« Combat », un journal clandestin dans la tourmente de la Seconde Guerre mondiale
Célèbre pour avoir accueilli la plume d’Albert Camus à partir de 1943, le journal Combat fut l’organe du mouvement de résistance du même nom. Il a paru clandestinement dès décembre 1941.
Journal créé en pleine Seconde Guerre mondiale, Combat est devenu après-guerre un titre mythique de la presse française, accueillant des signatures aussi prestigieuses que celles d’Albert Camus, Jean-Paul Sartre, Raymond Aron, André Malraux ou Georges Bataille. Un prestige qu’il doit aussi aussi à son origine : Combat fut avant tout l’un des plus grands titres de la presse résistante.
Son premier numéro paraît en décembre 1941, alors que la France est coupée en deux zones. En zone nord, sous tutelle allemande, la presse est soumise à l’occupant. En zone sud, elle subit le contrôle des autorités de Vichy : c’est là que naît Combat, à côté d’autres publications clandestines comme Libération, Le Franc-Tireur, Les Cahiers de Témoignage chrétien, Les Lettres françaises...
Le journal, issu de la fusion de deux feuilles clandestines (Vérité et Libertés), est l’émanation de l’ex-« Mouvement de libération nationale ». Appelé lui-même « Combat » à partir de décembre 1941, ce mouvement a été créé par deux personnalités exceptionnelles : Henri Frenay et Berty Albrecht. Le premier sera un des grands chefs de la Résistance française. La seconde, féministe et antifasciste de longue date, sera capturée par les nazis en 1943 et mourra la même année dans la prison de Fresnes, probablement en mettant fin à ses jours.
Le premier numéro paraît à Lyon à quelques milliers d’exemplaires, grâce aux efforts d’André Bollier, qui prend en charge la parution. Dès l’origine, Combat se veut le relais des idées du mouvement, que résume la citation de Clemenceau en en-tête :
« Dans la guerre comme dans la paix, le dernier mot est à ceux qui ne se rendent jamais. »
Les premiers rédacteurs sont Henri Frenay, Georges Bidault et Claude Bourdet. Si Frenay, dans un premier temps, rédige les éditoriaux, les articles ne sont évidemment pas signés. Voici l'éditorial du numéro de décembre 1941 :
« La rédaction de “Combat" présente aux Français le dernier-né des journaux clandestins. Dès le premier numéro, elle entend informer ses lecteurs des buts qu’elle poursuit et des moyens qu’elle emploiera. Sa position étant ainsi clairement définie, chaque Français pourra choisir : il sera avec ou contre nous [...].
Le Journal Combat appelle les Français a la lutte. Il les convie à s’unir pour vaincre l’esprit de soumission et préparer l’appel aux armes. Notre combat sera mené contre l’Allemagne d’abord, mais aussi contre quiconque pactisera avec elle et, consciemment ou non, se fera son auxiliaire dans notre malheur. »
Combat sera distribué en zone sud, puis dans les deux zones, et verra son tirage augmenter progressivement : 10 000 exemplaires à l’été 1943, puis 50 000 à l’automne de la même année. Communiquant sur les actions du mouvement, le titre se donne aussi pour mission, dès le départ, de donner aux lecteurs des nouvelles « authentiques », à rebours des informations livrées par les journaux officiels contrôlés par Vichy.
Dans l’éditorial du second numéro, les auteurs précisent leur attitude face au gouvernement de Pétain : croyant initialement à un possible « double jeu » de Pétain face aux Allemands, Henri Frenay finit assez rapidement par le désavouer.
« Étant l’adversaire de la collaboration, nous le sommes du Gouvernement qui nous affirme l’avoir librement choisie, et nous le demeurerons quelle que soit son attitude ultérieure, car il a trop gravement compromis les intérêts et l’honneur français.
Notre attitude vis à vis du Maréchal est claire. En lui, il y a deux hommes : celui de la Grande Guerre que nous respectons. Celui de la Collaboration que nous nous refusons de suivre. »
Dans le numéro de mars 1942, l’éditorial de Combat proclame le ralliement du mouvement au général De Gaulle – que Frenay rencontrera à Londres en septembre :
« En un mot, le Gouvernement de Vichy est reconnu par ceux que nous considérons comme nos ennemis, le Gouvernement de de Gaulle par ceux qui sont nos alliés. La France, la vraie France ne s’y est pas trompée. L'immense majorité de l'opinion publique a, dès le premier jour, salué dans le Général de Gaulle l'homme qui sauvait l'honneur français et portait les espoirs de la Patrie. »
C’est en août 1943 que paraît l’un des numéros les plus célèbres de l’histoire du journal : celui appelant à la « résistance totale » et à l’intensification des actions militaires contre l’occupant.
