Extrait du journal

Bien que ma famille paroissiale soit la famille la plus cordiale qu’un curé puisse rêver, je ne fais pas de visites™ Impossible !.. les journées n’ayant flue vingL-quatre heures. Pourtant, hier soir, passant de vant l’hôtel d’une vendeuse parti culièrement chevaleresque pour Sainte - Odile, j’eus subitement l’idée de sonner pour lui dire un rapide « merci ». Je croyais la trouver seule. Quelle erreur !.. A peine entré, j’entendis fuser, dans le lointain, tout un gazouillis de.volière. J’étais perdu l J’avais oublié que c’était l’heure sacrée du thé. Vivement, j’essaye'de battre en retraite. Inutile !.. Je suis repéré™ dé noncé™ -— Ah, Monsieur le curé, comme c’est aimable à yous L Une tasse de- thé.. ? Citron..? Un nuage..? Quelques gâteaux- t Ils, viennent de la Vente L. — Alors, ils doivent être très bons.- trop bons pour un jour de Quatre-Temps !.. A ce mot, lancé dans ce gai salon, surprise™ jnouvements di vers... — 'Ah, c’est vrai L s’écrie une petite dame volubile, qui arbore un chapeau époustouffiant- c’est les Quatre-Temps !.. — Oui, Madame, c’est les Quatre-Temps !.. De tous les côtés, les réflexions fusent ; :— Je n’y pensais pas ! — Moi, je n’y pense jamais ! — Faut que je téléphone, ce soir, à Prunier pour avoir des merlans demain. — Eh bien™ mon mari !.. Je l’entends d’ici, le père Ronchon neau ; « Encore du poisson !Pourquoi du poisson.. ? » # A ce moment, la petite dame au chapeau en torticolis entre en scène. '—r — Monsieur le curé, si vous avez quelque influence là-haut, vous devriez bien nous libérer de cette brimade des Quatre-Temps™ On n’y pense pas !.. C’est vétuste !.. Ça ne « colle » plus™ — Vous libérer.. ? — Mais oui™ nous libérer... Tout est maintenant pour la liberté™ La vie est tellement intense, qu’on a besoin de n’être ennuyé par rien, ni par personne™ Constatez?.. Robe courte... Pas de manches— Pas de cheveux... Pas de cils™ Libérées aussi, moralement- Du large™ le grand large !— Oui... De l’air !.. Les fenêtres ouvertes !.. s’écrie une autre jeune femme, en brandissant un éclair au café. Alors, ayant bu sereinement ma tasse d’eau chaude, je regarde le joli petit être au chapeau « échelle mobile », qui secoue ses bracelets devant moi, au nom de la liberté.. — Pourtant, lui dis-je, les Quatre-Temps ne reviennent que quatre fois par an. — C’est cinq de trop ! Et ils tombent toujours mal !.. Croyezmoi, Monsieur le curé, j’ai mille fois raison L «— D’abord, Madame, on n’a jamais raison autant que cela. Ensuite, pourquoi vous insurger ainsi contre une loi de l’Eglise, alors que, pour tout le reste, vous acceptez l’esclavage le plus ab solu ? Cris., protestations™ — L’esclavage le plus absolut. Mais nous avons bien ia préten tion d’être Itères™ absolument libres !.. — Libres- ? Vous, Mesdames- ? Vous en êtes là !.. — Mais de qui dépendons-nous? — D’abord, de vos maris™ je suppose ? —‘ Oh™ de nos maris !- Enfin, passons™ — De votre cuisinière... — Oui™ plutôt... — De votre médecin... Quand, subitement, il vous - ordonne : « Plus de viande !.. Plus de sucre !- Plus de pain L Plus de sel !.. Plus de café !.. Plus de vin !.. De l’eau... Des pâtes™’» ... de votre chirurgien, lorsqu’il vous dit : « Ne gardez pas cela !.. Il faut monter sur le billard™ » ._ de votre couturière : « Vous mangez trop, Madame... Votre ligne s’empâte— Achetez une gaine™ et serrée L » -. de votre lingère, qui vous voue à la pneumonie... de votre mer cière, qui vous fait sortir en plein hiver avec des bas arachnéens™ ... de votre modiste, qui vous oblige à porter, tantôt d\m côté, tantôt de l’autre, des chapeaux, seyants quelquefois à certaines figures... mais qui, souvent, font silencieusement de la peine à vos...