Extrait du journal
Peut-être trouvera-t-on que j'ai la fibre chauvine peu sensible, et que la Revue du Bois de Boulogne, où s'affirme, tous les ans, un généreux effort pour reconquérir notre vieux prestige guerrier et réhabiliter notre honneur militaire, serait pour donner satisfaction à ce besoin de « nouveau » dont je suis tourmenté. Certes, je suis chauvin tout comme un autre, et, tout comme un autre, je m'attendris a la vue d'un pantalon rouge et du drapeau dans les plis duquel palpite l'âme de la Patrie. Mais, par une inéluctable association d'idées, cette éloquente périphrase du si vis paçem para bellum évoque fatalement en moi, avec le cruel souvenir d'hécatombes anciennes, la poignante vision d'hécatombes futures. Et puis, s'il se dégage une émotion saine de ce qu'elle fortifie nos si nobles et si légitimes espoirs, il se mêle a cette émotion comme un remords de songer à ce qu'elle représente pour les acteurs de la glorieuse furie, premiers rôles ou comparses, comparses surtout, de misères, d'angoisses, de sacrifices et même de dangers : le réveil hâtif de la caserne ; la marche nocturne, les épaules pliant sous une charge inhumaine, dans l'ensommeillement des yeux et l'hébétude des membres mal reposés; le morne bivouac parmi les bouquets d'arbres rabougris, en attendant que les trois coups soient frappés et que le rideau se lève; l'interminable défilé sous le soleil qui plombe, sur la terre qui bout et colle aux semelles des godillots, a travers un cyclone de poussière asphyxiante, et, après le plaudite cives, le retour au quartier, cœur veule et jambe molle; l'échouage a la chambrée, où, de toutes ces sueurs en fermentation, s'exhalent des relents pestilentiels qui donnent aux rations supplémentaires comme un arrière-goût d'amertume; et, enfin, le soir tombant, la lugubre théorie, par les chemins, des civières et des voitures d'ambulance, où râlent les pauvres diables que l'insolation a foudroyés, et qui paieront de quelques semaines d'hôpital, peut-être de leur vie, la rançon de notre égoïste et féroce plaisir !. Et c'est pour échapper a la tentation de ce plaisir — complice de telles cruautés — que, tous tous les ans, la veille du 14 Juillet,...
À propos
Fondé le 19 novembre 1879 par Auguste Dumont, Gil Blas détonnait parmi les publications du Paris fin-de-siècle. Sa ligne éditoriale grivoise, littéraire et ouvertement mondaine charmait ses lecteurs, souvent citadins.
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