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Gazette nationale ou le Moniteur universel, 14 mai 1845

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Gazette nationale ou le Moniteur universel
14 mai 1845


Extrait du journal

l’exercice de l’art à son amour pour la science ; mais, je me hàlc de le dire, les malades qu'il oubliait de visiter étaient toujours ceux qui n’étaient atteints que de maladies légères ou (pii, favorisés par la fortune, ne pouvaient dans une ville comme Paris manquer ni de conseils ni de soins éclairés. Les malades indigents excitaient seuls de sa part une sollicitude constante, et parmi eux les Auvergnats, ses bien-aimes com patriotes, n’étaient pas ceux envers lesquels il était le moins prodigue de paroles consolantes et de soins affectueux; et quand la maladie vint le frapper lui-même, les fonctions à l’accomplissement desquelles il craignait le plus de devenir inhabile, c’étaient celles qu’il exerçait à l’Hôtel Dieu ; le titre qu'il aurait le plus regretté, s’il lui eût été ravi, c’était celui de chirurgien de cet hôpital. Un seul exemple, au reste, peut donner la mesure de sa commisération habituelle pour le malheur et de la reconnai sancc populaire à son égard. Dans l’emportement de sa ci 1ère et l’abus de sa puissance le peuple détruisait l’archcvécl é de Paris, cl, non content de raser l’édifice, il voulait cncoie anéantir tout ce qui avait appartenu à l’archevêque. Un grand embrasement se préparait tout à côté de notre grand hospice, et la devaient être brûlés en commun des meubles de prix, des livres, du linge, etc.; car si le peuple, dans le déchaîne ment des réactions politiques, s’abandonnait à la brutale fu reur de détruire, il ne s'abaissait pas jusqu’à voler. Breschct, informe de ce grave désordre, veut l’empêcher, et sortant de l’IIôtcl-Dieu avec précipitation, s’élance au milieu d’une foule agitée. Son but est d’abord méconnu, on le prend pour un prêtre qui veut s’opposer à la ruine de l’archevêché ; des cla meurs sinistres, des gestes expressifs menacent sa vie : rien ne l’arrête ; il s’adresse aux plus furieux de l’émeute, leur demande s’ils veulent, en provoquant un incendie voisin, consumer dans les llammcs leurs frères gisants dans les salles de 1 Hôtel-Dieu. Bientôt il est reconnu par quelques-uns de ces hommes qui lui devaient leur retour à la santé; son nom est répété avec enthousiasme par toutes les bouches, il veut, dit-il, que tout ce que l’on allait détruire soit consacré au service des malades. Chacun s’empresse de lui obéir, le feu est éteint, un grand nombre d’objets précieux sont conser vés, et des bras nus et grossis par le travail le rapportent, non sans quelque rudesse, mais en triomphe, à l’Ilôtel-Dicu. Le culte filial n’était pas moins sacré pour lui que les de voirs de l’humanité. Il chérissait ou plutôt il vénérait les au teurs de ses jours dont il était séparé néanmoins depuis sa plus tendre jeunesse; mais son inaltérable attachement, ses sou venirs pieux avaient soutenu leur existence, et, quoiqu’ils lussent parvenus à un grand âge et qu'il vécût habituellement loin d'eux, il ne pouvait se familiariser avec l’idée de s’en sé parer pour toujours. La mort de son père, à laquelle il ne s’était point préparé, porta un coup funeste à sa santé, et ce triste événement modifia son existence entière : il devint triste et morose, renonça à des habitudes mêlées de quelques distractions, et ne rechercha plus avec le même empresse ment la société de ses amis. Pendant le cours de la maladie à laquelle il a succombé, on a certainement abrégé ses jours en lui annonçant la mort de sa mère, qui ne l’a précédé que d’un mois environ dans la tombe. Uni de bonne heure à une femme aussi tendre que modes!e et dévouée, il est resté jusqu’à son dernier moment un ex cellent époux, et si chacun n’avait pu reconnaître chez sa fille chérie et chez l’homme honorable auquel il avait confié le soin de la rendre heureuse , toutes les qualités du cœur join tes à toutes les distinctions de l’esprit, il aurait pu passer pour l’un de ces pères qui croient sincèrement à la perfection de leurs enfants, et se dévouent avec une tendresse aveugle et avec tout l’abandon de la bonhomie à l’admiration et au bonheur de leur famille. Les mouvements du cœur cepcndint ne se rattachaient point chez Brcschct à l’entraînement ou à la faiblesse. Loin de la, ils avaient au contraire l’impétuosité, on pourrait dire la brusquerie, qu’imprime à tous les actes de la vie une na ture puissante et primitive. Aussi Breschet était-il accessible a la haine et à l’amour. Quant à l’amitié, il ne la comprenait pas ainsi que la pratiquent en général les gens du monde. 