Écho de presse

Meilleurs vœux ! Célébrer la nouvelle année en dessins de presse

le 04/01/2024 par Aurélie Desperieres
le 02/01/2024 par Aurélie Desperieres - modifié le 04/01/2024

Florilège commenté de dessins satiriques (et souvent politiques) représentant ce marronnier inévitable de la presse française contemporaine : la fin de l'année écoulée et le début d’une nouvelle.

Pour célébrer l'arrivée de l'année 1895, Charles Léandre (1862-1934) renvoie, dans son dessin publié dans Le Rire, à une iconographie bien connue des amateurs d'images satiriques. En effet, pour mettre en scène la nouvelle année, les symboles utilisés par les caricaturistes entre 1840 et 1950 varient peu.

Personnifiant le temps, Chronos, vieillard affublé d’une longue barbe, est très présent de la Monarchie de Juillet à la Première Guerre mondiale. Ses différents attributs, une faux, un sablier ou une clepsydre ainsi que des ailes, renvoient tous à l'aspect éphémère du temps et, par conséquent, de la vie. L'année qui vient de s'achever est représentée, le plus souvent, par la figure d'une femme âgée emportant avec elle une poubelle ou un gros sac. La nouvelle année, quant à elle, est régulièrement incarnée par un enfant ou une jeune femme insouciante et pleine de fougue. De son côté, le balai constitue l'arme favorite de Chronos ou de la nouvelle année pour chasser l'ancienne.

Selon le contexte politique et social, les dessinateurs de presse choisissent de susciter la réflexion des lecteurs, de partager leurs souffrances et leurs espoirs ou bien de leur apporter un peu de légèreté comme le met en lumière la sélection de dessins du Nouvel An de 1843 à 1940 qui suit.

Le 1er janvier 1843, Le Charivari voit l'avenir « en rose ». Exceptionnellement imprimé sur du papier de couleur rose, le quotidien satirique dresse le bilan de l'année 1842 et se fait prophétique pour 1843. Un dessin réalisé par Louis-Joseph Trimolet (1812-1843) intitulé « Grandissime coup de balai général donné par le Temps à l'année 1842 » ouvre le numéro.

Louis-Joseph Trimolet, Le Charivari, 01/01/1843, p. 1

Parmi les victimes du coup de balai, les personnages des pièces de théâtre ou des romans qui ont connu le succès en 1842 sont majoritaires. Ainsi, les héros des Mystères de Paris d'Eugène Sue dont l'histoire est contée en feuilleton dans le Journal des Débats depuis le 19 juin 1842 sont suivis par ceux d'Halifax d'Alexandre Dumas, du Fils de Cromwell d'Eugène Scribe, de Mathilde d'Eugène Sue ou encore des Animaux peints par eux-mêmes de Grandville. La censure étant alors très présente, la Première Guerre de l'opium (1839-1842) est le seul événement non culturel évoqué par l'artiste à travers la représentation d'un militaire britannique et d'un Chinois se menaçant avec les poings. En-dessous du Temps, quelques nouveautés littéraires et théâtrales attendues pour 1843 sont évoquées, dont Les Burgraves de Victor Hugo.

Près de trente ans plus tard, le 11 janvier 1871, Le Charivari délaisse le rose pour le noir du deuil avec un dessin poignant d'Honoré Daumier (1808-1879) publié dans la série « Actualités ».

Honoré Daumier, Le Charivari, 11/01/1871, p. 3

Incarnée par une étrange femme entièrement revêtue de noir et se cachant les yeux avec ses mains, l'année 1871 domine un parterre de cadavres. Alors que la guerre contre la Prusse commencée le 19 juillet 1870 a déjà fait de très nombreuses victimes parmi les militaires comme parmi les civils, la nouvelle année ne peut être, comme l'indique la légende, qu' « épouvantée de l'héritage » laissé par 1870.

En 1886, dans un contexte bien différent de celui de « l'année terrible », Coll-Toc, de son vrai nom Alexandre Collignon (1854-1891), reprend la traditionnelle image du coup de balai en Une de La Nouvelle Lune.

Coll-Toc, La Nouvelle Lune, 03/01/1886, p. 1

Représentée sous les traits d'une jeune fille symboliquement placée sur l’un des rebords du Pont-Neuf, « 1886 » pousse à l'eau sans ménagement « 1885 ». La vieille femme entraîne dans sa chute une poubelle remplie de papiers évoquant différents événements marquants – et éprouvants – de l'année qu'elle incarne : grèves, affaire du Tonkin, scrutin de liste mis en place pour les élections législatives...

Le titre de la composition, « Fiche-moi le camp ! », révèle à quel point Coll-Toc est pressé d'oublier l'année qui vient de s'achever mais, pour autant, il ne semble pas très optimiste pour l'avenir :

« La vieille : Que feras-tu de mieux que moi ?

