Extrait du journal
Uhe des particularités les plus affli geantes de notre époque, c’est l’état d’âme que révèlent certaines critiques littéraires — ou soi-disant critiques litté raires— relatives surtout à des romans. Nous disons « soi -disant critiques », car il s’agit en réalité d’annonces payées fort cher, à tant la ligne, par les auteurs ou les éditeurs intéressés. Jadis, lorsqu’on voulait louer un oü vrage, on disait naïvement qu’il était beau. Et lorsque cet ouvrage était vicieux, on ne prétendait pas qu’il pût encourager le vice. On affirmait, au contraire, qu’il était dé nature à exalter la vertu. C’était dangereux d’un côté et conso lant deiautre. Cela prouvait que l’horreur du vice, au moins en apparence, était universel lement répandue. Un moraliste disait alors que « l’hypo crisie est un hommage que le vice rend à la vertu. » Il semble,aujourd’hui, que l’hypocrisie elle-même soit devenue un trop lourd bagage. Un éditeur à la mode, annonçant un roman dans un journal boulevardier, se coulerait s’il le représentait comme pou vant incliner au bien. Pour fixer l’atten tion et attirer les chalands, il faut des épithètes spéciales. t0n dira d’un livre qu’il est troublant. On ajoutera carrément qu’il est mal sain. On insinuera habilement qu’il est per vers. Les titres eux-mêmes devront faire pressentir le genre de ragoût faisandé qui sera servi au lecteur. Un entrefilet que nous avons sous les yeux prévient le public que l’héroïne de tel nouveau roman est « une figure de femme énigmatique, fleur mystérieuse formée par l’haleine malsaine de cette fin de siècle ». Cette figure, comment, est-elle décrite ? Avec un « courant fou gueux de passion, en des sursauts de vie vécue, sincère, troublante. » Littérairement, ces sortes de phrases ne veulent rien dire; mais leur but n’est pas moins précis. Il s’agit de frapper les curiosités. Voilà l’essentiel. On verra bientôt des notes de ce genre : « Lisez le livre de X..., c’est dégoûtant ». Et on le lira, précisément parce que c’est dégoûtant. Les entrepreneurs d’ « attractions » soit dans les Expositions, soit en bien d’autres circonstances, ne s’y trompent pas. Plusieurs, dans les affiches qu’ils font apposer sur les murs, font figurer, comme illustration de leurs promesses, non point un beau dessin, ou même uns image dramatique, mais tout simplement une gravure ou une chromolithographie bien déshabillée. Ça oui, ça se regarde. Ça oui, ça fait venir. Et, pour dix que cela éloigne, une centaine d’amateurs sont raccrochés. Ce genre d’affiches correspond exacte ment au genre de critique dont nous {larlions plus haut. Il reflète les mêmes ntentions d’un côté, les mêmes goûts de l’autre. C’est la « décadence » dans- le sens le plus écœurant du mot. Et, quand ce a’est .pas cette corde que l’on fait vibrer, c’est celle de la cruauté. L’écrivain décrit minutieusement dés supplices, et le critique n’a pas à louer son style, son talent de prosateur. Il n'a qu’un mot à dire : faire savoir que c’est un livre - sanglant, violent, propre à ébranler les nerfs. Ces promesses, qui effrayentlesâmes délicates,commencent, paraît-il, à ne plus alarmer beaucoup de monde, puisqu’on trouve intérêt à prêter ainsi à un livre ce que nos ancêtres eus sent considéré comme un défaut. ' gi cela continue, ce n’est pas seulement la morale qui sera mise à mal. L’art luimême, cet art auquel nous tenons tant, fléchira sous les coups que lui portent ces amuseurs raffinés de la génération moderne. Le plus beau livre, dans cin quante ans, sera peut-être celui dont les feuillets, eu vertu d’ua mécanisme spé*...
À propos
La Croix est un journal catholique conservateur créé par Emmanuel d’Alzon, prêtre de la Congrégation des assomptionnistes, en 1880. Quotidien depuis 1883, il continue d'être publié de nos jours, dans une version bien moins partisane et religieuse que par le passé.
En savoir plus Données de classification - paul féron-vrau
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