11 ne la faisait point consister comme eux en des formules in cessamment affectueuses ou polies, et dans l’accomplissement rigoureux de tous les petits devoirs que la société nous im pose. H aimait ses amis avec chaleur et même une certaine tyrannie. Il en était jaloux, mais ils ne l’ont jamais trouvé insensible, froid ou seulement distrait en écoutant le récit de leurs peines. Il exaltait leurs qualités jusqu’à l’enthousiasme, et quand un sentiment de reconnaissance venait sc joindre à l’affection qu’il avait pour eux, il épousait ardemment leurs passions et prenait une part agissante dans tous les débats où ils étaient engagés : son esprit, si clairvoyant pour l’ordinaire, méconnais sait leurs plus graves défauts, et ne tolérait à leur égard ni les critiques les mieux fondées ni la plus légère ironie. Nous avons tous connu à Breschet une grande et illustre amitié qui présentait au plus haut degré de semblables caractères. Doué d’une portée d’intelligence qui l’avait élevé au premier rang parmi nos savants, d’une culture, d’une spontanéité et d’une finesse d’esprit qui donnaient un grand charme à ses dis cours et faisaient rechercher sa société par les plus habiles con naisseurs en ce genre de mérite, entouré d’une famille qui le chérissait cl d’amis qui savaient apprécier ses bonnes et hau tes qualités, Breschet a-t-il connu le bonheur sur cette terre ? Oui, sans doute, mais il a dû n’en jouir qu’à la volée, n’en ressentir les effets qu’à la manière des phénomènes électri ques, car il était dominé par un besoin insatiable de savoir, et pour se livrer à l’étude il renonçait aux plus douces jouis sances de la vie, comme à la plupart des avantages que pou vait, dans la pratique de son art, lui procurer sa juste re nommée. Triste et douloureuse compensation ! l’amour excessif de la si itnee, ainsi que toutes les grandes liassions, quand leur but est honorable, élève, ennoblit, divinise presque la car rière des hommes qui en sont possédés; mais presque toujours aussi leur existence perd en bonheur et en durée ce qu’elle a péniblement acquis en considération et en célébrité. Pour qu’il en fût autrement, il faudrait que la fortune ou l’ordre social put reconnaître le mérite supérieur et lui assurer une position exempte de tribulations matérielles, avant qu’il eût, par ses constants ellorls, épuisé les sources de la vie chez l’homme ardent à conquérir l’estime de ses semblables. Mais alors il lui manquerait un élément d’activité. La lutte qui dé veloppe les facultés cl les ressources de l’esprit, la passion qui dévore sans doute, mais qui d’abord anime et vivifie, man queraient peut-être aux organisations les plus privilégiées, et si nous jouissons avec orgueil de la suprématie qui nous a été accordée sur tous les êtres créés, nous devons accepter avec résignation les inévitables conséquences des avantages dont nous sommes doués. Mais de semblables réflexions peuvent-elles, devant le cer cueil de notre ami, porter la consolation dans nos âmes ? En voyant succomber Breschet à l’âge où l’on devrait, comme ré compense d’une vie laborieuse et active, jouir d’un honorable repos; en voyant sa mort précédée par de longues et pénibles souffrances ; en pensant qu’il ne lui a pas été permis de se I préparer dans le calme de la retraite et les douceurs de l’in-...

À propos

Fondé en 1789 par Charles-Joseph Panckoucke (1736-1798), éditeur de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, La Gazette nationale ou Le Moniteur universel fut pendant plus d'un siècle l’organe officiel du gouvernement français.

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