Extrait du journal

C'est avec une vive indignation, si l'on n'a pas encore pris son parti de la férocité des nouvelles mœurs qui sont en train de s'introduire dans notre civilisation, que l'on a appris ou que l'on apprendra la tentative d'assassinat dont un des défenseurs de l'accusé de Rennes, M 0 Labori, vient d'être victime. Cet avocat se ren dait, ce matin, au Conseil de guerre, pqur y remplir son ministère, lorsqu'il a été assailli par un individu, qui se tenait, paraît-il, en embuscade et qui lui a tiré dans le dqs un coup de revolver. M. Labori a été sérieusement blessé et son agresseur a pris la fuites Nous ' ignorons encore, au moment où nous écrivons, qui est l'assassin et quel état mental est le sien. On peut supposer, sauf erreur, que c'est simplement un homme qui s'est passionné ment intéressé à l'affaire Dreyfus, qui s'est nourri de la littérature spéciale qu'elle a fait éçlore et qui est arrivé ainsi à cette exaltation, qui,, chez les uns, se manifeste par des paroles, et qui, chez des natures plus agissantes, s'ex prime d'une autre manière. Gèttè explication sera confirmée ou non, quand les circonstances du crime auront été précisées. C'est du moins, jusqu'à plus ample informé, la plus vraisem blable, et celle qui se présente la première à l'esprit. Si l'on ne prévoyait pas un attentat aussi odieux et aussi stupide que celui qui a été commis ce matin, on- pouvait bien prédire qu'au calme apparent qui régnait à Rennes à la veille et au premier jour de ce procès suc céderait, à un moment donné, quelque tem pête, et que l'on n'en serait pas quitte sans | quelques actes de violence. C'eût été miracle si toutes les excitations et les provocations qui, de part et d'autre, se croisent chaque jour, étaient demeurées purement verbales, et, n'avaient pas eu, tôt ou tard, les conséquences matérielles qu'elles devaient avoir. Nous ne prétendons pas qu'il fût dans l'intention de per sonne d'armer la main d'un assassin contre le i défenseur de Dreyfus. Mais, s'il est des moments où,comme on l'a dit, les chassepots partent tout seuls, il en est aussi où les revolvers font comme spontanément leur fonction. Ceux qui, par leurs discours et leurs écrits, jettent le trouble dans des cerveaux mal équilibrés et développent des sentiments inhumains dans des âmes naturelle ment un peu farouches, peuvent regretter pro fondément ensuite d'avoir été mal compris et déplorer des crimes qu'ils désavouent. Il n'en est pas moins vrai que c'est une grave impru dence de répandre une telle semence. Qu'on le veuille ou non, qu'on le sache ou qu'on l'ignore, elle nous réserve une lamentable moisson....