Écho de presse

Septembre 1930 : La première « fête de l’Huma »

le 20/08/2024 par Antoine Jourdan
le 22/08/2019 par Antoine Jourdan - modifié le 20/08/2024
Instantané de la première "fête de L'Huma" à Bezons, L'Humanité, septembre 1930 - source : RetroNews-BnF
Instantané de la première "fête de L'Huma" à Bezons, L'Humanité, septembre 1930 - source : RetroNews-BnF

En 1930, le journal fondé par Jean Jaurès organise la première « fête de l’Huma » afin de rassembler ses partisans – et de palier ses problèmes financiers.

Fondée par le socialiste Jean Jaurès en 1904, L’Humanité devient la propriété des communistes français en 1920 lors de la création de la Section française de l’Internationale communiste (SFIC, future PCF) et devient  l’« organe central du Parti communiste ». À la fin de la décennie, le quotidien connaît de grosses difficultés financières qui sont dues à la fois aux frais de fabrication et à divers problèmes techniques, mais aussi aux mesures prises par le gouvernement.

En 1925, la direction décide de créer la « Caisse d’économie du journal L’Humanité », rebaptisée « Banque ouvrière et paysanne » (BOP) l’année suivante. Il s’agit d’un fonds renfloué à l’aide de souscriptions des sympathisants, qui permet à la rédaction du quotidien de garder la tête hors de l’eau. Durant l’été 1929, André Tardieu (ministre de l’Intérieur et futur Président du Conseil) ainsi que le très droitier préfet de police de Paris Jean Chiappe (qui sera démis de ses fonctions suite à l’affaire Stavisky, et en soutien de qui sera organisée la célèbre manifestation des ligues le 6 février 1934) organisèrent un « plan de défense » contre le communisme, dont l’objectif assumé était de s’attaquer aux personnes et aux organisations liées au Parti. Dans ce cadre, la BOP est mise en liquidation le 13 août 1929.

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En réaction, une large souscription est organisée, qui permet de récolter 1 538 966 francs auprès des lecteurs. Parallèlement sont formés des « Comités de défense de L’Humanité » (CDH), dont le but premier est de vendre le quotidien. À la fin du mois d’août, le journal revendique la création de près d’une centaine de CDH, particulièrement dans les banlieues parisiennes – qui formeront la future « ceinture rouge » de la capitale. Ces comités deviennent d’importants piliers à l’implantation et à la diffusion de la presse communiste dans les années 1930.

Mais, pour coordonner leurs actions, il s’agit d’organiser des « congrès des Comités de défense de L’Humanité », dont le premier a lieu le 7 septembre 1930 à Bezons, banlieue située au nord-ouest de Paris et dirigée par le PCF depuis sa création. En marge de ce congrès des CDH s’organise une fête populaire, la première « fête de l’Huma ».

Le 5 août 1930, L’Humanité annonce :

« Cette année, le dimanche 7 septembre, la Région Parisienne du Parti Communiste organisera en commun, avec l’organisme régional des comités de défense de l’Huma, sa fête d’été, au profit du journal de Lénine, instrument de défense et de combat des travailleurs.

La fête du 7 septembre, en plus de son caractère distractif, sera également l’occasion d’une rencontre nationale des délégués de l’ensemble des comités de défense de l’Huma. »

Un mois après, le quotidien rappelle ce qui a motivé la tenue de l’événement :

« La classe ouvrière a bien compris qu’il s’agit de parer au plus vite au coup de force tenté par Tardieu contre le journal qui est l’expression même de la vie du prolétariat et son âme principale dans la lutte contre le capitalisme.

Est-il besoin de rappeler les causes des difficultés nombreuses que traverse actuellement L’Humanité ? La campagne gouvernementale contre la B.O.P., les amendes qui pleuvent sur notre journal, les persécutions de toutes sortes, ont créé une situation grave.

Déjà, en 1929, la classe ouvrière avait riposté magnifiquement à l’attaque gouvernementale. Elle prépare une réponse cinglante aujourd’hui. »

Alors qu’une large souscription populaire est organisée à partir de la mi-août, les activités qui auront lieu pendant cette première Fête de l’Huma se précisent à partir du mois suivant. Le 3 septembre, les lecteurs découvrent « ce que sera la partie sportive de la fête de Bezons » :

« Tout un programme sportif a été mis sur pied, il y aura de quoi contenter tout le monde.

