Extrait du journal

PARIS , 15 août. Le discours de M. de Chateaubriand à la Chambre des Pairs , a excité un sentiment unanime d'admiration. Tous les partis semblaient confondus pour rendre au noble pair ces hommages que le génie et le caractère arrachent seuls aux passions et aux haines politiques. A peine avons-nous alors mêlé nos éloges à ceux qui ont ac« cueilli de toutes parts les nobles paroles de M. de Chateaubriand ! Hélas , nous étions péjà préoccupés d'une pensée trop amère ! Comment les louer , ces paroles sublimes, quand nous étions tout entier à la crainte qu'il eût parlé pour la dernière fois ! Cette douloureuse impression, nous l'avons retrouvée dans tant de cœurs, que nous ne craignons pas aujourd'hui de la rendre publique. Ce n'est déjà plus seulement à Paris qu'on se demande si les derniers événemens ont à jamais effacé de la vie publique un nom qui promettait tant d'éclat à nos destinées. Serait-il vrai qu'il y eût comme une fatalité jetée sur la route politique de M. de Chateaubriand; que défenseur aussi sincère de la liberté que de la monarchie, et après les avoir trouvées toutes deux si injustement armées contre lui, sa vie finît par se briser contre un principe inexorable comme contre un dernier écueil? Loin de nous la téméraire pensée de combattre les scrupules d'une si haute conscience ! Et cependant nous l'avouerons. l'exa men le plus religieux de la situation de la France et de la posi tion toute particulière de M. de Chateaubriand laisse encore au fond de nos cœurs un dernier espoir! Quelle est la pensée domi nante de son discours , et nous pourrions dire de sa conduite ? C'est le repos et le bonheur de la France ! Or, nous savons , et M. de Chateaubriand ne nous reprochera pas de le révélél', que loin de chercher à isoler , par l'influence de son nom et hs son exemple , un pouvoir qui. s'élève si heureusement pour nos desti nées , nous savons qu'il ne se sert de cette influence que pour prê cher l'obéissance et l'union. Par quelle déplorable fatalité, par quel excès d'inutile fidélité , M. de Chateaubriand resterait-il donc seul condamné à ne plus servir de son génie et de son patriotisme la France qui lui doit tant, et qui peut ta nt lui devoir encore ? Ce n'est point, nous le répétons , une lutte de principes que nous avons voulu établir ici avec la conscience de M. Chateau briand. C'est une triste prévision que nous n'avons pu taire; mais c'est en même temps un vœu qui s'est échappé comme malgré nous de nos cœurs , et qui trouvera de nombreux échos. Que M. de Chateaubriand se garde de chercher dans nos paroles un sacrifice des intérêts de sa gloire aux intérêts matériels de sa carrière publique ! Nous l'avons profondément admiré , debout , le dernier, sur la brèche de la monarchie ; et nous aimerions mieux voir encore son grand nom enseveli sous les décombres de la légi timité, que de l'en voir surgir , avec la moindre tache , au faite des honneurs et du pouvoir. Mais nous pensons que les devoirs ont une limite , et que l'a mour de la patrie est aussi un principe. Nous pensons surtout que la violation de la foi jurée délie de tous les sennens prêtés sous l'empire d'un pacte qui n'existe plus. Enfin nous ne nous résignerons jamais à croire M. de Chateaubriand perdu pour l'avenir de la France....