La jeune : Je ferai pire ! »

Un même pessimisme se ressent dans le dessin réalisé par Caran d'Ache (1858-1909) pour Le Figaro du 31 décembre 1900 :

Caran d'Ache, Le Figaro, 31/12/1900, p. 3

À la veille du XXe siècle, l'artiste choisit de représenter le « nouveau siècle » sous les traits d'un petit garçon faisant ses « premiers pas ». Tenu par Chronos, le jeune XXe siècle ignore la culture (les livres), le travail des champs (la ferme) et l'art (palette, plume, instruments de musique) pour ne s'intéresser qu'à la guerre (épée, canon et navire).

Pour réaliser cette planche, Caran d'Ache s'appuie sur un constat. En effet, de nombreux conflits ont émaillé les dernières années du XIXe siècle – à l'image de ceux qui ont opposé la Turquie et la Grèce en Crète (1897) ou l'Espagne et les États-Unis (1898) – et plusieurs sont toujours d'actualité comme entre les Britanniques et les Boers (depuis 1899) ou encore en Chine entre les Boxers et plusieurs pays occidentaux (depuis mai 1900). Cet embrasement mondial a révélé non seulement l'émergence de nouvelles puissances (États-Unis) mais aussi la mise en place de techniques de guerre toujours plus meurtrières. Selon Caran d'Ache, le « nouveau siècle » débute donc sous le signe de la guerre et rien ne permet de dire que la situation va rapidement s'apaiser...

Sur un ton beaucoup plus léger, Georges Meunier (1869-1934), dessinateur spécialiste du badinage et de l'amour, réalise, pour le millésime 1903, une magnifique double page (à retourner à la verticale pour en profiter pleinement) dans Le Rire :

Georges Meunier, Le Rire, 10/01/1903, p. 8

Ici, au volant d'une automobile, Chronos, équipé de ses lunettes de chauffeur, conduit à toute allure une Parisienne, figure emblématique de la Belle Époque : « Le temps file trop vite avec la Parisienne ! »

Alors que la mode des courses de voitures est lancée, l'artiste établit un lien entre le temps qui passe – trop - rapidement et la vitesse de ces nouveaux moyens de locomotion. Ainsi, Chronos porte toujours sa longue barbe et sa faux mais, modernité oblige, le sablier est remplacé par l'automobile.

Le 4 janvier 1919, Lucien Métivet (1863-1932) accueille, à son tour, la nouvelle année dans Le Rire :

Lucien Métivet, Le Rire, 4/01/1919, p. 3

Parée des lauriers de la victoire sur son casque et sur sa toge, « 1918 » laisse à « 1919 » le soin de terminer « l'ébauche » des sculptures qu'elle a réalisée. Par le biais de la métaphore du sculpteur qui façonne son œuvre, Lucien Métivet évoque le grand chantier qui attend les différents dirigeants du monde pour cette nouvelle année, à savoir la conception d'une paix durable :

« - Bon travail ! Je te laisse toutes les esquisses. Tâche de faire quelque chose qui se tienne... et qui tienne. »

Il faut dire qu’après quatre longues années de conflit et à quelques jours de l'ouverture de la conférence de la Paix à Versailles, le 18 janvier, le sujet occupe tous les esprits.

Dans le dessin de Lucien Métivet, « 1918 » a déjà créé un grand buste incarnant la Paix mondiale ainsi que six autres bustes plus petits, allégories des principaux belligérants de la Première Guerre mondiale. Alors que les « Paix » des principaux pays participant aux pourparlers (la France avec un bonnet phrygien posé de travers, les États-Unis, la Grèce, la Grande-Bretagne et l'Italie) sont disposées tout autour du buste principal, la « Paix » allemande est quant à elle renversée et mise à l'écart…

Le 1er janvier 1940, la paix durable espérée en 1919 n'est plus à l'ordre du jour. Abel Faivre (1867-1945) choisit alors de formuler un vœu bien précis à travers un dessin au message très clair :

Le Journal, 01/01/1940, p.1

Dessinateur emblématique du Journal auquel il donne une planche chaque semaine depuis août 1922, Abel Faivre met ici en scène le souhait de la grande majorité de la population, à savoir l'arrestation d'Adolf Hitler et, par conséquent, la fin des hostilités. L'artiste centre sa composition sur le visage dépité du chancelier allemand représenté les mains en l'air face à deux pistolets braqués sur lui :

« Police... Haut les mains ! »

Grâce à un habile jeu d'ombre et de lumière, les deux policiers qui procèdent à son interpellation sont visibles.

Abel Faivre signe ici l'un des derniers dessins de sa très longue carrière de caricaturiste entamée en 1893. Opposé à la politique de Collaboration, il fera le choix, quelques semaines seulement après la signature de l'armistice de juin 1940, de ne plus travailler pour la presse.

A priori anodines, toutes ces créations sur le Nouvel An donnent pourtant une vision précise de l'état d'esprit des Français, de leurs attentes, de leurs craintes ou encore de leurs centres d'intérêt à différents moments de son histoire récente.