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RetroNews | la Revue n°3
Au sommaire : un autre regard sur les explorations, l'âge d'or du cinéma populaire, et un retour sur la construction du roman national.
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Madeleine Riffaud, résistante, survivante et future reportrice de guerre à « L’Huma », a fait ses premiers pas de journaliste dans les publications communistes d’après-guerre. Ces écrits de jeunesse sont une fenêtre sur le bouillonnement intellectuel de la gauche radicale d'alors.
« J’appartiens à une ethnie minoritaire, celle des garçons et des filles qui avaient juste vingt ans le jour de la libération de Paris. »
C’est ainsi que s’ouvre l’autobiographie que Madeleine Riffaud consacre à ses jeunes années. En 1942, alors âgée de 18 ans et vivant en France occupée, elle se rapproche du réseau communiste des FTP-médecine. Dans le groupe des francs-tireurs partisans, qu’elle finira par intégrer, elle devient résistante et choisit le pseudonyme de Rainer – un hommage au poète allemand Rainer Maria Rilke. « Je n’étais pas en guerre contre les Allemands, mais contre les nazis », soulignera-t-elle plus tard.
Son engagement, qui se limite dans un premier temps à graffer les murs du Quartier latin avec des slogans contre l’occupant, sera de plus en plus intense au fur et à mesure que la guerre progresse et que la résistance s’organise. En juillet 1944, alors que le débarquement de Normandie a eu lieu le mois précédent et que le colonel Rol-Tanguy prépare l’insurrection populaire qui mènera à la libération de Paris, un de ses camarades de lutte est assassiné par un soldat allemand. Concours de circonstances, le drame se produit le jour même où elle découvre le numéro spécial des Lettres françaises qui détaille le massacre d’Oradour-sur-Glane, petit village où Riffaud avait passé des vacances dans sa jeunesse.
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Au sommaire : un autre regard sur les explorations, l'âge d'or du cinéma populaire, et un retour sur la construction du roman national.
Prise d’une envie de vengeance, elle fait sien le mot d’ordre des FTP : « À chacun son boche ! » Munis d’Oscar son révolver (« parce qu’Oscar… touche ! »), elle déambule dans les rues de la capitale et abat, en plein jour, un sous-officier allemand sur le pont de Solferino. Elle n’a même pas le temps de se mettre en cavale, de « rentrer dans le brouillard » comme disent les résistants : elle est immédiatement interpellée par un sous-chef de la milice française. Amenée rue des Saussaies, où se trouve le siège de la Gestapo, elle est détenue et condamnée à mort.
À la prison de Fresnes, où elle passera plusieurs semaines, elle sera torturée, mais ne parlera pas.
Mais pendant ce temps, la guerre sur le front Ouest tire sur sa fin. Les forces Alliées s’approchent de Paris et l’occupant cherche à déplacer les prisonniers vers des lieux plus sûrs, à l’intérieur du continent. Avec ses codétenues, elle doit être envoyée à Ravensbrück, camp de concentration où plusieurs dizaines de milliers de femmes trouvèrent la mort. Un miracle lui sauve la vie : alors qu’elle se trouve déjà dans le train qui doit l’y acheminer, elle parvient à s’échapper de justesse grâce à l’aide de ses co-prisonnières. Aucune d’entre elles n’est revenue.
C’est ainsi que, sa liberté retrouvée, Madeleine Riffaud a pu participer à la Libération de Paris. Au sein des Forces françaises de l’intérieur (FFI), elle fut promue « capitaine », en charge du XIXe arrondissement, dans le nord-est de la ville, par où fuyaient les troupes allemandes. La 2e DB du Général Leclerc rentre dans Paris le 24 août 1944, le lendemain de ses vingt ans.
Mais avoir survécu à son arrestation, à la torture, et avoir évité la déportation place un fardeau moral sur les épaules de la jeune Riffaud.
« J’ai ce lourd poids d’avoir été survivante. […] Il me fallait sans cesse, sous peine de suicide, justifier ma vie devant moi-même. […] Pour moi, un seul métier était indiqué : le grand reportage de guerre, auprès des plus souffrants. »
Madeleine Riffaud a passé toute sa vie sous la contrainte de ce qu’elle appelle la « dette de la survie », l’impératif moral du témoin. Dans la presse communiste, elle couvrira les guerres de décolonisation qui ont marqué les Trente glorieuses. Proche de Hô Chi Minh et compagne de son futur ministre de la Culture, elle racontera les horreurs de la guerre du Vietnam qui déchire l’Asie du Sud-Est.
