Extrait du journal

Quand on songe au pouvoir qu'a cet empereur, et qu'il est à la fois une façon de pape selon les rites mystiques du moyen âge, et l'autocrate dont le moindre geste fait trembler des millions d'hommes en Europe et en Asie, quand on dénombre sur une carte les immenses provinces, le morceau démesuré du globe terrestre qui lui fut légué par les Romanoff, l'apanage qui s'élargit de siècle en siècle, telle qu'une tache d'huile, quoi qu'on en ait, l'on se sent angoissé, ému comme dans les cryptes mystérieuses des pagodes où d'étranges Boudhas éploient au fond des ténèbres leurs cent bras symboliques. Il semble le dernier représentant du passé. Il a survécu jusqu'à ce jour au crépuscule morne des religions et des royautés. Il ne daigne entendre ni les clameurs de révolte, ni les sanglots des pauvres, ni les grondements sourds des déshérités qui sont las de peiner sans trêve pour les autres, qui veulent jouir et vivre, qui ne croient plus aux chimériques momesses du Rédempteur et évoquent de leurs poings fermés l'aurore des temps nouveaux. Il apparaît comme une sereine et implacable idole dressée sur quelque haute cime et que n'atteignent en son éternel repos ni les scories, ni les vaines rumeurs de la fourmillière humaine....