Extrait du journal

Celui qui lit aujourd'hui les journaux peut remarquer qu'on y trouve des articles d'un genre nouveau : ils portent sur l'état présent de nos affaires, et ce ne sont pas, cependant, des articles de politique, ins pirés par les passions d'un parti, mais des observations cliniques. Ces écrits valent selon leurs auteurs. Mais, à eux tous," ils •marquent un fait important, la rentrée en scène de l'Esprit. L'Esprit est rappelé' à l'étude de la société contemporaine par le trouble même qui s'y manifeste. Son intervention est d'autant plus nécessaire que les hommes chargés chez nous du gouvernement ont, ces dernières années, avoué plus d'une fois leur impuissance, en s'excusant sur l'énormité des problèmes qu'ils ont à résoudre : à les entendre, ces difficultés dépassent les forces humaines. Bientôt, cette idée deviendra un des iieux communs dé la rhétorique ministérielle. La chose est nouvelle, et, jusqu'à présent, les hommes qui étaient aux affaires n'a vaient jamais allégué une aussi humble excuse. On dira peut-être que c'est qu'au trefois, en effet, les difficultés étaient moindres. Je n'en crois rien. Ce qui s'est passé jadis paraît toujours plus simple que ce qui arrive aujourd'hui, mais il faut bien prendre garde que cette simplicité (n'est pas dans les choses. C'est notre esprit qui l'y met. Si nous pouvions être transportés dans le cabinet de Richelieu ou de Mazarin, nous verrions que, forcés de déjouer les intrigues et les complots, de lutter contre l'ennemi du dehors et con tre celui du dedans, ces grands hommes ne l'avaient pas plus belle que les mi nistres d'aujourd'hui. Observons du reste que ces derniers, dès que les affaires sem blent s'arranger, reprennent précipitam ment les responsabilités qu'ils avaient dé posées quand elles se gâtaient, et nous jurent qué" ce changement n'est dû qu'à leurs bons offices. Ils . sont à l'égard de l'état des choses comme un homme à qui l'on apporterait un enfant trouvé, et qui le repousserait .si le poupon était laid ou infirme, mais qui, s'il est beau, crierait hussitôt : « C'est mon fils ! » Voilà donç l'Esprit qui revient se mêler de ce qui arrive. Il faut bien qu'il y soif forcé. Il aime si peu à s'occuper du mé nage ! Mais le moyen de rester indifférent à ce qui se passe sous nos yeux, quand le sort même de toute civilisation y est engagé ! Il est impossible à un homme qui s'intéresse au destin de l'homrne de ne pas avoir aujourd'hui, sinon une opi nion politique, du moins une opinion sur la politique. Indépendance ne veut pas dire abstention. Ramené à l'étude du désordre dont nous souffrons, l'Esprit y applique sa grave, son honnête, son in fatigable attention. Que cette attention assidue importune et irrite certains pro fessionnels de la politique, cela se peut. Mais le rayon du phare les a saisis : ils n'échapperont plus à cette lumière. Cette activité de l'esprit se marque par plusieurs caractères, et d'abord par ce fait qu'elle impose un silence provisoire à nos sentiments. L'Esprit ressemble à ces grands médecins, qui préludent par un examen impassible aux soins les plus énergiques. Il importe avant tout de ne pas brouiller ces deux temps, il ne s'agit pas d'être optimiste ou pessimiste hors de propos, et l'abus même qu'on a fait de ces deux mots marque seulement com bien le sentiment a envahi chez nous le domaine de la raison. 11 s'agit de voir...