Grande reportrice pour L’Humanité à partir de 1958, elle couvre par la suite la Guerre d’Algérie et sera visée par un attentat de l’OAS. Rescapée, elle retourne au Vietnam dans les années 1960, où les bombes américaines font des ravages, et vit aux côtés du Viet Cong.
Pour autant, au lendemain de la Libération de Paris, Madeleine Riffaud n’en mène pas large. La jeune femme, qui a pourtant largement fait ses preuves, n’est pas conviée avec ses camardes masculins pour poursuivre les combats dans la « colonne Fabien », menée par le colonel du même nom.
Hospitalisée un temps pour cause de tuberculose, c’est finalement par l’entremise du poète Claude Roy qu’elle pourra faire éclore sa vocation de journaliste. Celui-ci publie dans La France nouvelle un long texte, dans lequel il narre le parcours de son « amie ».
« Madeleine Riffaud, étudiante en médecine, FTP, condamnée à mort, FFI du XIXè, une petite fille avec de grosses joues rondes, de grands yeux noirs. »
Par le truchement du poète, Riffaud va être propulsée dans le monde de la bourgeoisie intellectuelle dont elle avait tant apprécié le travail littéraire pendant la guerre. Grâce à lui, elle va rencontrer Aragon, Picasso, Queneau, Tzara… ces membres de l’intelligentsia française, surréalistes pour la plupart et très proches du PCF, qui trustent les publications communistes issues de la résistance. Mais c’est surtout Paul Eluard qui va la parrainer auprès du journal Ce soir et qui va la coopter dans le milieu du journalisme.
Dans ce quotidien fondé par Louis Aragon en 1937, Madeleine Riffaud se forme au métier de journaliste. La proximité de la publication avec le PCF lui permettra d’accéder à d’autres revues, avant de rentrer à L’Humanité une décennie plus tard.
Dans les premiers articles signés de sa main, on perçoit déjà l’ombre des engagements qui seront les siens pendant toute sa carrière. Marquée par le passage dans la Résistance, militante infatigable de la cause ouvrière et témoin révoltée d’un nouveau conflit sanglant, la jeune Madeleine Riffaud nous permet d’entrevoir le bouillonnement intellectuel qui existe au sein de la gauche communiste de l’immédiate après-guerre. Ces écrits de jeunesse permettent également de mieux connaître la grande dame que, par bien des aspects, elle est déjà.
Longtemps, Madeleine Riffaud est restée muette sur son engagement dans la Résistance. Ce n’est que pour le cinquantième anniversaire de la Libération, et à la demande explicite de Raymond Aubrac, que sa parole se délie. Pour autant, cette discrétion ne l’a pas empêchée de raconter la résistance à sa façon, en mettant en lumière l’action clandestine des communistes ainsi que la lutte de la classe ouvrière.
Proche du PCF et de la CGT dans les décennies de l’après-Deuxième Guerre mondiale, Riffaud couvre, pour la presse communiste, plusieurs événements commémoratifs qui mettent en exergue la résistance intérieure menée par le prolétariat.
C’est ainsi que Ce soir l’envoie couvrir une cérémonie en l’honneur des fusillés de mai 1942 au Mont Valérien. Ceux-ci, membres actifs de la résistance au sein du Parti communiste clandestin, furent arrêtés et torturés, mais « surent mourir sans parler ». Quelques mois plus tard, elle rapporte dans les colonnes du même journal qu’une délégation pour la paix allant rendre hommage à Vimy aux combattants d’outre-mer tombés pendant la Grande Guerre, marquera son pèlerinage d’une halte à Arras pour se recueillir devant la Citadelle où furent fusillés des résistants. C’est l’occasion pour Riffaud de rappeler que c’est là que, dès 1941, « les ouvriers tinrent tête à l’occupant ». La grève patriotique des mineurs du Nord-Pas-de-Calais entre mai et juin 1941 a en effet été la plus grande et plus longue grève de l’Europe occupée.