Onze équipes se disputeront un tournoi de baskett-ball (sic.) masculin, quatre équipes de féminines disputeront aussi le leur.

Deux combats de boxe, quatre combats de lutte ont été prévus avec les meilleurs lutteurs et les meilleurs boxeurs de la F.S.T. (Fédération sportive du travail, NDLR.)

Il y aura aussi de l’athlétisme masculin et féminin et peut-être le tour de Bezons.

La journée promet donc d’être attrayante pour les amateurs de beau sport d’où est exclue toute combine : de sport prolétarien. »

Le 6 septembre, à la veille de la fête, L’Humanité publie le programme :

« 16 heures : GRAND CONCERT au parc Sacco et Vanzetti, avec le concours de M. et Mme Bouch’ry, du chansonnier populaire Nobel, le ‘Pierriot Rouge’, du baryton Tonio Peire, du virtuose Edmond Moulin.

Théâtre populaire de Thoreux dans ses dernières créations. »

Le 7 septembre, jour de la fête, L’Humanité propose une carte de Bezons à ses lecteurs afin de faciliter l’accès, ainsi qu’une liste des « stands de la fête » dont les principaux sont ceux du journal et des CDH.

Le lendemain des festivités, L’Humanité titre « Un double et éclatant succès. La certitude des réalisations prochaines ». En plus d’une fête réussie, le quotidien se félicite des avancées qui ont eu lieu pendant la réunion des CDH :

« La réunion des Comités de défense, comprenant 360 délégués, qui représentaient plus de 150 comités, a été parfaite.

Les rapports, la discussion, les décisions prises forment un ensemble des plus satisfaisants : nous sommes en route pour la constitution, autour de L’Huma, d’une puissante organisation plongeant profondément ses racines dans les masses du peuple ouvrier.

Les comités vont vivre et travailler. Pour notre journal, ils trouveront, par leur action incessante, de l’argent, des lecteurs. Ils étendront progressivement son influence politique, en même temps qu’ils constitueront autrour de lui, par leur force même, un rempart contre les coups du pouvoir.

Après la Journée de Bezons, il ne s’agit plus ici d’espérance, mais de certitude. »

Le lendemain, le journal rappelle toutefois que les sommes obtenues le 7 septembre ne suffisent pas. Ainsi dans un article intitulé « Après un beau départ, il ne faut pas s’endormir ! », le quotidien communiste rappelle :

« Les camarades qui ont tenu les différents stands à Bezons pour les diverses organisations voudront bien aussi le plus tôt possible régler leurs comptes, afin de nous permettre de totaliser les bénéfices. […]

La souscription atteint à ce jour 307 309 fr. 05. Les sommes recueillies pour l’emprunt s’élèvent aujourd’hui à 598 247 fr. 70.

Ce sont des résultats bien encourageants. Mais les besoins du journal sont grands.

En plus des difficultés qui normalement assaillent le seul journal vivant exclusivement de sa vente, sans affaires financières ni secrets, L’Humanité doit faire face aux conséquences du coup de Tardieu contre la B.O.P. et au passif résultant des condamnations multiples.

La situation exige plus que jamais l’activité de tous nos amis. Nous comptons sur eux. »

Pour cette première Fête de l’Huma, pour laquelle l’entrée coûtait deux francs, quelque mille personnes s’étaient déplacées. Mais au fil des années, notamment pendant le gouvernement du Front populaire et surtout durant les Trente glorieuses, l’événement prendra de l’ampleur et pourra dès lors accueillir jusqu’à plusieurs centaines de milliers de personnes.

Depuis 1960 (et jusqu’à aujourd’hui), le festival se tient à La Courneuve, en Seine-Saint-Denis. Cette année, la fête se tiendra entre le 13 et le 15 septembre prochain.

Pour en savoir plus :

Pierre Milza, « Les problèmes financiers du journal ‘L’Humanité’ de 1920 à 1939 », in: Revue d’Histoire Moderne & Contemporaine, t. 20, n. 4, Octobre-décembre 1973

Alexandre Courdan, L’Humanité, de Jean Jaurès à Marcel Cachin (1904-1939), Les éditions de l’Atelier, 2014