Une histoire de #MeToo est-elle possible ? Conversation avec Bibia Pavard
La presse, la télévision et le cinéma ont été, et sont encore, vecteurs de grands stéréotypes de genre. Dans un nouvel ouvrage collectif, Les Violences sexistes après #MeToo, Bibia Pavard apporte son regard d'historienne sur la médiatisation des violences sexistes et sexuelles.
Bibia Pavard est historienne spécialisée en histoire contemporaine et en histoire des femmes et du genre. Maîtresse de conférences à l'Institut français de presse, elle s'intéresse plus particulièrement à l'histoire du féminisme en lien avec l'histoire des médias. Elle est également présidente de l'association Mnémosyne pour le développement de l'histoire des femmes et du genre.
À l'occasion du festival international du film d'histoire de Pessac, l'historienne sera présente le mardi 15 novembre lors de la conférence "Mon corps est à moi !" Les luttes féministes pour l’avortement libre dans les années 1970 et au débat Politique, la longue marche vers l’égalité et la parité.
Propos recueillis par Flora Etienne
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RetroNews : C’est l’industrie du 7e art qui fut à l’origine du mouvement MeToo suite aux accusations d’harcèlement sexuel, d’agression sexuelle et de viols contre le producteur de cinéma américain Harvey Weinstein. Et ce sont deux journaux de presse écrite, le New York Times et le New Yorker qui ont révélé ce scandale. Le cinéma, la télévision ou la presse ont-ils été, à d’autres moments de l’histoire, à l’origine de bouleversements de cette ampleur ?
Bibia Pavard : La presse joue un rôle central d’amplification des revendications féministes dès le XIXe siècle ! En ce qui concerne pour les femmes la liberté de disposition de leur corps ou la dénonciation des violences qui leur sont faites, on peut penser bien sûr au Manifeste des 343 femmes ayant déclaré avoir avorté publié par Le Nouvel Observateur en 1971 ou au Manifeste contre le Viol publié dans Libération en 1976. C’était un texte de dénonciation en six points : « Le viol n’est pas une fable », « Le viol n’est pas un hasard », etc. Ce principe de dénonciation par la presse est ensuite repris en 2012 par Clémentine Autain et d’autres, avec le manifeste des 313, de nouveau dans L’Obs, pour briser la permanence du tabou sur le viol.
L’édition aussi joue un rôle, un livre important est celui de la féministe américaine Susan Brownmiller, Against Our Will : Men, Women, and Rape, traduit en français en 1976. Enfin le cinéma n’est pas en reste. Au moment des fortes mobilisations du MLF autour du viol à partir de 1975-1976 il y a des films qui vont évoquer et dénoncer le viol. Je pense à L’amour violé de Yannick Bellon par exemple. Il montre une scène frontale de viol et le combat d’une femme pour la justice. Il est diffusé en 1977 à la télévision suivi de l’émission Les Dossiers de l’écran. Il y a donc une mobilisation multisituée qui passe par des manifestations, des procès comme le procès d’Aix, où Gisèle Halimi défend un couple de femmes ayant subi un viol avec violences du côté de Marseille en 1978 et qui est une tribune pour dénoncer la faiblesse de la loi qui ne protège pas les femmes du viol. Mais aussi des productions culturelles qui permettent de poser cette question de manière publique au-delà de la sphère militante et des médias féministes, et de faire que le sujet soit débattu dans l’ensemble de la société.
Tous ces discours concourent pour dénoncer des comportements – la domination masculine qui se trouve un paroxysme dans les violences – et la faiblesse de la justice face à ces questions-là.
Cette médiatisation s'est-elle diffusée rapidement à la sphère politique ?
Les féministes arrivent à mettre le sujet des violences sexistes et sexuelles à l’agenda politique, à construire un débat public et cela aboutit à des changements législatifs. Sur le viol, la loi est modifiée en 1980 à la suite de ces mobilisations féministes sur la décennie 1970. Autre exemple : la question des violences conjugales. Un livre, Crie moins fort, les voisins vont t’entendre de Erin Pizzey est traduit en 1975 et publié aux Éditions des femmes. Il permet d’ouvrir le débat et d’attirer l’attention sur la prise en charge des victimes ou l’impunité des maris violents. Des associations féministes ouvrent des refuges pour les femmes battues. Dans les années 1980 et 1990 la question des violences subies par les femmes est aussi au cœur des politiques publiques pour l’égalité femmes/hommes. La première campagne sur les violences conjugales date de 1989 et est lancée par la Secrétaire d’état Michelle André.
À votre connaissance, une expression s’apparentant à #Metoo d’une façon ou d’une autre a-t-elle déjà été utilisée ?
On ne peut pas essayer de calquer le présent sur le passé. On peut trouver des prémices, des formes de circulations, des prises de paroles, etc. Disons que la narrativité propre aux réseaux sociaux n’a pas d’équivalence immédiate dans le passé. Il y a des circulations de slogans comme « Ras le viol » dans les manifestations féministes d’aujourd’hui, notamment sur les pancartes de l’association #NousToutes, qu’on retrouvait dans les manifestations des années 1970. Mais il n’y a pas en revanche de forme équivalente à un hashtag.
Comment une historienne peut-elle se saisir de la question #MeToo ? Une histoire du temps présent est-elle possible ?
Dans mon cas, c'est plutôt #MeToo qui a saisi l’historienne. Cela fait plusieurs années que je travaille sur les mobilisations féministes et tout d’un coup, l’évènement est venu me bousculer en tant que chercheuse, me montrant les mécanismes à l’œuvre lors d’une forte mobilisation féministe. Évidemment, un des réflexes est d’avoir une approche généalogique, essayer de replacer ce moment #MeToo dans une histoire longue des mobilisations sur la question des violences en cherchant les prémices des mobilisations sur la question du viol, des différentes formes d’harcèlement, de ce qu’aujourd’hui on appelle le harcèlement de rue, du harcèlement dans la sphère professionnelle…
Cette approche généalogique permet de montrer que les mobilisations actuelles ne sortent pas de nulle part. Elle permet aussi de tenter d’analyser la spécificité du « moment #MeToo ».
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Pour en savoir plus :
Catherine Cavalin et al., Les violences sexistes après #MeToo, Paris, Presses des Mines, 2022
Bibia Pavard, Florence Rochefort et Michelle Zancarini-Fournel, Ne nous libérez pas on s’en charge. Une histoire des féminismes de 1789 à nos jours, Paris, La Découverte, 2020