La supériorité morale des martyrs est avancée comme l’un des attributs de leur qualité de révolutionnaires et, pour ceux qui l’étaient, de prolétaires. C’est le cas d’Arthur Dallidet, cadre du parti et fusillé du Mont Valérien, qui « criait, avec une belle et juste fierté : 'Je suis ouvrier métallurgiste ! Je suis un patriote !’ » aux témoins de son arrestation en février 1942, rapporte Riffaud. Quant au monument aux fusillés du Nord, « il y a là 222 plaques et toutes ou presque portent les mots : ‘F. T. P.’ et ‘Mineur’ ».
Une certaine lecture de la Résistance se dessine dans les articles de Riffaud : c’est une analyse commune à tous les organes du PCF – le « parti des 75 000 fusillés » – qui souligne le rôle prépondérant de la classe ouvrière et de son parti, à un moment où a lieu une lutte pour l’héritage de la Résistance.
Mais c’est avant tout la « paix universelle » qui est en l’intérêt des travailleurs. « La première revendication de ceux qui, parmi les travailleurs, souffrent le plus, est la sauvegarde de la paix » explique Riffaud, alors qu’elle interroge des mineurs du Nord sur les conditions de vie durant la guerre. Or, comme au lendemain du premier conflit mondial, la deuxième moitié des années 1940 voit se multiplier les initiatives en faveur de la paix. Cruelle ironie de l’Histoire, le premier grand reportage de la future correspondante de guerre racontera donc… le volet parisien du Congrès mondial pour la paix qui se tient fin avril 1949. Celui-ci, organisé à la suite du Congrès de Wroclaw et sous l’égide du Kominform, donnera lieu une réunion salle Pleyel et un grand rassemblement de fermeture au stade Buffalo.
Madeleine Riffaud a 24 ans et elle espère être témoin du début d’un mouvement populaire qui pourra contrer le Pacte atlantique (OTAN) signé 15 jours auparavant. Les délégations venues des quatre coins du monde, toutes mandatées par des centaines, des milliers de femmes et d’hommes, « rien ne pourra plus les séparer ».
« Que voulez-vous, quand vient le mois d’avril, on ne peut empêcher les bourgeons d’éclater. Que voulez-vous, c’est la saison de la liberté. »
Riffaud l’assure, elle est rentrée « par hasard » dans la résistance communiste. Fortune ou malchance, le choix de se rapprocher du PCF pendant la guerre marquera son activité professionnelle et militante par la suite. Alors que le Parti communiste sort parmi les vainqueurs du conflit mondial, Madeleine Riffaud s’investit intensivement dans ses publications et s’intéresse au syndicalisme. Après ses premières œuvres journalistiques dans les publications dépendantes du Parti, c’est vers celles de la CGT, et notamment La Vie ouvrière, qu’elle se tourne.
« J’étais atteinte d’ouvriérisme quand je suis passée de Ce soir à La vie ouvrière. Je visitais les mineurs, les ouvriers. On croyait à tous les champs du possible. J’étais bien reçue par le monde du travail, on croyait en l’URSS » soulignera la principale intéressée à sa biographe Isabelle Mons.
Le tropisme vers l’Est est effectivement manifeste dans les écrits de la jeune journaliste. Alors que le début de la Guerre froide se profile, les articles de Riffaud laissent peu de doute quant à son camp de prédilection. En reportage depuis Berlin-Est, elle oppose ce « Berlin où les femmes sont les égales des hommes, où on a construit des maisons du peuple, des hôpitaux, des crèches qui sont des palais » à l’autre côté de la ville, au « côté noir, côté du passé, martelé par les bottes des policiers, aux milliers de chômeurs affamés, dans les ruines ».
Et en novembre 1947, alors que l’URSS souffle ses trente bougies, elle signe avec Paul Eluard un poème dans les pages de L’Humanité pour marquer les très discutables « premiers trente ans de liberté » :
« Les hommes du monde où nous sommes
Ne seront plus jamais esclaves.
La vie est devenue commune
À tous ceux qui désiraient la vivre.
Chacun au service de tous,
Tous au service de chacun,
Et chacun reçoit ce qu’il donne.
Nous ne perdons rien de nous-même.
Le feu qui ruminait dans l’ombre
Nourrit désormais nos usines. »
Pour autant, la jeune journaliste s’investit dans les luttes nationales. Au sein des publications militantes, Riffaud rapporte la vie du parti et des organisations syndicales. Pour le 28e congrès de la CGT, elle suit un « jeune gars », fraîchement élu délégué par les « camarades » de l’usine. Lors de l’enterrement d’Ambroise Croizat, père communiste de la sécurité sociale, elle est dans le cortège qui suit les obsèques pour raconter « la douleur du peuple de France perdant son grand ami ».
