Extrait du journal

Que faisiez-vous au temps chaud ? demande la prévoyante et indus trieuse Fourmi du bon La Fontaine, à l’insouciante et emprunteuse Cigale ayant chanté tout l’été ». Telle est la question que discrète ment la Fourmi de la campagne pose présentement à la Cigale de la ville. Au temps chaud des Cartels et des Fronts populaires, dit-elle, vous per ceviez des salaires élevés, vous rem plissiez les cafés-concerts et cinémas dont je ne connais pas « le plus petit morceau » dans l’austérité de ma vie champêtre ; pendant vos semaines anglaises, vos congés payés dont j’ignore la saveur, vous veniez réjouir vos regards du spectacle offert par nos champs ensoleillés et nos mois sons dorées ondulant au souffle de la brise. Et quand tout ne cédait pas au gré de vos revendications plus ou moins légitimes, vous vous croisiez collectivement les bras dans le geste peu auguste du travailleur conscient et organisé. Mais ces temps doivent être oubliés aujourd’hui. L’hiver de notre détresse commune a lugubrement enténébré l’horizon. Vous n’avez plus de voix pour chanter, sympathique Cigale : il ne vous en reste que pour crier famine chez la Campagne votre voisine et la prier de vous céder ce qu’il faut pour subsister jusqu’à la saison nouvelle. Soyez sans crainte, vous serez en tendue. La Campagne a gardé, à un haut degré, le sens de la solidarité natio nale : elle ne saurait donc rester sourde aux légitimes appels de la Communauté française. Elle entend se plier aux nécessités...