Extrait du journal

et l'on s'aperçoit qu'elles prennent toute leur splendeur à l'instant où il était recom mandé de les abandonner. Les villes elles mêmes, avec leurs rues étroites et fraîches, leurs boulevards ombragés de platanes, ont un charme incomparable. Les rayons éblouissants, filtrant à travers le feuillage, font de l'asphalte ou du pavé une mosaïque précieuse, s'étalent en nappes dorées sur les tentes des magasins et des cafés et transforment la poussière soulevée par les autos en brume transparente, aux reflets d'ambre clair, qui se disperse dans l'azur. Sous cet azur sans tache, qui s'insinue partout, les gens passent, souriant, gesti culant, heureux d'exister : les hommes, souvent débraillés, hélas ! selon le rite américain ; les femmes, charmantes, svel tes, vêtues de robes claires, roses, vertes, safranées, rouges ou bleues, bras nus, jam bes nues, coiffées de larges chapeaux de paille sous de minuscules ombrelles japo naises ; quelques fiacres nonchalants pro longent le passé au milieu de ces rapides mécaniques modernes, et, soudain, dans la cacophonie des appareils avertisseurs, vibre le son argentin d'une cloche. Il ap proche ; lui aussi paraît heureux de faire envoler vers, l'espace et de mêler aux cris des hirondelles sa chanson familière. On sent qu'il est chez lui, connu,, aimé. Le voici : c'est l'appel de la laitière. Des fe nêtres s'ouvrent, des têtes paraissent, des bustes se penchent... la petite voiture est repartie. Ici tout est facile ; les soucis effleurent sans blesser ; le mirage de cette lumière diffuse qui rayonne à la fois du ciel et des objets fait surgir à chaque pas le mirage du bonheur. Il semble que la mort même doive apparaître naturelle et apaisante comme l'approche de la nuit, cette nuit méridionale qui voile et n'éteint pas tout à fait les couleurs, idéalise les contours, endort les bruits vulgaires, les bruits hu mains, et ne laisse plus dialoguer sous les étoiles que les vibrantes aiguilles des pins et l'eau mystérieuse des fontaines. JEAN RENOUARD....