Mais elle utilise surtout sa tribune médiatique pour mettre en lumière les conditions de vie des plus précaires. Dans La Vie ouvrière, elle signe ainsi un reportage en trois temps qui dévoile l’insécurité des classes populaires parisiennes vivant dans les quartiers ouvriers du nord-est de la ville. Un homme âgé, le « père bonbon », a été contraint à vendre ses meubles pour payer son loyer afin d’éviter d’être expulsé comme cette « vieille dame de 73 ans […] jetée à la rue parce qu’elle ne pouvait pas payer son loyer » et qui fut arrêtée pour vagabondage par la suite. Alors que la France peine toujours à réparer les dégâts matériels de la guerre, Riffaud révèle les rudes conditions de vie des ouvriers qui vivent dans les « communes où l’on n'attend que des crédits pour faire surgir de la terre ces maisons qu’espèrent depuis si longtemps des milliers de mal-logés ».
« Dans la cuisine, sur un coin de la toile cirée, le gosse fait ses devoirs. Papa, dit-il, papa, Jacquot, tu sais, Jacquot… Il a un cartable tout neuf, un en vache. Tu m’avais dit que j’en aurais un, papa. Pourquoi j’en ai pas ?... J’ai rien fait de mal.
M. Tout-le-monde met la feuille du loyer sur la table, la défripe du plat de la main, passe dessus sa main dont la machine a mangé la moitié du doigt. Il regarde sa femme et elle le regarde. Il répond au gamin : Ce sera pour Noël. […]
M. Tout-le-monde […] achète le journal où il y a le plus de petites annonces parce que son drame, à lui, c’est là qu’il faut le chercher : il n’est pas pire, mais ni mieux logé que des milliers d’autres. Il appartient comme diraient les statistiques ‘à une des 500 000 familles parisiennes obligées de vivre dans un logement insuffisant.' »
Alors que le deuxième conflit mondial se termine à peine, la France entame une nouvelle guerre. De l’autre côté du monde, sur une terre qui est sous le joug du colonialisme français depuis 1887, la guerre d’Indochine éclate en 1946.
Tandis que la Guerre froide s’installe progressivement, le PCF se rallie à une cause décoloniale qu’il avait boudée jusqu’alors. C’est particulièrement le cas dans les régions où les indépendantistes arborent les couleurs de l’Union soviétique, comme c’est le cas du Viet Minh. Soutenus par les instances du Parti et par la CGT, des mouvements ouvriers refusant de travailler pour la cause de l’armée française éclatent.
C’est dans ce contexte que Henri Martin, jeune marin et ancien résistant FTP communiste, devient malgré lui le protagoniste d’une affaire à large retentissement médiatique après avoir ostensiblement manifesté son hostilité envers la guerre. Ce feuilleton judiciaire, dans lequel Henri Martin sera jugé devant un tribunal militaire et condamné à cinq années de réclusion, provoque une vive réaction au sein de l’intelligentsia communiste française, si bien que Jean-Paul Sartre publiera en 1953 un ouvrage intitulé L’Affaire Henri Martin.
Dans La Vie ouvrière, Madeleine Riffaud prend la plume pour défendre ce « patriote sans peur et sans reproche ». Une série d’articles sera consacrée à l’affaire, retraçant les chefs d’accusation, les combats du jeune homme et le procès. Résolument opposée au conflit indochinois, elle inscrit la lutte anticoloniale dans la prolongation directe du combat résistant et, se faisant, projette l’image de l’occupant nazi sur le colon français. « Ma partie ne devait pas se comporter dans la patrie d’un autre comme les nazis, je n’avais pas combattu pour cela », conclura-t-elle plusieurs décennies après.
« Henri Martin est le premier soldat français qui ait crié que la guerre contre le Viet Nam est antinationale.
Fidèle à son idéal de Franc-Tireur et Partisan, fidèle aux combattants de la poche de Royan, fidèle à son serment de marin de défendre la France avant tout et en toutes occasions, Henri Martin ne faisait que continuer le combat de patriote en dénonçant devant le pays une guerre atroce et contraire aux intérêts de la France.
