »
Le journal, interdit en juin 1940, reparaît et devient pro-allemand. Je suis partout devient le principal journal collaborationniste et antisémite français sous l'occupation nazie. Il multiplie les appels au meurtre contre les Juifs et les hommes politiques de la IIIe République.
Ainsi, dans l'édition du 6 septembre 1941, Robert Brasillach écrit :
« La punition exemplaire, la mort des hommes à qui nous devons tant de deuils […], tous les Français la demandent. »
Le lectorat ne cesse d'augmenter : de 46 000 exemplaires en 1939, le tirage passe à 250 000 en 1942. À ce moment-là, Brasillach est évincé du journal car jugé « trop modéré », tandis que la direction est confiée à Pierre-Antoine Cousteau.
Je suis partout s'aligne alors intégralement sur le nazisme.
Le dernier numéro est daté du 16 août 1944. Ses rédacteurs seront ensuite jugés et condamnés par la justice française pendant l'Épuration. Robert Brasillach sera fusillé en 1945.