« Ne vous laissez pas endormir ni par les plaintes de ceux qui défaillent de peur, ni par les comitards politiciens qui, aujourd’hui comme hier, veulent tout casser, sauf l’assiette au beurre.
L’heure de l’action totale de la Résistance totale a enfin sonné. Aidez-nous. Tous sur la brèche.
La même année, le journal livre à chaque numéro des compte-rendus des opérations menées par les résistants. Un exemple en décembre :
« Dans la période allant du 16 au 28 novembre, 335 attentats ont été commis par les patriotes, soit une moyenne de 28 par jour.
A Clermont, aux usines Michelin, un groupe d’une trentaine d’hommes a maîtrisé les gardiens du dépôt et s’est emparé de la plus grande partie des stocks de pneumatiques qu’il enleva sur 5 camions.
A Royat, le poste émetteur de radio des Allemands a été saboté [...]. Voilà qui en dit long sur l’esprit de décision, l’audace, le sang-froid et le patriotisme de ceux que les traîtres de la presse et de la milice osent appeler des « terroristes ». »
En mai 1944, Combat connaît une diffusion considérable : il tire à plus de 250 000 exemplaires. Le numéro 59, qui paraît le 21 août, est historique : la libération de Paris est annoncée en première page.
L’éditorial est signé par un écrivain de 30 ans qui a rejoint le journal à l’automne 1943, et dont le nom restera indissolublement lié à l’histoire de Combat : Albert Camus. Le jeune auteur de L’Étranger signe un texte en forme d’avertissement : la lutte, écrit-il, ne prendra pas fin avec la libération de la capitale.
« C'est par la lutte contre l'envahisseur et les traîtres que les Forces Françaises de l'Intérieur rétablissent chez nous la République, inséparable de la liberté. C’est par la lutte que la liberté et la République triompheront [...].
Mais si c'est le plus dur des combats pour lesquels toute la France est mobilisée, ce n'est pas le seul qu'il nous faut mener. Ce ne serait pas assez de reconquérir les apparences de liberté dont la France de 1939 devait se contenter. Et nous n'aurions accompli qu'une infime partie de notre tâche si la République française de demain se trouvait comme la Troisième République sous la dépendance étroite de l'Argent. »
Le 28 août, c’est un certain Jean-Paul Sartre, écrivain et philosophe recruté par Camus et lui aussi appelé à devenir célèbre, qui s’exprime dans les colonnes du journal. Dans un texte non dénué d’effets romanesques (qui s’étalera sur sept numéros), l’auteur de L’Être et le Néant raconte la libération de Paris. Le titre : Un promeneur dans Paris insurgé. Extrait du quatrième épisode, qui prend place en plein Quartier Latin :
« Ils étaient cachés sur la berge ou dans l’escalier de la place Saint-Michel qui mène au train de Ceinture. Aux fenêtres, des centaines de spectateurs attendaient en silence. Et puis, un premier camion allemand passa, en direction de l'Est. De grands hommes blonds, assez beaux, se tenaient debout à l’arrière, sans méfiance [...].
On entendit quelques détonations, des freins qui crissaient horriblement et puis le camion repassa à une vitesse folle, le chauffeur avait fait demi-tour, mais, derrière lui, les grands Prussiens blonds étaient couchés pêle-mêle. Il emmenait des morts vers une autre porte de Paris. »
Après la libération, Combat reprend les locaux de L’Intransigeant au 100 rue Réaumur, à Paris. A sa tête, Pascal Pia, éminence grise du journal depuis la mi-1943. Après-guerre, le journal, auréolé de son rôle dans la résistance, va s’imposer comme une référence. Mais le quotidien, qui s’oppose au jeu des partis, voit son tirage peu à peu s’effriter.
Albert Camus, lui, quittera l’aventure dès 1947, après avoir écrit nombre d’articles importants dans les colonnes du journal, tels sa dénonciation du bombardement d’Hiroshima et de Nagasaki en août 1945 ou son essai sur une « civilisation du dialogue » en novembre 1946.
Combat, dont le rédacteur en chef sera Philippe Tesson à partir de 1960, continuera d’être publié jusqu’en 1974 en accueillant une diversité d’opinions, de droite comme de gauche. A la mort du journal, une grande partie de la rédaction de l’époque rejoindra alors le nouvellement créé Quotidien de Paris, dirigé par le même Philippe Tesson.
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Pour en savoir plus :
Yves-Marie Ajchenbaum, À la vie, à la mort, Histoire du journal « Combat », 1941-1974, Le Monde éditions, 1994
Henri Frenay, La Nuit finira, Mémoires de Résistance 1940-1945, Robert Laffont, 1973