Aider à le délivrer est donc une tâche nationale. C’est hâter la fin de la sale guerre, c’est arrêter de flot de sang français que les chéquards et Américains font verser là-bas ; c’est empêcher d’autres jeunes de partir pour cette guerre sans issue. »
À l’instar du PCF, qui va faire de la lutte anti-impérialiste l’un de ses principaux mots d’ordre de l’après-guerre, Riffaud mise pleinement sur un mouvement fédérateur issu de l’opposition à la guerre indochinoise. Celle-ci sert de socle unitaire aux différentes organisations ouvrières, veut-elle croire, et permettrait une union dans la lutte. Avec un accord de principe sur la nécessité d’arrêter les hostilités, des syndicats désorganisés dialoguent et ouvrent ainsi la porte à de nouvelles victoires : « une nouvelle forme de lutte, dans une totale unité d’action à la base, est en train de naître ».
La carrière de Madeleine Riffaud la conduira à passer beaucoup de temps au Vietnam, en tant que reporteur de guerre. Elle y côtoiera Ho Chi Minh, qu’elle a rencontrée à Paris par l’entremise de la journaliste Andrée Viollis. Mais la lecture de ses écrits de jeunesse révèle un intérêt pour la culture de l’Asie du Sud-Ouest qui prédate ces activités journalistiques. En juin 1948, elle publie ainsi une critique louangeuse d’un recueil de poèmes publié par Georges Danhiel, pasteur protestant ayant habité en Asie du Sud-Est au début de la guerre d’Indochine. Son recueil intitulé độc lập (« indépendance »), exprime « des mots nouveaux, des mots sanglants qui ont le courage d’accuser les responsables du malheur, qui sont un cri rouge dans l’obscurité ».
Riffaud aussi écrira des poèmes pour raconter le Vietnam. En 1951, elle rencontre Nguyen Dinh Thi à Berlin. Le poète allait devenir le ministre de la Culture de Hô Chi Minh et l’amour de sa vie. Avec lui, elle traduira de nombreux recueils de poèmes vietnamiens afin de les rendre accessibles aux lecteurs français.
Mais parmi ceux qui sont écrits de la main de Riffaud, c’est dans les colonnes des Lettres françaises que l’un des premiers parait. Il est dédié à Trần Ngọc Danh, président de la délégation permanente du Vietnam en France et arrêté par le gouvernement français en 1948 pour atteinte à l’intégrité nationale, et se lit comme un appel à l’indépendance.
« Il nous disait : Dans mon pays
les arbres font des fleurs
qu’on appelle : écarlates.
Il nous disait : Dans mon pays
Souriront pour chacun
Les blanches fées du riz.
Dans mon pays, quand vous viendrez
Vous verrez comme il a grandi.
Il disait : Mon pays
Et la France – la vraie…
Les arbres d’Indochine ont eu d’étranges fruits,
liés par les cheveux… le soleil les pourrit. »
Après son engagement journalistique et militant auprès des indépendantistes vietnamiens, Madeleine Riffaud prolongera son combat en Algérie. Embauchée comme grande reporter à L’Humanité en 1958, elle couvrira la guerre d’indépendance et, forte de sa propre expérience en la matière, elle sera parmi les premières à dénoncer l’usage de la torture.
De retour en métropole au milieu des années 1960, elle s’infiltre dans le milieu hospitalier en se faisant embaucher comme « fille de salle ». De cette aventure sortira Les Linges de la nuit, ouvrage dans laquelle elle relate le quotidien du personnel soignant dont le travail est durement affecté par un manque patent de moyens.
Aujourd’hui, Madeleine Riffaud a 97 ans et fait partie des dernières personnes vivantes à avoir vécu la Résistance et la Libération de Paris. Depuis les années 1990, elle s’est ouverte sur son extraordinaire vie, jalonnée par les conflits de la deuxième moitié du XXe siècle. En été 2021, une bande dessinée autobiographique racontant son parcours dans la Résistance paraît aux éditions Aire Libre. L’ouvrage a reçu le prix René-Goscinny 2022.
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Pour en savoir plus :
Isabelle Mons, Madeleine Riffaud, L’esprit de résistance, Payot, 2019, 366 p.
Madeleine Riffaud, Elle s’appelait Rainer, Julliard, 1994, 241 p.
Madeleine Riffaud, la mémoire sauve, Les nuits de France culture, 2015, 10 épisodes.