Extrait du journal

honnête, vers la connaissance. On y trouve l'intention de déférer à la réalité, de com mencer par voir et par toucher les choses. Ce retour au réel marque déjà un grand progrès sur ce qui se voyait naguère. Il faut qu'une société soit encore stable, pour que les hommes puissent s'y donner le plaisir de se disputer pour des doctrines arbitraires. Aujourd'hui, toutes les opi nions qui valent d'être considérées res semblent à ces palais de la Renaissance, où la plus noble architecture s'appuie sur un rez-de-chaussée de l'ordre rustique, presque rude, aux pierres à peine taillées : elles reposent sur une base d'expérience. Le nombre de plus en plus fréquent de ces livres, le fait qu'ils trouvent des. lec teurs, tout cela témoigne des efforts que~ fait, pour se rendre maîtresse des choses,: au moins par la connaissance qu'elle en prend, cette élite éparse dans notre pays, à laquelle mes pensées reviennent souvent. Elle existe, elle pense, elle sert encore, et ne compte plus. Ceux qui la composent ne trouveront-ils pas le moyen de se re connaître et de reprendre la place et le rôle qui leur reviennent ? De toutes les espérances dont on peut se flatter, celle *de voir se reconstituer Une élite, dans un pays qui a gardé tant d'éléments excelu lents, paraît encore une des moins chimé riques. Mais il y faut plusieurs conditions, et d'abord, cela va de soi, que ces meil leurs des Français, même s'ils n'ont pas des opinions pareilles, pensent du moins dans le même sens : cet accord paraît en train de se faire et la soumission à l'expé rience qui se marque aujourd'hui chez tous les esprits réfléchis en est le premier signe. Mais il reste à acquérir d'autres qualités. Ç'a été trop longtemps le défaut "du Français de vouloir briller à part, et présenter isolément son mérite. On dira que ce défaut même est l'effet d'une longue civilisation et d'une vie sociale qui a don né à chaque individu le désir de parader devant le public. Quoi qu'il en soit, il est plus que temps de changer cela. Il faut que les Français d'élite apprennent à se mettre ensemble, à s'ordonner, à se subordonner les uns aux autres, et cela dévient aisé dès qu'il y a quelque chose qu'on aime plus que soi-même. Il ne leur servirait de rien de réformer leur esprit, si la réforme n'allait pas jusqu'à leur ca n&aéfe.'-Ce qui constitue- une élite, ce s'ont des qualités intellectuelles et profession nelles qui se voient, bâties sur des qua lités morales qui ne se voient pas. ABEL BONNARD....