Extrait du journal
J’arrive des pays dévastés... Non pas de ceux qu’on parcourt en quelques heures avec itinéraire fixe. J’arrive des « autres »... de ceux qu’on ne visite pas, parce qu’ils ne sont pas les pays de tout le monde... parce que plus intimes, et en dehors des grandes routes officielles. J’avais ^quelques spéciales raisons d’y faire mon pèlerinage, puisque ce sont ceux où se déroulent toutes les scènes de la Grande Amie. Je voulais aussi accompagner les sur vivants de ce livre, ceux qui vécurent où fut la Ferlandière et l’aimèrent comme je l’ai aimée. Et je reviens, écrasé de tout ce que j’ai vu. • • Chauny !.. • C’est la première station de la voie douloureuse. Chauny, où Von ne s-est pas battu,- et dont toutes les maisons, sautées ou brû lées, ne forment plus qu’un immense amas d’irréparables ruipes. Puis, au bout de quelques kilomètres, c’est... ce fut la Grande Amie !.. Pauvre coin de France... terre si fer tile et si douce, je ne l’ai plus recon nue !.. Et pourtant Dieu sait avec quels yeux je l’ai regardée ! Avant la guerre, c’était un océan de blés, de seigles et d’avoines... C’était, à perte de vue, le vert solide des betteraves. C’étaient les pâtures avec, partout, au bord des routes, les grands bœufs blancs marqués de roux qui vous regardaient passer en rêvant le rêve qu’ils n’achè vent jamais. C’étaient les petits villages coquets, les maisons éclairées de géraniums, les jar dins bien entretenus, les grandes fermes qui jouaient à cache-cache derrière le rideau des hauts peupliers bavards. Aujourd’hui, cette terre est comme hérissée de terreur. Ce n’est pas le désert... j’ai vu le désert, et je me suis découvert devant sa sauvage grandeur. Il faut trouver un autre mot... c’est* nouveau, tragique,- infernal... c’est prus sien !.. A l’infini de l’horizon, la plaine qui ondule vers Saint-Gobain, Coucy, Laon est en friche, mais uné friche spéciale qui a l’air d'une lèpre. ¥ Figurez-vous un pullulement jaune et sale d’herbes flétries par les gaz, striées de fils barbelés, tachées de rouille, re paire de : grenades, d’Obus toxiques, empoisonnées de chenilles, de taons énormes et d’innombrables moustiques. Il y en a une telle quantité qu’il fallut plusieurs fois arroser notre cheval de pétrole, mais les mouches lè couvraient quand même. Par-ci, par-là, une plaque de sang noir... ce sont les ruines d’un village... ou un chaos titanesque de tuyaux, de machines, de roues, de réservoirs de chaudières projetés, dans un enchevê trement inexprimable, à des vingt mètres de hauteur, et dont les tubes semblent des mains implorant toute la vengeance du ciel : « Oh ! qu’ils ne signent donc pas !.. » Ce furent des usines... Mais voici le plus tragique de tout : Au-dessus de la monotonie des herbes, et alignés comme un immense régiment de géants tombés à leur poste de com bat^ apparaissent les squelettes des arbres fruitiers... De vastes pommiers, de grands poiriers, tous frappés de la même blessure savante — du coup de scie électrique — sont couchés comme des paladins, de l’Est à l’Ouest, leurs bras noirs et déchiquetés vers le ciel, semblant appeler, eux aussi, la justice éternelle. Nous avançons maintenant dans une solitude navrante. Pas un homme, pas une charrue... pas un oiseau ! Ici, fut Frières... Là, était le château joli de M. de Chézelles, dominant toute une immensité de pâtures. M. de Chézelles est mort., mort aussi, son fils... Là, était Noureuil... là, le riche village de Viry... là, Jussy, au bord du canal... là, Villequier-Aumont... Nous voici sur la hauteur... Dans ce vallon s’élevait l’Abbaye d’Cjdile et, là-bas, la Ferlan dière de Jacques. Je me retourne vers mes amis... Us se sont arrêtés, et les larmes coulent silencieusement sur leurs joues amaigries. Nous avons cherché le château, reli quaire de tant de souvenirs... Et, s’il n’y avait pas eu un bout de trottoir en mo saïque oublié par l’explosion, nous n’aurions même pas pu dire : « Ce fut là!.. » # Pourtant quelques habitants revien nent.. la petite patrie appelle telle ment !.. Quelques baraques en bois couvertes de tôle ondulée donnent à ce paysage, qui fut si poétique, une allure lépreuse de terrain vague de fortifications... Mais ce provisoire semble une erreur. .Ces baraques coûtent très cher, sont...
À propos
La Croix est un journal catholique conservateur créé par Emmanuel d’Alzon, prêtre de la Congrégation des assomptionnistes, en 1880. Quotidien depuis 1883, il continue d'être publié de nos jours, dans une version bien moins partisane et religieuse que par le passé.
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