Extrait du journal

Dans sa magistrale préface qui a paru en tête des fragments d'Etienne Mayran, M. Paul Bourget nous raconte comment H. Taine, vers sa trentième année, écrivit les pages de ce roman et pour quels motifs très élevés il voulut l'interrompre. « Le philosophe — dit M. Paul Bourget — se mit soudain en conflit avec l'artiste et le paralysa. Le théoricien jugea le créateur et lui défendit de continuer. » Cette vue profonde sur le grand écrivain rend un noble hommage à sa conscience scrupuleuse ; elle nous révèle, aussi, comment un esprit de cette) envergure a !conçu son œuvre maîtresse et l'a fait vivre. Ces mots prennent une signification particulière, si l'on pense que nous vivons dans une époque paradoxale où l'on admet fort bien que fout le monde discute de toute chose, que le premier normalien devienne critique compétent en n'importe quelle matière, mais où l'on conteste à une haute intelligence la faculté de s'intéresser à un objet un peu différent de la spécialité à l'étude de laquelle elle s'est consacrée. On juge avec une étrange partialité les penseurs et les savants qui se sont reposés de leurs travaux par l'art ou par la littérature et l'on est prêt à les accuser « d'avoir manqué de conscience dans leurs recherches », puisqu'ils « trouvaient le temps de s'occuper d'autTe chose » ; un peu plus, ils deviendraient des dilettantes et certains, animés d'une jalousie posthume, heureux de les surprendre en défaut, n'hésiteraient point à déclarer qu'ils ne sont que des « amateurs qui en usaient délibérémenf avec la Science et qui lui préféraient leur violon d'Ingres. »...